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Jijel, Archéologie d'un espace |
En partant d’El Milia en direction de Constantine, tout en suivant la route qui longe l’oued El Kébir, et après de nombreux contours et détours, on dépasse Sidi Marouf pour facilement aperçevoir la barrière dressée du Béni Haroun. Un seul passage étroit laisse filer les eaux de l’antique Ampsaga, à travers un étroit canal de quelques mètres de large. À cet endroit précis, se rencontrent deux importantes chaînes de montagnes qui finissent le paysage jijelien. À l’ouest c'est le massif des Zouagha, à l’est c'est le mont du Msid Aïcha.
L'intérêt de la position n'a pas
échappé aux Romains qui y ont construit un oppidum pour surveiller la via (Igilgili-Milev) et vraisemblablement une
navigation fluviale dont on ne posséde aucun
témoignage écrit. Pour traverser ce
barrage naturel, ils y avaient construit une voie longeant la
rive gauche, jusqu’à un col.
Faudrait également supposer qu’ils auraient fait
suivre une autre piste de
l’autre côyé de la rive, près
de Mechta Bedsi, passant
par un autre col, celui de Sidi Yahia, où
s'élevait le mausolée du saint. Elle aboutit
à la série épigraphique de
Aïn Kébira, que l'on analysera plus tard.
Les vestiges oubliés de Henchir Labiod, «la ruine du cheikh Labiod», dont la sépulture repose sous un pistachier de l’Atlas fortement dévellopé, sont situé à 36 kilomètres à vol d’oiseau de l’embouchure de l’oued el Kébir, à la limite «physique» des wilayas de Jijel et de Mila, sur un promontoire rocheux, dominant la vallée encaissée de l'Ampsaga et haut d'une centaine de mètres. Le tombeau du saint, Sidi Labiod, qui a donné le nom à la ruine, aujourd’hui délaissé sans qu'aucune bougie ne vienne éclairer ne serait-ce qu’une nuit son âme, est entouré d’un mur rectangulaire fait de pierres empruntées aux vestiges environnants et demeure tout de même envahi par une gênante végétation. Un mur en pierre de taille visible au nord de cette éminence, soutient sa terrasse archéologique.
Une virée sur place nous a permis de voir des ruines s’étendant sur des milliers de mètres carrés. Une partie des terres s’est sans doute glissée vers les contrebas méridionaux et reste difficile à prospecter. Rien d’important n’émerge du sol, mais, au ras de terre, on distingue nettement quelques fondations en pierres, le tracé régulier de rues, des bassins et, au nord et au sud les assises de puissants remparts. Des débris de poterie ancienne jonchent le sol.
Très peu visité par les chercheurs depuis longtemps, on y a étonnament relevé peu d'inscrptions, bien que ces ruines aient été déjà signalées en 1858 par Féraud, et décrites comme appartenant à un très important poste romain. C’est cependant, à Reboud, médecin militaire en retraite, que l’on doit une description assez détaillée du site et des inscriptions découvertes sur place. Reboud parle «de restes d’habitations et, plus haut, de substructions d’une espèce de fortin, auquel se reliait sans doute un mur d’enceinte». Ajoutant que «cette terrasse ou col, est une excellente position militaire pour la défense de l’oued el Kébir».
Il avait également répertorié trois épigraphies : «une dédicace à Julia Domna où sont mentionnés des décurions », une seconde se rapportant à un magistrat municipal, C. Julius Sodalis, IIIvir, quaestor, IIvir et flamine perpétuel, et enfin une troisième inscription, une dédicace à Apollon Auguste, suivie des fameuses lettres G.M.T.. Ces découvertes dues à M. Sergent, que Reboud cite souvent, à ammener les historiens et archéologues à s'en étonner, et s'accorderait à attribuer l'invention des trois inscriptions à M. Sergent.
C'est donc au milieu du 19e siècle que M. Sergent, commandant du poste militaire d'El Milia, découvrit en premier les textes épigraphiques de la ruine, dans sa première exploration de la région du Hamma des Béni Haroun et de Henchir el Abiod. Voici une description de celles-ci.
Inscription | Transcription & Description |
I. La dédicace à Julia DomnaIVLIAE AVGMATRI CASTRORVM ET AVGVSTI D D |
Sur le versant méridional du col, à quelques pas du sentier, non loin du soubassement qui la portait, Sergent releva une première grande inscription. C’est une dédicace à Julia Domna, érigée sous le règne de Caracalla (211-217). Les lettres sont admirablement gravées sur une pierre noirâtre de 1 mètre de long sur 0 m 70 de large. Les lettres de Castrorum T et R sont liées. |
II. La dédicace à ApollonAPOLLINI * AVG G * M * T |
La deuxième est une dédicace à Apollon trouvée au pied du col, sur le versant nord, entre l’oued et la pierre de Julia Domna. Elle est gravée sur un dé d’autel d’un mètre de haut sur 0 m 50 de large ; les lettres ont huit centimètres de hauteur. Reboud a cru décelé le nom de la ville en traduisant ainsi la dernière ligne: G(enio) m(unicipi) T(uccensis) À Apollon Auguste,Génie du Municipe de Tucca. |
III. La dédicace à SodalisC * IVLIO papiRIA SODALI III VIR QVAEST II VIR FLAM P * P M * IVLIVS SODA LIS ET L * IVLIVS CRESCENS AVG MERENTI . . . . . . . . . . . . . . CONDVCTOR V * A * XLVII H * S * E |
A 100 m au dessous de la dédicace à Julia Domna, Sergent a encore relevé l’inscription se rapportant au magistrat municipal, C, Julius Sodalis, II vir, quaestor, II vir et flamine perpétuel. Cagnat a perçu dans la qualité graphique un indice de la très haute antiquité (1er siècle), et que Gsell pris par un doute écrivait qu'elle ne paraît pas postérieure à la dynastie des Sévères. |
Le site fut oublié jusqu’à sa visite en 1979 par François Morizot, réussissant par l'occasion à découvrir trois autres inscriptions, dont la plus remarquée est celle qui le fût grâce à l'aide d'un berger. C'est la dédicace à Antonin traitée ultérieurement par Pierre Morizot puis publiée sous le titre: «Une dédicace inédite à Antonin le Pieux», parue dans Epigraphica Latina. Les trois précédentes inscriptions ne furent pas retrouvées, lors de cette exploration.
Inscription | Transcription & Description |
IV. La dédicace à Antonin le PieuxAVG PIO PON TRIB POT XVIII IM COS IIII PPDD Cette belle photo prise en 2011 montre la dégradation subie par cette pierre. Quelques lettres sont absentes depuis son étude au début des années 80. Ceci nous interpelle donc pour essayer de la sauvegarder et en premier lieu l'évacuer vers un lieu sûr, une école du lieu par exemple. |
Inscription gravée dans une pierre de 1 m de longueur, 0 m 58 de largeur et 0 m 57 de hauteur. Les lettres relevées par F. Morizot sont régulières et possèdent 5,5 cm de hauteur. P. Morizot a envisagé la restitution simplifiée suivante : [Imp(eratori) Caes(ari), T(ito) / Aelio / Hadriano Antonino] / Aug(usto) Pio pont[tifici) max(imo)], / trib(uniciae) pot(estatis) XVIII im[p(eratori) II] / co(n)s(uli) IIII, P(atriae), d(ecreto) d(ecurionum). Les mots entre crochets restituent les lettres manquantes Cette dédicace daterait du règne d’Antonin [138-161], exactement de l’an 150, c'est-à-dire vers la fin de l’insurrection maure qui débuta avec la prise du pouvoir de l’empereur. |
En deux endroits loin de l'un et de l'autre, P. Morizot a relevé deux autres inscriptions.
Inscription | Transcription & Description |
V. Fragment d'inscriptionEORVM EISEXLIBE |
Fragment d'inscription photographié par F. Morizot sur la pente nord de Henchir Labiod, un peu plus bas que la dédicace impériale. Gravée en belles lettres de 9cm, il pourrait s'agir d'un autel. Voici la lecture proposée par son auteur. Sex(tii) libe[erti] |
VI. Stèle de Aelia MaximaD M A E L I A M A X I M A V I X I T A XXXXV H S E |
Stèle provenant de Mers Sultan, à 125 m de l'oppidum, en direction de l'oued. L'inscription est surmontée d'un croissant stylisé. &Acute; noter le gentilice de la défunte qui est celui des Antonins... La formule D. M. montre un indice d'ancienneté par rapport au D. M. S. D(is) M(anibus)Aelia Ma xima vi xit a(nnis) XXXXV H(ic) s(ita) e(st) |
Selon P. Morizot, si « il existait en 155 à Henchir el Abiod un municipe, sa création peut, avec quelque vraisemblance être attribuée à un des prédécesseurs d’Antonin le Pieux : à Hadrien qui a accordé ce statut au petit port de Choba sur la côte maurétanienne, voire même à Trajan ».
Mais, quelle était cette ville ?
Tous les auteurs qui ont étudiés le site s’accordent à dire que Henchir Labiod occuperait l’emplacement de Tucca. C’est un oppidum dépendant de la province sétifienne, situé à la limite de la Numidie. D’après la table de Peutinger, Tucca est à 46 milles d’Igilgili (1 mille romain = 1.481 mètre) soit environ 68,126 km, distance tout à fait raisonnable qui corrobore les certitudes des chercheurs.
Cependant, en étant objectif, il faudrait attendre d'autres découvertes et d'autres inscriptions pour espérer savoir le nom antique exacte de la position.
Je me suis rendu dernièrement au Hammam du Beni Haroun pour une nouvelle exploration, accompagné de deux amis. On y a découvert deux nouvelles stèles, celles de J. Optati et de Q. Sittius, un élément d'une huilerie, ainsi que des pièces de monnaies rapportées par des habitants du coin.
Nous y reviendrons plus tard pour plus de détails.