jijel-archeo |
Jijel, Les grandes Histoires |
Le fort Duquesne est intimement à l’histoire de la ville de Jijel. Plusieurs évènements se sont déroulés autour de ce site. Nous en citerons les plus marquants.
ہ l'époque romaine, la route qui se dirigeait vers Cirta, en passant par Tucca, antique agglomération à l’embouchure de l’Ampsaga _ Oued El Kébir_ devait faire face à la surveillance d'un fortin romain situé vraisemblablement tout près de l’emplacement actuel du fort. On signalait déjà l’existence d’une porte à la sortie est de la ville, qu’on situait près du fort Duquesne, appelée porte de Constantine (1), aujourd’hui disparue, comme l’est la porte du rempart _Bab Essour_ à l’ouest, point de départ de la route vers Bejaïa et Alger.
Depuis l’antiquité, le fort délimite à l’est le port naturel qui s’étire le long de la petite baie qui part de la citadelle à l’ouest. Il marque aussi la limite est des remparts qui protégeaient l’ancienne ville et sa banlieue immédiate et son ancienneté est difficile à cerner. Néanmoins elle est antérieure à 1664, comme on le verra plus loin, et pourrait même remonter au début de la conquête musulmane ou même avant. Cet ancien établissement sur la pointe qui commande la partie est de la rade doit son nom à l’amiral Abraham Duquesne qui commanda, en compagnie de Paul, l’expédition française du duc de Beaufort, sur le sol algérien, en 1664. Les anciens le connaissaient sous le nom «Djamaa» ou «Dhar» (monticule) Sidi Ammar. Tout au long de cet article nous emploierons cette dénomination.
Avant son occupation et appellation françaises, le fortin abritait un oratoire musulman. Toute l’hagiographie concernant ce site dénote l’existence d’un mausolée ou du moins d’un monument religieux. Bien sur la première réflexion qui saute à l’esprit est la coïncidence avec le nom de Sidi Ammar, que les Jijeliens désignent par «Dhar Sidi Ammar». Sans doute un saint musulman, dont on ignore les origines et le patronyme. Les gravures anciennes du 17e siècle dessinent clairement à l’intérieur du fort, deux bâtisses. La première de la forme normale avec un toit en tuile, classique du littoral et zone pluvieuse probablement une mosquée, et l'autre semblable à une koubba surmontée d'une coupole en forme ogivale comme il en existe souvent en Afrique du Nord mais exceptionnelle au littoral. A moins que ce ne soit un monument religieux.
Mais retournons à notre histoire.
Un évènement majeur va marquer cette partie de la région de Jijel au 17e siècle, lors de la fameuse expédition du duc de Beaufort de 1664. Arrivé sur les côtes jijelliennes le 22 du mois de juillet, les troupes françaises occupent la ville, le djebel El Korn qui surplombe la citadelle, et un contingent sous la conduite du capitaine de Vivonne, commandant de vaisseau la Royale, avec 251 gardes, jette l'ancre près du petit promontoire à l'est de la ville ou s'érigeait la Koubba du Marabout Sidi Ammar. . En pleine hostilités entre les jijeliens et les soldats de l'expédition, De Vivonne enlève le marabout le soir du 22 juillet et utilise une partie du mausolée, probablement la salle de prière, comme magasin pour les troupes du corps de garde, attisant fortement les sentiments anti-français des autochtones, offensés dans leur sentiment religieux, comme ça été le cas lors de l'utilisation des pierres tombales du cimetière musulman pour l'édification du fort des français au djebel Korn. Ils ne tarderons pas à payer cher ce sacrilège.
En effet, la mission des envoyés du roi Louis IVX ne fut pas de tout repos et durant les trois mois de leur présence à Jijel il n'eut que guerre suivi de trêve vite expédiée. Et dès lors que la résistance des tribus aux alentours de Jijel fut organisé sous la direction du marabout Sidi Mohamed et avec l'arrivée des renforts turcs d'Alger et de Constantine, avec des pièces de canon, La Guillotière et quelques uns des officiers français commencent alors à parler de retraite. Elle fut programmée pour le 31 octobre 1664.
Cette retraite de l’armée française, reportée au 1er novembre, après un désaccord survenu, fut scindée en deux partie, dont l’une, qui nous intéresse, composée des régiments de Garde et de Picardie, sous les ordres de Gadagne, devrait s’embarquer au niveau du Djamma Sidi Ammar, l’actuel fort. La situation qui était des plus délicate, empira sous le déluge de feux des canons turcs venus d’Alger et de Constantine . Les turcs récupérèrent facilement le lieu. L’évacuation se transforma dès lors en déroute et coûta la vie à de Codoni, tué par des coups de mousquetons à la tête, et des blessures subies à la poitrine par le chevalier de Saint-Germain, lors de leur embarquement à la hâte en compagnie des soixante soldats de Picardie qu'on avait oublié au marabout, dans les dernières chaloupes qui devait les emmener vers leurs vaisseaux, stationnés au large de la rade. On ne sait pas ce qui est advenu de leurs corps.
En regagnant leurs vaisseaux, et loin des cibles ennemies, le marabout miné par les français dans leur fuite, explosa dans un bruit terrible. C'en est fini de la belle koubba! Depuis ce jour elle ne fut plus reconstruite... du moins dans le style ancien.
Lors de l’arrivée des Français à Jijel, en mai 1839, il existait près du fort actuel, les vestiges d’un moulin romain. Durant cette période marquée par de grands troubles, ils relevèrent les ruines de l’ancien fortin. Terminé le 15 mai 1839 et armé d’une pièce d’artillerie de 12, il fut dénommé fort Duquesne, en mémoire de l'amiral Duquesne, chef à bord du vaisseau le Saint-Louis, lors de l'expédition de 1664. Des évènements extraordinaires se produisirent durant les jours qui suivirent. Pendant que les Français continuaient à remonter les redoutes et les forts, pour leur défense tout autour de la ville suivant la ligne des remparts, ils furent continuellement harcelés par des forces venues des alentours, de plus en plus importantes, qui au 17 mai étaient estimées à plus de 4000. Le long du front de combat les attaques débutèrent à 11 heures du matin pour finir à 4 heures du soir. Seuls les bateaux à vapeur, le Styx et le Cerbère, embossés en avant du fort Duquesne, génèrent considérablement les attaques des autochtones en les canonnant.
Un épisode de cette période mérite cependant l’attention. L’un des commandeurs des troupes françaises, le chef de bataillon Horain, de la légion étrangère, qui s’occupait de la défense de la partie ouest au niveau du fort St-Ferdinand (Bordj Echetti) près du cimetière musulman ; fut frappé d’une balle qui lui a traversé la poitrine. Commandant d’infanterie, polonais d’origine Lithuanienne, il fut évacué à bord du Styx dans la nuit du 13 mai pour des soins vers l’hôpital de Bougie. Il mourut quelques jours après. Son corps fut rapporté à Djidjelli, selon ses dernières volontés, car il avait souhaité au cas ou il décéderait, qu’il soit enterré à Djidjelli, par admiration sans doute, pour ce littoral numide. Il fut inhumé au fort Duquesne le 1er juin 1839.
Le hasard a voulu que l’on se retrouve donc avec deux tombeaux au fort Duquesne. L’un musulman et l’autre chrétien que l'on ne soupçonnait point. Si d’autres n’existaient pas avant. Car n’oublions pas que certains lieux ou sont érigés les mausolées musulmans sont une survivance des chapelles chrétiennes que les premiers chrétiens berbères et romains ont érigés en dehors des cités pour échapper aux agents de l’empereur, lors de la grande persécution des années 303-305 et que les adeptes aimaient à s'enterrer auprès de ces personnages vénérés. Persécution qui plus tard sera à l’origine du schisme donatiste. Au temps de l'islam, cette pratique se perpétua à travers les zaouia et les marabouts, parmi elle celle décrite de Sidi Ammar.
Enfin pour sortir de l'ombre toutes les histoires cachées de ce lieu, sauf des fouilles scientifiques et modernes pratiquées sur le lieu, peuvent les en éclaircir et réparer ainsi les hiatus et lacunes très nombreuses. Beaucoup de facettes entourant ce lieu restent encore insondables et mystérieuses , ce qui réaffirme encore le pouvoir envoûtant et fort de son histoire. Tant qu'il est vrai qu'à lui seul il a rassemblé plusieurs nationalités, plusieurs personnes aux destins différents, romaine, algérienne, turque, française, polonaise et bien d’autres probablement.
Si désormais un jour, on devrait réhabiliter le site, il serait préférable et avantageux de faire appel à des compétences archéologiques, historiques et culturelles avérées. Les choix n’y manquent pas et les services culturels des ambassades des nationalités citées dans cet article ou concernés par ces évènements apporteront sûrement une aide et expertise précieuse, pour aboutir à la fin à son classement en tant que patrimoine national. Jijel n'en possède point!
Autre remarque, il est tout à fait étonnant qu’à une époque récente les femmes de Jijel, apprend-on, venaient se recueillir auprès du saint, à l’extérieur du fort à côté de l’eucalyptus. Pourquoi pas à l’intérieur? On pourrait se poser la question! Peut- on dire que le saint a été transféré de l’intérieur jusqu’en dehors des murs ? Le doute est permis ! La sépulture du commandant Horain n’a-t-elle pas pris sa place ? Ou bien existe-t-il une autre sépulture ancienne et inconnue, comme mentionnée sur les gravures du XVIIe siècle ?
Apparemment, rien de tout cela n'est aussi évident, il reste que durant la guerre de libération le fort Dusquesnes fut employé comme lieu de détention et de torture par l'armée coloniale, empêchant dès lors les personnes venus se recueillir auprès de la tombe du saint d y pénétrer. Et cela a perduré après l'indépendance jusqu'à la disparition totale des visites après sa fermeture à la population et le désintéressement de ceux-ci pour notre Sidi Ammar.
Karim H. pour jijel-archeo