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Il est des rencontres ou des contacts qui peuvent mener vers des chemins inespérés. La dernière fois, il y a deux mois environ, j’ai reçu un message de monsieur Rebbas Khellaf, enseignant au département des sciences de la nature et de la vie de l’université de M’sila. Toutefois, sans le connaître personnellement, j’avais auparavant mentionné dans un article paru sur mon site web, un travail de recherche qu’il avait mené avec un groupe de chercheurs algériens sur le site du Parc National de Taza [1]. Il est également connu pour être l’auteur de la découverte, pour la première fois en Algérie, d’un Ophrys mirabilis[2], espèce endémique de Corse et de Sardaigne jamais répertoriée chez nous et inconnue en Italie [3] et pour ses travaux sur un nouvel taxon reconnu au Centre-Est de l’Algérie (Ophrys funerea ou Ophrys funèbre)[4]. On en reparlera plus en détail prochainement quand on abordera le travail en cours sur les orchidées d’Algérie.
De ce contact scientifique, on s’est aimablement fait échangé quelques emails, et par ce canal, il m’a envoyé une grande et généreuse documentation concernant ces travaux, ce dont je le remercie toujours. Celle-ci traitait de l’écologie, des plantes médicinales locales et également des orchidées algériennes : sujet auquel il s’est passionné en étudiant particulièrement les orchidées des Grande et Petite Kabylie ; région qu’il a longuement sillonné depuis les forêts et terrains découverts des Parcs Nationaux du Djurdjura et de Gouraya jusqu’aux berges plus humides de la Soummam en passant par Chemini, près de Sidi Aïch, là où il est né. Il a par ailleurs ouvert à travers le web un site dédié à ce sujet [5]. J’ai tout de suite apprécié son excellente recherche botanique et mesuré son aptitude pédagogique pour nous faire connaître de mieux en mieux la flore locale. Doublé de son enclin prononcé à visiter le terrain, qualité rare chez nos universitaires et intellectuels.
En lisant au début ces articles, puis en analysant attentivement les découvertes et les redécouvertes fantastiques qu’il avait faites, je voulais tout de go y faire un résumé succinct; mais en s’imprégnant amplement du sujet et en consultant d’autres travaux entamés en Algérie, j’ai décidé instinctivement d’élargir mon champ de travail et d’action pour notamment jeter un nouveau regard sur les orchidées algériennes, de plus en plus étonnantes et sensationnelles, pour en préparer ultérieurement un modeste travail. Le texte en préparation sera sans doute édité sur ce même site ou dans un journal algérien [6]. Mon humble et simple but est de faire connaître à nos concitoyens, qui sans doute y seront-ils enthousiasmés ! , ces délicates et merveilleuses plantes et lancer un appel pour leur préservation des aléas de plus en plus grandissants qui les menacent, tout en avouant calmement que je ne serai pas écouté à l’instant.
Plus pénible pour ma personne et pour nous qui aimons notre pays, lorsque j’ai commencé la rédaction du texte après avoir lu multiples travaux scientifiques qui m’ont été fournis à cet égard et ceux consultables sur Internet ou ceux encore en ma possession, j’ai tout de suite remarqué qu’il existait une grande lacune concernant notre région que j’ai nommé : « hiatus biogéographique de la Kabylie Orientale». En effet, la région de Skikda, Annaba et Tarf ont été depuis les années 90 couvertes par l’équipe de Gérard de Bélair et Errol Véla ; celle de Grande Kabylie et Petite Kabylie Occidentale par Khellaf Rebbas et probablement assez souvent par Errol Véla. Manquait donc que la Kabylie Orientale, néanmoins si riche et si diversifiée, pour compléter le palpitant « tableau orchidal » du secteur dit numidien. Ce constat est tout autant valable pour les autres types de recherche sur le vivant. Pourtant, c’est dans ses contrées dont certaines sont restées presque inaccessibles, comme aux Babors et à Guerrouche, qu’a été reconnue l’espèce d’orchidée endémique Dactylorhiza maculata subsp battandieri , et semblablement là où l’on avait découvert le seul oiseau endémique de l’Algérie :la sitelle Kabyle (Sitta LedantiVielliard). Ce sont ces oublis qui m’ont poussé à débuter des travaux sur les orchidaceae de Jijel et y jeter dans un début un premier regard qui ne sera que très attentionné !
Commence alors pour ma personne une série de prospections printanières et une quête de photographies d’orchidées. Cela tombait à merveille, j’aime la photographie et sa pratique est indispensable pour s’étaler sur le sujet que l’on désire à présent traiter, examiner ou maîtriser. Pour vous dire déjà, j’ai été ébloui par le passé par les macros et microphotographies prises lors d’un concours organisé par la revue Science & Vie et où l’on avait dans des numéros antérieurs expliqué la technique photographique. Cela m’a servi et me sert encore maintenant bien que le numérique en a facilité la prise de vue. Un jour vraisemblablement, l’on débattra sur ce site, de la problématique de l’approche photographique des fleurs d’orchidées.
Au cours de mes randonnées et visites sur terrain, lors de prospections archéologiques, je suis souvent mené à m'intéresser aux plantes et animaux que je rencontre et que je photographie à tout bout de champ, croyant utilement qu'un jour ces images serviront à la recherche locale. Je m'intéresse également à la géologie du pays et à ces roches. Grâce à cette curiosité, en envoyant une photo à Rebbas K. que j'ai prise près de la banlieue de Jijel en mars 2012, il l'a vite authentifié comme étant un Ophrys fusca. C'était ma première orchidée jijelienne. Puis il ajouta encore pour moi un Serapias strictiflora, espèce d'un autre genre d'orchidée, que j'ai observée en avril 2013 dans des formations gréseuses à l'ouest de Jijel.
Puis chaque week-end, je m'"envolais" en montagne, pour ce qui nous reste, à la recherche d'"altitude orchidale".
À l'occasion du premier mai 2013, jour férié, je saisis l'opportunité pour me transporter aux Béni Yadjis, contreforts nord-est du mont Tamesguida au sud de Jijel, en compagnie d'un ami qui habitait la région, grandement désertée depuis les événements tragiques qui ont touchés la contrée. Nous nous sommes convenu d'aller explorer une petite grotte, en même temps, cela allait me permettre d'y étudier des plants d'orchidées, si l'on en trouve. Finalement, sur le versant nord d'un premier contrefort de montagne, depuis la route cotée 700 m, jusqu'aux rebords en terrasses de l'oued Djendjen qui coule en contre bas à 300m d'altitude, et tout le long d'un parcours descendant d'une prospection qui aurait duré deux heures environ, j'ai pu observer six espèces d'orchidées différentes qui viennent par conséquent grossir l'inventaire jijelien. Ce sont de haut en bas, Ophrys grandiflora, Serapias strictiflora, Serapias parviflora, Ophrys speculum, Ophrys bombyliflora et enfin un Ophrys sp, dont je n'ai pas pu déterminer l'espèce et qui s'avérera plus tard exceptionnel.
Enthousiasmé par ses découvertes très intéressantes pour la flore jijelienne, une deuxième visite m'a conduit trois jours plus tard à prospecter le massif à une dizaine de kilomètres à l'ouest de ma précédente exploration, à Béni Foughal, pour en apprécier de nouvelles répartitions d'orchidées. Malheureusement, une journée brumeuse ne m'a pas permise de m'aventurer assez loin et je me suis dès lors contenté d'observer les talus et les bords de la route. Seulement, quand la topographie du terrain le permettait je m'aventurai un peu plus haut en remontant plus en amont à une centaine de mètres maximum. C'est à cette occasion que j'ai par trois fois rencontré des Ophrys lutea ou Ophrys jaune. Malgré la bruine et le sol impraticable, j'en ai pris des photos pour la science : de très belles. Sur l'une des trois stations, j'en ai recensé une dizaine de pieds, certains comportant quatre fleurons. Curieusement sur ce parcours je n'ai observé aucune autre orchidée d'un autre taxon. Mais je suis sûr qu'à côté des lutea, d'autres Ophrys possédant un labelle aussi jaune (Ophrys numida, par exemple) existent, et j'attends seulement une assurance scientifique en revoyant mes photos pour vous les montrer. Ce pressentiment conjoins à la présence prémonitoire d' Ophrys numida fut confirmé plus tard lorsque je revoyais de nouveau mes multiples photos d'ophrys de couleur jaune. Sur certains labelles, j'étais effectivement intrigué déjà par leur forme et puis par une trainée de couleur rouge ocre qui entourait la macule. À côté d' Ophrys lutea, ils existaient bel et bien des pieds d' Ophrys numida.
Ophrys numida. Béni Foughal (Jijel) 04-V-2013Une semaine après, j'y suis revenu à la faveur d'un temps plus clément et par intermittence ensoleillé. Je devais surtout, en compagnie de deux amis, aller visiter quelques vestiges antiques existants là-bas. De la route, on a suivi un sentier descendant et pittoresque à travers terrains et habitations. Bizarrement, on n'y a observé aucune orchidée. Mais arrivé dans un endroit dégagé près de ruines antiques éparpillées, la moisson débutait. Comme à Béni Yadjis, j'ai croisé des Ophrys speculum ou Ophrys miroir, à cause de sa macule bleu-ciel caractéristique qui fait penser à un miroir, et des pieds de Sérapias. S'en suit, tout près d'une tombe antique, un florilège d'ophrys grandiflora aux macules paraissant différents [7], et exceptionnellement pour la région des pieds d'Ophrys mirabilis, espèce qui, comme on l'a noté précédemment, fut découverte en Algérie par le professeur Rebbas, et d'Ophrys funerea : encore que certaines de nos photos suggèrent qu'il puisse y exister un hybrides avec un autre Ophrys à découvrir. C'est donc joyeusement, pour ces deux dernières, que l'on additionne une nouvelle station à celles connues en Algérie. Pour l'événement, il fallait en conséquence photographier avec souci du détail ces petites merveilles, tellement elles se ressemblent grandement si l'on ne s'y aperçoit pas de la différence, pour un profane. J'allais vite d'un pied à un autre, délaissé par mes amis, mais croyant fermement que cela valait la chandelle. C'est à ce moment là d'attention particulière, juste avant la pause de midi trente, que j'ai rencontré à cette altitude le seul pied d'Ophrys lutea près d'un autre mirabilis. Mais le clou de la journée fut l'observation de dizaines de pieds d'Orchis patens aux fleurs d'une subtile couleur pourpre qui ne laisse pas indifférent. Trouvés sur un terrain légèrement en pente, la découverte est circonscrite à quelques dizaines de mètres carrés ; les plus grands plants ne dépassent pas 30 cm. De ce fait, en sus de nos nouvelles et admirables Ophrys, le genre Orchis vient augmenter notre collection locale.
Fleurs d'Orchis patens. Béni Foughal (Jijel) 11-V-2013Porté par l'"entrain orchidal", je parcours le week-end suivant encore un autre endroit : la forêt de Djimla, toujours en quête de nouvelles stations d'orchidées. J'y suis allé à partir du col de Fedoulès. Contournant Kef Hamam (Rocher des Pigeons), je sui passé à l'est pour aller observer quelques petites mares dont Ghedir Teldj (Mare de la neige), assez grand plan d'eau se situant à 1200 mètres d'altitude. De mon hauteur, j'ai profité pour prendre des images pour certains de mes lecteurs d'Outre-mer qui vivaient à Sidi Assaout et Bellala près de Tassala.
Paysage près de Ghedir Telj (Jijel) 25-V-2013Par contre, peine perdue pour ma quête, je n'ai pas rencontré d'orchidées, pourtant la forêt est grande et belle. Sur ce point, près de Fedoulès, elle était bien entretenue et il y avait de beaux reboisements de cèdre de l'Atlas (Cedrus atlantica) et les arbres qui grandissaient avaient un élégant bon port. Je ne dois que féliciter les forestiers qui ont également dressé des enclos pour éviter les pâturages et ça marche bien. On sent que l'on est dans une forêt, l'ancienne piste est même recouverte d'herbes. Comme quoi rien n'est impossible pour l'écologie. Je vous parlerai plus tard d'une plante que j'ai observée et qui m'a intrigué. Toutefois, en me dirigeant vers Djimla en empruntant une belle petite route goudronnée, j'ai remarqué au dessus d'un fossé bétonné quelques hauts pieds de Serapias. De très gracieux. Cet endroit est probablement propice à la découverte d'orchidées, je ne l'ai pas visité estimant que la saison est passée pour qu'heureusement j'en puisse en trouver certaines en pleine floraison.
Ceci est un premier inventaire des orchidées rencontrées dans la région de Jijel. Dressé rapidement, j'ai envoyé le texte à mon ami Rebbas pour un avis scientifique et afin qu'il m'aide à la reconnaissance de certaines espèces.
Du coup, sa réponse m'a beaucoup plus émue qu'étonnée. Parmi les photos que je lui avais transmises, deux ont retenu son attention et celle du Dr. Errol Véla [8]. En plus d'un hybride d'Ophrys mirabilis assez exceptionnel ; on était pour l'autre Ophrys véritablement en face d'une découverte ou redécouverte exceptionnelle pour la flore algérienne. J'ai découvert et photographié une espèce rare et reconnue seulement en Sicile ou elle possède la particularité d'endémicité et probablement anciennement remarquée en Algérie puis non revue depuis. À cause du caractère exceptionnel de cette redécouverte et la possibilité d'une proche publication, il n'est malheureusement pas possible de divulguer pour l'instant le nom de cette orchidée, ni en poster une image. Néanmoins, quoiqu'il s'agisse, je vous promets de montrer dans les plus brefs délais cette nouvelle orchidée accompagnée d'un texte explicatif.
Auparavant, pour valider cette découverte, et afin d'identifier complètement l'espèce, K. Rebbas s'est déplacé jusqu'à Jijel, où ensemble tous les deux, nous nous sommes dirigés vers le lieu de la découverte espérant revoir notre orchidée en pleine fructification. La forme de la fleur et la dissection d'un ovaire nous permettra, sans nul doute, d'en faire une description plus profonde et une analyse plus pointue. Le Dr. Rebbas Khellaf à la sortie du bosquet de chênes lièges. Béni Yadjis (Jijel) 31-V-2013Malheureusement, malgré nos recherches acharnées, les yeux bien ouverts, il nous a été impossible de la retrouver, ni même le pied d'Ophrys bombiliflora qui traînait tout près, lors de la prise de vue du spécimen. Nous étions un peu découragé, toutefois une autre découverte quelques centaines de mètres plus loin d'un pied d'orchidée possédant un ovaire plein pourrait suggérer vu la forme du labelle et la couleur des fleurs qu'on était en présence de la même espèce que l'on recherchait. Son analyse complète nous fournira prochainement une réponse définitive. Heureusement, mes séries de photos où l'on voit cette espèce en fleurs, d'autres fannées et une autre montrant les ovaires, existent pour soutenir l'inédite algérienne.
Tout aussi palpitant, en attendant nos investigations, je vais vous narrer comment en pénétrant à travers un étroit sentier forestier, notre ami me fit découvrir une espèce d'un autre genre d'orchidée, un Epipactis helleborine qu'il projetait aller photographier au Djurdjura. Il était là tout près de lui et nous en vîmes à l'instant une dizaine individus tout autour. Bien que ces spécimens ne portaient pas de fleurs, il s'était empressé de les photographier emporté nul doute par un soudain ravissement. Pris par l'enthousiasme, il se courbait à la tâche en prenant une multitude de clichés. J'en faisais la même chose et je pénétrais dans le fourré à genoux. Sitôt satisfait, nous continuons notre légère montée à travers bois quand soudain, quelques mètres plus loin, nous rencontrons un autre Epipactis mais cette fois-ci en fleur puis un second. C'était la frénésie. Une lumière transperçait la forêt et venait éblouir notre belle orchidée et iriser nos objectifs, ajoutant ainsi une touche spirituelle et esthétique à la trouvaille. Devant un tel spectacle, une immense joie nous remontait aux cœurs et derechef, nous en prîmes pleins de photos.
Plein d'euphorie, on sort finalement du bosquet, pour rencontrer de beaux genêts tricuspides tout en jaune. C'est justement près de l'un d'eux que l'on a remarqué encore un Anacamptis fragrans.
À voir donc, la journée n'était pas gâchée, pour vous dire qu'au matin en voiture, en abordant un virage qui devait nous ramener vers notre station, on s'était arrêté pour observer d'agréables Ophrys apifera accrochés à un haut talus de route très redressé à côté de pieds de Serapias parviflora. En un autre endroit tout proche, on est tombé sur un Orchis italica aux feuilles ondulées très caractéristiques mais dont la tige florale fut découpée. Au final, cette journée a ajouté à notre inventaire deux nouveaux genres d'orchidacae avec une espèce chacun, une nouvelle espèce d'Ophrys et une autre d'Orchis. Qui dit mieux ?
Le décompte final recense seize d'espèces d'orchidées pour cinq genres, dénotant une admirable biodiversité florale pour une simple parcelle du territoire jijelien et une courte période d'observation. Certainement, un bel hommage à la biodiversité de la région très mal considérée et très peu étudiée.
Les années prochaines seront certainement plus excitantes et plus riches et promettent d'heureuses moissons que nos objectifs ne manqueront pas d'immortaliser.
Avant de clore ce voyage champêtre, vous vous en êtes sans doute aperçu, je ne donne pas de localisation précise des observations, ni de description détaillée, en ce sens que ce travail est non encore fini : il le sera progressivement. Détaillé puis enrichi, il se pourrait cependant qu'il fasse lui aussi l'objet d'une publication, s'il est accepté par quelque revue scientifique d'orchidophilie ou de botanique. Bien que pour le moment, on s'attelle parallèlement et minutieusement à la préparation de la publication concernant la découverte de l'Ophrys inédit pour notre région et notre pays.
En attendant d'autres sorties et d'autres découvertes, voyons ce que nous avons sous la main et analysons une à une les espèces orchidées rencontrées dans la région de Jijel. Cliquez ci-dessous :
Photos des Orchidées de Jijel