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Orchidaceae ; Ophrys, pallida : Algéria, Jijel, Béni Yadjis.
Sitôt passé le col de Texenna, en regardant au sud, on découvre facilement une montagne dressant fièrement son sommet en triangle vers le ciel. C'est le mont Tamesguida (1626 m), éminence dominant l'arrière pays très abrupt du sud de Jijel. Son versant septentrional comporte une succession de sols instables, formés de marnes, schistes et grés ; par endroits quelques affleurements calcaires surgissent. Il est entrecoupé par une succession d'importants ravinements et escarpements dangereux, du fait d'une forte pluviosité souvent torrentielle. L'impression est encore plus forte lorsque l'on s'approche des principaux écoulements ou des terrains surélevés au dessus de l'Oued Djendjen. C'est également l'une des zones des plus humides du pays. L'axe Texenna-Tamesguida, reçoit avec le massif de Collo, le maximum de pluies torrentielles en Algérie. Il pleut en moyenne 1200 à 1400 mm par an, sans doute encore plus sur les hauteurs.
C'est dans ces contrées fabuleuses, ou « les oueds perdent plusieurs fois leur sens » dixit PIERRE SALAMA, que ma quête des orchidées de la région de Jijel avait débuté en avril 2013. J'avais, si l'on s'en souvient, dans un précédent article sur ces mêmes orchidées, soulevé la redécouverte dans la région de Béni Yadjis d'une exceptionnelle orchidée, du genre Ophrys dont je n'avais toutefois pas livré le nom de l'espèce. J'attendais, j'avais expliqué le contexte, à ce que cet événement important fasse en premier lieu l'objet d'une publication scientifique reconnaissant la pertinence de la retrouvaille botanique, sans que ne soient omises les vérifications nécessaires, et la consultation d'experts, dont prioritairement KHELLAF REBBAS de l'université de M'sila et ERROL VÉLA de Montpellier, qui nous ont particulièrement aidé dans la description de l'espèce puis dans la rédaction de l'article. Qu'ils en soient remerciés ici. Pareillement, on a bienheureusement reconnu de nouvelles stations d'orchidées à Jijel, qui dans la prime exploration, nous ont fournies d'intéressantes espèces. Ainsi, de concert avec les deux premiers chercheurs cités plus haut puis avec C.A.J. KREUTZ, botaniste hollandais de l'université de Wageningen, elles seront revisitées au printemps prochain.
Fig.2. Le pic de Tamesguida aux Béni Yadjis. Jijel. [K. Hadji].Mais de quelle espèce d'orchidée s'agissait-il ?
E. VÉLA à qui on a soumis des photos de notre orchidée, répondit avec enthousiasme à K. REBBAS en lui témoignant correctement : « Dites bravo à votre ami, il vient de découvrir Ophrys pallida ».
Nous nous sommes donc, tous les deux K. REBBAS et moi-même, hâté à rédiger un article consacrant notre exceptionnelle trouvaille, après que l'on ait fait évidement un nouveau saut à cette nouvelle station.
Au mois de septembre dernier, une réponse positive nous est parvenue de Lagascalia, une revue spécialisée éditée par le département de botanique de l'université de Séville (Espagne), notre papier est finalement accepté ; il paraîtra dans le volume 33-2013.
L'espèce Ophrys pallida fut remarquée au début du 19e siècle en Sicile, près de Palerme. Elle fut décrite au nombre de pseudophrys de Sicile dont certains y sont particulièrement endémiques à la grande île de Méditerranée.
En Algérie, c'est en premier A. MUTEL, en 1832-1833, qui en parcourant la région d'Annaba découvre cette nouvelle orchidée. Un autre signalement est fait à Djebel Ouahch sur les hauteurs de Constantine. Un document de l'Herbier du Muséum de Paris le prouve clairement, il montre dix exemplaires d'Ophrys pallida recueillis le 17 mai 1892.
MUTEL, à qui l'on doit la première observation, a décrit le nouvel Ophrys algérien sous le nom d'Ophrys pectus [STEINHEIL, Ann. Sci. Nat., sér. 11: 16-53 et 384 et pl. 1 (1838)]. Mais l'on s'accorde qu'Ophrys pallida, décrit en Sicile, est le nom prioritaire d'O. pectus, décrit à Annaba.
Malgré des recherches intenses autour de la ville de Annaba et dans le djebel Ouahch (DE BÉLAIR, VÉLA), il n'a pas été possible de retrouver cette plante en Algérie (REBBAS et VÉLA, 2008).
Fig.3. La fleur d'Ophrys pallida Raf. : Béni Yadjis. Jijel, 01.05.2013. [K. Hadji].Dans le même sens, les explorations faites en Tunisie, à Malte et en Sardaigne signalant sa présence se sont avérées erronées.
En plus, jusqu'à notre signalement récent décrivant le lieu de la découverte appuyé par d'exceptionnelles photos de pallida, cet Ophrys était dépourvu d'images prises en Algérie. Dans un article récent sur les orchidées algériennes, préparé par C. A. J. KREUTZ, celui-ci a également commenté la "réapparition" de ce taxon à Béni Yadjis (Jijel), en estimant que « c'est une preuve remarquable ; c'est la première découverte depuis plus de cent ans. »
Ophrys pallida Raf. a été découvert par mes soins (K. HADJI), le 01 mai 2013, en fin de floraison, à l'occasion d'une sortie botanique que j'avais entreprise dans la région de Béni Yadjis (Jijel, Algérie).
Ce jour là, en effet, j'étais à mes premières recherches sur les orchidées locales, ou de Petite Kabylie dans sa partie orientale, et c'est seulement en fin de parcours, lorsque le ciel commençait à se couvrir et devenir gris, menaçant même, que j'en ai fait l'étonnante observation.
Depuis tôt le matin, je disais donc, je m'attelais à photographier dans la même zone, difficile par ailleurs, parcourant des pentes escarpées et des endroits très instables surplombant l'oued Djen-Djen, des espèces d'orchidées que je venais de découvrir pour la première fois, avec un enthousiasme, qui a vite fait d'effacer nos endurances. Finalement, au cours de ce sensationnel parcours botanique, j'en ai recensé cinq types d'orchidées aux divers phénotypes. Cependant, Ophrys pallida a rapidement attiré mon attention, déjà par la couleur blanche de ses fleurs, de leur petitesse ; puis par la forme recourbée vers l'intérieur du labelle. La fleur est d'une délicatesse qui nuançait avec celles de toutes les autres espèces observées jusqu'ici, allant même croire, faussement, au regard de sa pâleur, que l'on avait affaire à un albinos. Une mutation connue chez les êtres vivants qui provoque l'absence de pigmentation.
Fig.4. Floraison d'Ophrys pallida : Béni Yadjis. Jijel, 01.05.2013. [K. Hadji].Malheureusement, dérangé par une partie de chasse aux sangliers qui se déroulait tout près de là, on ne s'y était pas attardé mon compagnon et moi, de peur d'être agressé par un animal blessé dont nous avions vu des traces de sang près d'un ruisseau où trônent quelques Serapias arborant une belle couleur rouge brique. Néanmoins, j'ai tout de même eu le temps de rapporter des clichés de trois individus différents de l'exceptionnel Ophrys.
La station ou a été découverte Ophrys pallida se situe à une altitude d'environ 362 mètres, sur un terrain découvert à dominance Asphodelus microcarpus Salzm. et Viv. orienté Nord-Est. Ce dernier se retrouve sur une légère pente descendant en direction de l'oued Djendjen, l'un des principaux cours d'eau de la région qui coule en contrebas, et reste proche de Mechta Rassikha qui le surplomb. Un couloir de forêt que la carte au 1/50 000e de Tamesguida désigne par forêt des Béni Yadjis, composée de chênes lièges, barre au nord la station et l'isole de l'oued. Cet ensemble végétal, est posé aux pieds des Djebels Si Oussaf et Sidi Mansour, contreforts nord-est du mont Tamesguida (1626m). Celui-ci prolonge à l'est la chaîne dite des Babors.
Fig.5. La station d'Ophrys pallida : Béni Yadjis. Jijel, 01.05.2013. [K. Hadji]Ophrys pallida est une orchidée rare et très localisée. Cependant, dans les stations où elle existe, on peut la rencontrer en un grand nombre d'individus. Elle pousse jusqu'à une altitude de 900m. Sa période de floraison s'étale de mars à la mi-mai. C'est une plante élancée, de 10-30 cm de hauteur avec 2 à 6 petites fleurs qui s'alternent dans un épi dense sur le denier haut quart de la tige.
La fleur d'Ophrys pallida possède un très petit labelle trilobé et très convexe ; penché, il est fortement rabattu en arrière. La base du labelle est jaunâtre, une gorge en V profonde sépare deux proéminences. Sa pilosité est pourpre foncé. La macule est bilobée de couleur grise munie de lunules blanchâtres à son sommet. Les sépales de couleur blanche à vert pâle sont très arqués vers l'avant. Elles sont dessinées au milieu par un trait plus foncé.
Fig.6. Ophrys pallida en fleur et en fruit : Béni Yadjis. Jijel, 01.05.2013. [K. Hadji]L'Ophrys pallida, fait partie du groupe d'Ophrys obaesa (Ophrys obèse), c'est une espèce très singulière que l'on ne peut confondre avec aucune autre. Les mentions d'hybridation avec d'autres espèces sont rares, ce qui conforte l'hypothèse d'un taxon très stable et génétiquement probablement assez éloigné des autres pseudophrys.
Rencontrés chez nous à différents stades de maturation : en fleurs et surtout avec des fleurs fanées et ovaires pleins ; on pourrait facilement suggérer que l'espèce se développe assez tôt dans l'année, vraisemblablement au mois d'avril, quand bien même avant.
Fig.7. Holotype d'Ophrys pallida Raf. : Béni Yadjis. Jijel, 01.05.2013. [K. Hadji].Toute la partie en terrasse bordant la rive droite de l'oued Djendjen, lieu de notre découverte, est demeurée inhabitable pendant presque deux décennies, elle l'est moins maintenant. Durant les deux décades passées, elle fut donc épargnée des travaux agricoles et des pratiques d'élevage. Il est donc permis d'espérer de rencontrer les années suivantes d'autres pieds d'O. pallida sur les parcelles de terrains encore vierges, qui ne sont plus labourées, ou qui puis est, sont demeurées assez longtemps à l'abri de la fréquentation d'animaux domestiques.
Dans ce cas, quoiqu'il s'agisse, la station de Béni Yadjis doit être étudiée plus profondément afin de conforter définitivement la présence d'Ophrys pallida en Afrique du Nord, et gommer l'hypothèse de sa rareté apparente, de son absence, voire de son extinction. Raisonnablement et à bon propos, il serait donc particulièrement souhaitable que l'université algérienne réalise son propre herbier d'O. pallida mentionnant toutes les caractérisations botaniques. En même temps, tout en élargissant la zone d'observation, sur les terrains à proximité, notamment ceux de Mighrane et Taberkout, on pourrait profiter par ailleurs, au cours de fréquentes visites, à bien recenser notre espèce locale, mieux cerner sa répartition temporelle et décrire avec affinité sa distribution spatiale.
Un autre défi écologique spécialement nous interpelle : le barrage de Tabelout est en phase de construction et l'on peut se demander si sa mise en eau ne va malheureusement pas noyer complètement notre station ou la perturber. D'où la rapidité avec laquelle il faudrait explorer les berges de l'oued Djendjen le long du couloir menant vers Erraguène et y procéder à un inventaire.
Une autre menace viendrait de la future autoroute Jijel-Sétif, en remplacement de l'actuelle R.N. 77, dont le tracé enjamberait l'oued Djendjen presque à cet endroit.
Dans un autre registre, des efforts sont vivement recommandable dans l'espoir de trouver d'autres nouvelles stations d'O. pallida à l'intérieur de l'extraordinaire territoire jijelien dont certaines de ses contrées sont depuis longtemps restées vierges et pour certaines demeurées inexplorées.
Karim Hadji