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Jijel-éco, En vert et contre tous |
Orchidaceae; Anacamptis papilionacea, Orchis lactea, Barlia robertiana, Aceras anthropophorum, Ophrys subfusca, Ophrys iricolor subsp vallesiana, Ophrys pallida : Algéria, Jijel, Béni-Yadjis, Djimla, Tamentout.
En 2013, pour la première fois, nous avions entrepris d'observer, de reconnaitre puis de recenser les orchidées de la région de Jijel. J'en avais livré un modeste article sur ce même site, dressant un premier inventaire où fut listé un assez important nombre d'orchidées, environ une vingtaine d'espèces si l'on compte quelques atypiques. Nous avions de ce fait visité, un espace d'étude très largement restreint, deux stations seulement situées à une trentaine de kilomètres au sud de la ville de Jijel. Cette année-là, fut pour nous le point de départ de notre contact avec le monde des orchidées.
L'inventaire précédent fut marquant et encourageant à juste titre. Cela, il faut l'avouer, ne nous a pas empêché d'éprouver, comme les auraient ressenties d'autres avant nous, de puissantes émotions et d'indescriptibles sensations mêlées à une grande joie lorsque nous fîmes de fabuleuses trouvailles : « inédites » pourrait-on l'affirmer, qui subirent par ailleurs l'approbation de deux publications ; une première dans la revue Lagascalia [1] fin 2013, l'autre début 2014 dans le Journal Europastich Orchideen[2].
Fig.1 : Epipactis tremolsii subsp. tremolsii, Algérie : Région de Béni-Yadjis (Jijel), 31.V.2013 [K. Hadji].Entre-temps, mon ami Rebbas de l'université de M'sila, avait soumis au docteur Karel Kruntz une série d'images prises à Jijel en 2013; celui-ci en retour estima que des identifications assez poussées pour certaines espèces d'orchidées s'avéreraient nécessaires. Ce dernier, procédant parallèlement à un travail de révision systématique des orchidées d'Afrique du Nord, a en particulier, présenté l'Helleborine (Epipactis helleborine) (fig.1) photographiée dans la forêt de Béni Yadjis cette année-là comme étant un Epipactis tremolsii C. Pau subsp. tremolsii[3], précisant notamment que c'est un « original algérien ». La sous-espèce ainsi déclarée n'est mentionnée ni dans la flore de Maire ni dans celle de Santa et Quezel. Il en est de même pour Serapias lingua subsp. oranensis[4] qu'il a observé et décrit en Oranie toujours dans ce sens des appréciations systématiques.
Sans vouloir m'attarder sur la mécanique régissant les nouvelles règles de taxonomie locale, tout aussi agréables pour moi que pour des spécialistes ou passionnés de botanique systématique, en quête de nouvelles connaissances, mais qui n'est pas le sujet du jour, le processus de sous-spéciation entamé par le spécialiste montre l'étonnante biodiversité que recèle le secteur K2 dont notre terrain d'étude fait joyeusement partie. En revanche, cette partie du secteur dit numidien est de plus en plus menacée. Défrichements anarchiques, feux, constructions densifiées, travaux routiers (déblaiement, remblaiement), barrages _ trop nombreux pour une seule wilaya : conséquence sur la circulation des humidités, isolement des populations _, pression anthropomorphique (démographie), pollutions diverses, détournement de cours d'eau (agriculture, industrie), déviation des sources d'eau, etc..Guette dangereusement la biodiversité locale, sans oublier les effets climatiques sous-jacents, pernicieux, non quantifiés et non pris en charge par les pouvoirs publics, ni à court terme ni à long terme.
Toutefois, au printemps 2014, des explorations nouvelles permirent de reconnaitre d'autres stations d'orchidées à travers l'immense terrain montagneux de Jijel. Il fallait en dénicher de riches. Comme l'année précédente, notre recherche s'est révélée tout aussi fructueuse, haute en couleur et intéressante en diversité. Depuis mars jusqu'à juin 2014, j'ai ainsi exploré plusieurs endroits qui semblaient montrer des indices probants à l'observation des orchidées. Dans ce cas, j'ai visité principalement des montagnes qui courent le long de l'axe baborien bifide dû à l'échancrure de l'oued Djendjen, au Nord et au Sud, toutes à plus de 1000 mètres d'altitudes, à Chahna, Ma Bared, Texenna par exemple. Bien évidemment, j'y suis retourné à la contrée de Béni Yadjis qui demeure par ailleurs le district le plus riche pour l'instant en orchidacées, de ce fait, mon terrain de prédilection. Et, fait un saut à Djimla (fig.2) aux contreforts sud de djebel Bou Azza ainsi que dans la magnifique forêt de Djimla couvrant généreusement le djebel Bou Affroune. Des visites de prospection à proximité de la ville de Jijel ont été également réalisées.
Fig.2 : Station à orchidées à Djimla (Jijel), Algérie : 19.IV.2014 [K. Hadji].Si l'an passé, on avait reconnu une majorité d'orchidées du genre Ophrys, cette fois-ci, d'autres genres honorent la saison comme le genre Orchis ou Anacamptis selon les classifications assez remuantes des botanistes pris par une concurrence scientifique acharnée mais bénéfique. Dans ce sens, le débat taxonomique et les tendances de classification des différentes écoles européennes pour la plupart, en ce qui touche la flore algérienne, seront à temps utile abordés ultérieurement.
Ainsi, c'est à Béni Yadjis que j'ai vu mon premier Anacamptis papilionacea (L.) R.M. Bateman, Pridgeon & M.W. Chase subsp. grandiflora (Boissier) Kreutz ou Orchis papilionacea (fig.3) dénommé justement « Bouferttetiou» en langue vernaculaire, les profanes ou « conservateurs de la langue » apprécieront. Parmi les nouveautés, on citera encore Aceras anthropophorum = Orchis anthropophorum dit aussi Orchis de l'homme pendu, dénomination que l'orchidée n'usurpe pas du tout (fig.4). En parallèle, deux autres plants sont venus également enrichir le genre Ophrys, il s'agit d'un Ophrys subfusca (fig.5) observé à côté de plusieurs lutea et d'un joli Ophrys iricolor subsp. vallesiana (fig.6) trouvé en unique exemplaire ; déficit en nombre dû sans doute à la constatation tardive de l'espèce et à la sécheresse relative de l'année 2014.
Fig.3 : Anacamptis papilionacea subsp. Grandiflora, Algérie : Région de Béni-Yadjis (Jijel),Comme expliquée précédemment, une journée fut réservée à la forêt de Djimla. Le début se fit à partir du pittoresque col de Tamentout avant de cheminer avec enthousiasme parmi l'apaisante verdure du matin puis le long des flancs boisés ou défrichés de Bouafroune. Une belle randonnée en passant... Ne pouvant pas tout explorer en un jour, la prospection fut donc sommaire. Pressé de rentrer dans les bois, j'ai totalement failli fouiller plus et minutieusement, un terrain dégagé tout proche, auprès duquel, à 1000 m d'altitude environ, je le précise, de très beaux spécimens d'Orchis lactea (fig.7) agréaient le parterre à l'ombre de buissons peu élevés, perlés d'humidité. Leurs fleurs d'un « blanc laiteux » (sic) "miraillaient" au soleil du matin. Disséminée en plusieurs petits bouquets, l'espèce s'offrait ainsi pour la première fois à nos yeux fous de plaisir. S'il y en avait assez pour le regard, peu d'images furent par contre captées à cause d'un ennui technique réglé ultérieurement.
Fig.7 : Orchis lactea, Algérie : Région de Tamentout (Jijel), 14.04.2014 [K. Hadji].Quelques kilomètres plus loin, en direction de l'est, à la lisière de la forêt, sur un coteau visiblement incendié peu d'années auparavant, j'ai remarqué, parmi les quelques chênes zeen survivants tant bien que mal, une grande orchidée mesurant 60 cm de hauteur : mon premier Barlia robertiana ou Himantoglossum robertiana (fig.8).
Au total, deux orchidées furent d'observées à Bouafroune de Djimla, ce qui peut paraitre très maigre comme moisson, mais en revenant l'année prochaine à des périodes décalées l'on pourrait sûrement augmenter le nombre.
Fig.8: Himantoglossum robertiana, Algérie : Région de Tamentout (Jijel),Mes déplacements à Chahna et Erraguène-Selma, de ce point-là, ont été décevants. La prochaine fois, l'on changera inévitablement de période, mais surtout de terrains. On trouvera bien, on l'espère, des spécimens qui présenteraient de l'intérêt. Cependant, une priorité sera donnée au bassin néogène de Jijel dont j'ai remarqué l'extrême richesse cette année sauf que je m'en suis pris trop tard pour vous livrer quelques exclusivités. Il y avait surtout en abondance des Sérapias sp, des Orchis fragans près de quelques d'Ophrys sp. déjà dépéris pour la saison qu'il m'était difficile, vous en convenez, d'en coller un nom. Mais j'ai senti au regard de la vraisemblable richesse, j'en possède maintenant une petite expérience, une particularité qui pourrait exposer à la vue quelques nouveautés locales ou des "fantaisies" botaniques à découvrir.
Jusque là, six (06) nouvelles espèces d'orchidées sont venues élargir l'inventaire des orchidées de la région de Jijel.
En tout, le bilan des observations de l'année 2014 accroît l'inventaire provisoire des orchidées de Jijel à 23 espèces. Il est utile de préciser que la flore d'Algérie compte environ une soixantaine d'espèces d'orchidées.
En dehors des prospections et descriptions botaniques précédentes, j'ai accompagné pour une journée mes deux amis Rebbas et Kruntz afin que l'on observe derechef ensemble, la rarissime espèce Ophrys pallida Raf. puis d'en quantifier sa répartition et en dresser un comptage exact.
Fig.9 : Ophrys pallida en fin de floraison, Algérie : Région de Béni YadjisMes deux compères, saisissant l'occasion, voulaient chacun de son côté posséder des clichés rares d'O. pallida pour leurs travaux et ouvrages respectifs qu'ils préparent : le premier traitant des orchidées d'Algérie, le second, un livre en cinq volumes sur les orchidées d'Afrique du Nord, d'Europe et du Moyen-Orient. Il faut admettre justement qu'il n'existe aucune image reconnue de l'espèce nord-africaine à part les miennes qui furent prises le 1er mai 2013.
Malheureusement, contrairement à l'année passée, les spécimens retrouvés, c'est déjà heureux d'en avoir dénombré cinq exemplaires, étaient en fin de floraison et presque fanés. On a tous toutefois pris des clichés de la très rare variété et de sa seule station reconnue jusqu'à présent en Afrique du Nord (fig.9).
Toujours est-il, dans les parages près de Taberkout, nous avions fait une halte "scientifique" en face d'un éblouissant peuplement rose d'Orchis patens accroché à la roche. L'effet était extrêmement gracieux ; toutefois, les fleurs présentaient sitôt un début de flétrissement et semblaient moins "sanguines" que celles de Bouchkaïf, avais-je opiné à Kreutz qui s'en était étonné de ma réflexion. Il a estimé qu'il était judicieux qu'on y jette un oil, malheureusement très peu de temps nous était imparti pour le faire, vu la distance à parcourir. On s'est alors reployé sur ces dernières, prenant à l'occasion et avec enthousiasme des dizaines de photos.
Au cours de la même discussion, somme toute informelle, on a abordé la problématique du nominal précis de l'Ophrys mirabilis P. Geniez & F. Melki « algérien », que mon ami Rebbas et son compagnon Errol Véla étaient censés avoir découvert en Algérie, principalement en Kabylie [5]. Nous-mêmes avions cru retrouver plus tard cette orchidée à Jijel [6]. Mais, selon Kreutz, dont le français charme l'oreille, l'appellation est « illéguitime » (comprendre illégitime) ; Ophrys mirabilis, reste un endémique sicilien différent du taxon algérien, sa dénomination conforme serait : Ophrys fusca subsp. Haekeii [7]. Jusqu'à nouvel ordre, pourrions-nous prétendre !
Les péripéties scientifiques sont fascinantes, celles botaniques seraient vraisemblablement plus "charmantes". Ainsi, face à notre exaltation permanente, on pourrait légitimement se poser une seule question : Que ne ferait-on pas pour les orchidées d'Algérie ?
Karim Hadji