jijel-archeo |
Jijel-éco, En vert et contre tous |
Combien de fois nous nous sommes rendus en mer : sans pouvoir compter les jours, combien avions-nous contemplé ses tableaux, les décors et les robes mille fois renouvelées. Aubes et couchers de soleil en toutes saisons, houles, vagues, brumes et embruns ont accompagnés nos parcours plats, nos zèles édulcorés ou nos vies frôlant la simplicité. Des années, des siècles, des ères…, tas d’ingrats que nous sommes, restions impassible à sa charité. À la Téthys, nous n’étions pas nés. Cependant, combien avions-nous plongé dans la "lie" de la Mer Téthys (j’ai répété exprès), celle-ci qui envieillissant puis en s’amenuisant enfanta notre Méditerranée : la mer blanche du milieu (ou assez bien) comme traduisait plaisamment de l’arabe un ami.
Dire aussi que l’on s’amusait allègrement, regardant en haut alors que c’est la similaire couleur, feignant d’oublier par habitude plus que par désintérêt que le spectacle est tout près, la médication à portée de main. Et puis, sitôt les clameurs étésiennes éteintes, l’on délaisse dès lors notre mer sans égard, sans que l’on loue, au moins une seule fois, et ce sera très cupide de notre part, ses mérites et ses bienfaits ; bien plus on s’en éloigne. Les années passent, les tragédies et les joies défilant, pas un jour, pas une seconde, nous n’avions décidé d’honorer notre Méditerranée, la Thalassa des Grecs, la Mare Nostrum des Romains, ou décrit un tant soit peu ces côtes escarpées, rocheuses ou sablonneuses ; où nous nous entêtions à fréquenter et déranger parfois, sans penser à entrevoir son contenu si l’on défalque absolument les espèces pêchées puis jetées ou vendues sur les étals sales de nos poissonneries dégoulinantes de liquides. Le nom lui-même El-Djazaïr des Arabes, les îles du couchant pour désigner le Maghreb millénaire, n’évoque t-il pas l’omniprésence de ces eaux ? Ce terme ne magnifie-t-il pas d’une certaine manière l’insularité ou l’anecdote presqu’îlienne de notre histoire maritime. Vu les plaisirs et les cures qu’elle nous procure, sans le sou, elle aurait mérité mille et un hymnes, aussi bleus que verts selon que notre regard y perçoit l’horizon à défaut des flots ou que le subconscient les y remémore.
Pourtant, nous tournons de plus en plus le dos à la mer et pareillement nous nous efforcions, sans que l’on le sente, en les quelques décennies passées, d’effacer la campagne, un autre terroir qui nous avait semblé assez accommodé avec les flots. On le remarque, nos contrées, nos sociétés, sont de proche en proche penchées vers un Moyen-Orient tout autant désorienté ? Elles font naître des héritiers indignes de la Méditerranée et dessinent des géographies démembrées et mutantes que colonisent d’ "Apatrides locaux" qui s’éloignent de plus en plus des horizons bleus, fuyant la mer tout en préférant les marées basses dans l’espoir de la voir un jour reculer très loin pour ne plus l’apercevoir. Qui n’aime pas la mer, n’aime pas Dieu. Est-ce vrai ? On dirait de la consolation !
Pourtant, 70% de notre corps, comme la terre, est constituée d’eau, d’eau salée en plus, saturée de chlorures fades et obligatoires. Organisme et terre possédant la semblable eau, l’on pourra dans ce cas, toujours conjecturer à propos de nos origines. Pour une discussion aussi délicate, le débat ne sera qu’objectivement ajourné ; on laissera à une autre date moins spirituelle, moins philosophique que celle qui émane du moment, tant des discordances qui pourraient en résulter. Toutefois, si notre planète possède au dessus de sa croûte une mer extérieure, notre organisme est asphyxié par une mer intérieure. C’est presque de l’intelligence et son contraire. Malgré cela, l’on vit tous les deux sans que nous le serons, nous les humains, autant que la terre. Ce n’est peut être pas juste pour nous, mais que faire ? Somme-nous maîtres de notre destinée. Avons-nous un réel pouvoir face aux éléments ? D’ailleurs qui somme-nous ? Que pouvons-nous ? Ne sommes-nous pas les derniers d’une lignée de mammifères "inconscients "qui ont osés sortir de l’eau et se réapproprier derechef l’oxygène de l’air, le poison des premières heures de la vie, devenu par la suite indispensable à tous, à nous et à nos ennemis ! Les pseudo-amphibiens en ont fait une première et ancienne tentation : ils sont restés proches des mares ! Mais pas nous. Pourquoi notre genre, ou ordre, si ordre existe, qui a doublé les poissons l’a-t-il fait ? Pourquoi nous a-t-il enlevé très tôt les sensations inouïes des caresses hydriques continuelles tant qu’infinies ? Je ne pardonnerai jamais à l’ancêtre lointain.
Je ne pardonnerai pas également aux suivants, car, arrivé à un degré d’intelligence ou de malice, les humains ont osés, débutant depuis le temps de dangereuses machinations, d’hasardeuses manipulations. Même l’atavique oxygène fait désormais partie de leurs recettes. Comble, ils l’utilisent pour en occire d’autres organismes ; en oxygénant encore une fois l’eau pour produire une eau oxygénée afin d’annihiler de paisibles bactéries anaérobies. Reste à savoir si c’est de la chimie ou de la médecine. L’on ne sait d’ailleurs pas si ce gaz est bénéfique pour la couche d’ozone. Puisque l’homme est bête, sans arrières pensées, pourquoi n’arrive t-il pas à ensemencer cette couche d’ozone avec de l’oxygène ? L’homme n’est pas bon réparateur mais excellent perturbateur, un être esthétique, cosmétique. Néanmoins, ne vous en faites pas, ce sont les bactéries qui auront le dernier mot, elles survivront grâce à la théorie du nombre et de l’intelligence. Vous pouvez choisir l’arme, n’importe quel gaz pour les détruire mais resterons les aérobies, les anaérobies, stricts ou pas. En dette d’oxygène, elles auront la vie : sauve.
Pauvre de nous, les retenues d’eau temporaires, il suffit que l’on nous enlève l’oxygène ou l’eau pour que nous disparaissions. Dotés d’extraordinaires et piètres poumons, des organes flasques et complexes, nous n’arrivons pas à égaliser les unicellulaires pour qui toute la machinerie physiologique est zippée dans une seule cellule. Faudrait même se poser la question : qui est le plus intelligent ? Nos gènes sont ceux des anciens, ce n’est pas nous qui avions inventé l’ADN ou l’ARN, nous en sommes que les héritiers aléatoires. Hypnotisés par l’arsenal hormonal, nous demeurons des supports de transmission passifs. Ces bribes d’expressions nous commandent sans que nous trouvions à redire. La chimie du vivant est faite pour ceux qui vivent. Pas aux usurpateurs.
Et puis parlons peu, revenons au désarroi ancestral. Pourquoi cette branche insistante d’êtres vivants dont nous faisions partie est-elle sortie hors de l’eau pour humer un air entier, hasardeux et très vicié du début de l’explosion, du départ de la vie. Pourquoi s’est elle fait imposée une lourde pesanteur : la gravitation et ses accessoires. Quels en sont les avantages ? L’avantage selon moi c’est que nous succombons tous. Tant mieux pour ceux qui restent, s’il en est.
Pour ces raisons, à cause des amertumes qui m’effleurent de temps à autre, je préfère retourner à la mer et revoir mes anciens copains, mes anciens cousins. Je plonge dans l’eau et replonge pour ne faire que ça. Je me sens bien, cela me plait énormément ; tout en oubliant l’histoire, je retrouve les sensations des fluidités impalpables : une viscosité d’où l’on peut point voler, au sens rapine du terme, une extasie à cœur ouvert, une résine de privation... Un "zouhd biologique" qu’auraient préféré les ermites et pas nos imams délabrés en quête de syndicat.
Pour vous montrer la biologie et sentir les ondulations apaisantes, je vais essayer de nager pour voir. Je prends un masque « SOMMAP » et un tuba chinois bleu et rouge : mondialisation oblige. J’enfile des palmes BEUCHAT, je crois qu’ils ont oublié un "A" ; « BEAUCHAT » comme « BEAUMARCHE ? » aurait été plus joli. Aucun chat aux alentours, je "coupe la mer" qui m’enveloppe instantanément. Quelle sensation ! Quelle ivresse ! Quelle délivrance du terrain !
J’ai bien entendu dire que l’eau et le soleil sont de puissants antidépresseurs : gratuits. Donc, allez ! Plongez-y. Prenez un traitement. Moi, à l’instant, je flotte sans avoir pris un joint. J’ajuste mon appareil photo emboîté dans un caisson hermétique, emprunté à un voisin, et débute ma randonnée méditerranéenne. Une bonne visibilité agrémente mes premiers essais de photographie sous-marine. J’ai bien dit essai car le dit appareil possède une fâcheuse tendance à fixer des images tout en les virant au jaune. De la jaunisse optique. En plus sa résolution est nulle.
Quelques battements de pied en douceur, eh oui !... je ménage la mer, me voilà quelques dizaines de mètres du rivage. Je lève la tête longtemps abaissée…, je regarde derrière moi, dernier coup d’œil à la terre (on dirait que je suis au ciel) ; la succession de rochers de grès bloquant la mer s’achève près du grand phare. Je suis donc à la côte de Jijel, dans un périmètre protégé ou en devenir, pour l’instant dans la forme : la réserve marine en projet du Parc National de Taza. Bon, on en reparlera plus tard, mais sans doute et sans rancune, le plus important est dans le fond marin que je découvre.
Passé les premiers rochers couverts d’algues brunes, vertes et rouges, ça et là des cnidaires, l'on reconnaît l’anémone verte (Anemonia sulcata, viridis), mais on est surtout séduit par le tapis ivoirin fait de Padines Queue-de-paon (Padina pavonica), aussi blanches que nos glaces, bien qu’elle soit une algue brune, entre quelques oursins (Paracentrotus lividus) accrochés patiemment au rocher festonnés de vestiges de coques décollées de Patelles (Patella vulgata) dites également petit plat ou chapeau chinois. La remarque qui en ressort est que les noms en jijelien des deux dernières créatures se terminent en suffixe "al" pour« Ghezal » et « Merchal », c’est bizarre non ! Anciennement, que dis-je, le suffixe « al » évoquait une appartenance supérieure ou divine, on le retrouve par exemple dans les noms des chefs carthaginois comme Hannibal et Hasdrubal et ceux des déesses Férial et Mannal, cette dernière rappelant étonnement les Dieux Mannes (Diis Manibus) des Romains. « Al » est également utilisé, mais en préfixe, par les Arabes pour former « Allah », Dieu. Qui de Merchal ou de Ghezal est divin ou Général ? Quittons nos supérieurs et poursuivant avec l’humilité qui sied ce à quoi nous étions convenus.
Quelques ulves translucides (Ulva lactuca) déracinées flottent près du rivage, elles opposent par leur couleur verte et chaude les premiers froideurs que je ressente. A quelques longueurs de blocs écroulés depuis longtemps, un vaste champ de posidonies s’étale jusqu’à se perdre dans le bleu nuit des profondeurs, assurément angoissant pour quelques personnes. Une joie pour nous. Sous mes pieds qui effleurent les quelques rochers, une girelle paon (Thalassoma pavo) me poursuit inlassablement, joli nom comme son port. Que peuvent donner comme couleur Thalasso plus Pavo….pouvons-nous dire ! Mes palmes qui curent parfois les algues sont une aubaine pour les poissons qui espèrent glaner quelques bestioles déterrés par l’action : des vers ou petits animaux que je déloge parfois sciemment. D’autres poissons leur font de la concurrence, et pas la queue, en particulier un gobie ensanglanté et un autre genre de girelles, moins colorées mais toutes aussi vives : les Coris julis, une belle famille à l’égal de leur nom. Les femelles possèdent un trait latéral bleu blanc caractéristique depuis l’œil jusqu’au pédoncule caudal. Chez les mâles la bande au départ de la bouche est orangée. Je quitte la rocaille lumineuse, mes compagnons labridés abandonnent.
Je m’éloigne de plus en plus, le couvert de posidonies s’offre à moi. C’est le domaine des sars, gris et craintifs, gros et petits. Difficile de les prendre en photo. Mais malgré : leur danse et leur esquive suffisent. Dans ces eaux bleutées que les posidonies verdissent, les espèces qui y gravitent sont remarquables pour en faire un cours. La famille des sparidés est diversifiée, on a dans les sars ou sargues, "Shaghar" en vernaculaire ou en arabe si vous voulez ; d’ailleurs j’ai aimé le "S" à la place du "C" pour que ça ne fasse pas "chat" (Chaghar) et sied admirablement avec sar : le Diplodus vulgaris ou Sar commun distinctif par la large bande transversale noire située en arrière de la tête, une autre sur le pédoncule caudal. Le Diplodus sargus, un autre sar, est reconnaissable à une tâche noire sur le pédoncule, qui ne fait pas anneau, et surtout aux huit bandes transversales grises qui marbrent son corps. A ne pas confondre avec le marbré qui vit dans les fonds sablonneux ou également le Diplodus annularis appelé sparaillon, dont le corps lui est dépourvu de bandes. Des oblades et des becs fins participent à la scène pour ne perturber que nôtre quête de reconnaissance et de connaissance, si on en a besoin. L’oblade (Oblada melanur, Oblada oblada) ressemblant au sar annulaire (Diplodus annularis) est elle facilement reconnaissable à son pédoncule caudal orné d’un anneau noir bordé de blanc sur ses côtés. Quand je vois l’oblade, me vient à l’esprit une célèbre chanson des Beatles dont je ne connais que ce refrain : Obladi Oblada …Lalala…; d’ailleurs je ne puis vous assurer si ça s’écrit de cette façon. Vous me pardonnez si j’ai fauté et si vous êtes généreux, pouvez m’envoyer les paroles. Toutefois le nom latin du téléostéen est exact, je vous l’assure. Téléostéen ? On verra ceci dans un instant pas long. Les becs fins ou Tchouya (Charaxpuntazzo, Puntazzo puntazzo) possèdent des mâchoires saillantes, proéminentes. Alors pourquoi bec fin, et d’où provient la finesse ? Comme les sars marbrés (Diplodus sargus), ils ont onze bandes transversales plus sombres et un anneau noir au pédoncule caudal. Voilà pour les distinctions et les descriptions. Vous en convenez que c’est fastidieux. Marre des sars…
On y revient, les téléostéens sont des poissons possédant un squelette osseux (ostéo) contrairement aux sélaciens, raies et requins, qui ont un squelette cartilagineux, parfois calcifié, jamais osseux. Dans la trame de l’évolution, excusez-moi, l’os est apparu après le cartilage, sinon les bébés se casseraient fréquemment. Et qu’en fin de compte, une sardine (Sardina pilchardus) est plus évoluée qu’un requin marteau (Sphyrna zygaena).Allez y comprendre quelque chose.
Une « malya soft», une vaguelette engouffre de l’eau dans mon tuba coloré, je surgis hors de l’eau pour respirer l’air, dérangé par un gargarisme salé non désiré. Ayant ardemment besoin d’une poignée d’oxygène, je profite de l’instant aérien pour ajuster mon masque. Dans ma gestuelle, une vue surprenante, pleine de quiétude dépose la presqu’île du grand phare sur une mère assombrie et huileuse (daziit) ; tiens, un autre terme de jijelien, de marin ! Vous aurez compris. Cela ne m’empêche pas de vous livrer une photo. A quoi cela vous emmène-t-elle ou vous emporte-t-elle ? Qu’en pensez-vous ? Dîtes-le ! Mais vous pouvez ne rien dire...
Rassasié des yeux et des poumons, je replonge la tête, achevant la brève escale. Je m’éloigne poursuivant un banc de poissons dont les corps aux détours luisent aux rais de lumière obliques. Des couleurs de camouflage en harmonie avec les teintes sous-marines m’empêchent de reconnaître les poissons. Je m’approche de plus en plus, l’essaim de poissons en une esquive coordonnée plonge vers le tapis de posidonies. Ca y est, c’est vu, c’est finalement une troupe de saupe (Boops salpa), de « tchelba » quoi ! Remarquez que le nom en arabe est proche de celui de l’espèce en latin. Une origine italienne ? Même remarque pour la Bogue, la « Bougua » de chez nous que l’on distingue légèrement dans (Boops boops). Pour le reste, le « a » à la fin indiquant probablement le féminin, « Tchelba » et « Bouga » demeurent donc des cousines.
Pour votre savoir, dans la dénomination latine des organismes, on met le genre en premier puis l’espèce en second ; à la fin on peut y adjoindre la sous-espèce si elle existe. Donc genre :Boops, espèce : salpa pour Boops salpa, la saupe. Pour l’homme c’est Homo et sapiens (Homo sapiens), l’homme qui sait. Qui sait quoi ? Votre homme sait que tout s’écrit en italique et souligné, la première lettre du genre est en majuscule, le reste et celle de l’espèce demeure en minuscules. On nous a appris également que pour connaître la suite des classifications des animaux, il suffit d’apprendre le mot acronyme ECOFGE : pour Embranchement, Classe, Ordre, Famille, Genre et enfin Espèce.
En dehors de la quête pédagogique délivrée ici, ce qui demeure beaucoup plus remarquable pour la macula (le fond de l’oeil) est l’étonnante couleur jaune-dorée qui raye longitudinalement en une dizaine de bandes les corps comprimés des belles saupes (attention, je n’ai pas dis soupe, ni "sobba"). Une très belle couleur que j’ai envie toujours à revisiter lorsque je pars en mer, enfin quand je plonge. Y a pas de telle sur terre, j’en suis sûr, car il en manquera les vertiges de l’eau. Ce jaune emprunté à l’aquarelle d’une bague d’or jetée au fond de la mer, entoure également l’oeil petit et vif du poisson végétarien, il colorie semblablement d’un point solaire les attaches des nageoires pectorales. Du jaune, du jaune : partons vers autre chose. La mer est grande, « Tsiaâ ».Pour vous faire remarquer que les poissons qui naviguaient en tournoyant étaient en pleine reproduction. De temps à autre, certains individus piquaient au centre du regroupement et en exsudaient leur semence. Je ne pouvais différencier les mâles des femelles par absence sans doute par absence de dimorphisme sexuel. Ce que j’avais pensé auparavant, mais renseignement pris, bizarrerie de la nature, la saupe naît mâle et meurt femelle. Le contraire des mérous. Tous des transsexuels donc. Que des sottises cette nature ! Que suivre ? Qui suivre ? Assistant à une leçon de biologie très utile, je quitte la « reproduction républicaine » pour ne pas dire quelque mot fâcheux.
J’arrive près d’un fond sablonneux jonché de quelques blocs rocheux où s’accrochent âprement quelques touffes de posidonies méditerranéennes (Posidonia oceanica) ou de Cymodocées (Cymodocea nodosa) !, à voir. Je surprends à ce qu’il m’a paru une murène. Elle était d’une belle couleur bleutée que mon appareil ne saura restituer, résolution et technologie manquantes oblige. Un léger trait jaune paraît orner sa tête pointue. Je tente le coup quand même. A peine ai-je allumé mon appareil qu’elle se faufile telle une longiligne voleuse vers une retombée de rocher ombragée. J’ai exceptionnellement pu arriver à en prendre une image dévoilant ses formes et ses ondulations. Une image intrigante car elle ne ressemble pas à la murène commune (Murena helena), ni en possède sa couleur marbrée ou sa tête effrayante. Est-ce un congre (Conger conger) ? Remarquez, toute photo est source de polémiques !
Dans tous les cas, une recherche systématique s’impose. Les sujets d’étude ne manquent inlassablement pas, vous voyez. Et que font-nous ? Regarder le temps qui passe et qui ne reviendra point : atavique immobilisme ? Dans le continuum de la vie, ou des vies, en ces sentiers multiples et hasardeux, rebrousser chemin ou revenir en arrière signifie forcément fin de vie, en spiritualité ou en sciences. Tel n’est heureusement pas notre sujet actuel. D’ailleurs pourquoi le mot sujet en français, les algériens voudraient-il le travestir en anglais par "subject". Existe-t-il une subjectivité dans mes précédents propos, une possible transcendance scientifique ou linguistique, la même qui pourrait en évidence rejoindre celle de mes compatriotes où semble-t-il, seule la réflexion anglo-saxone en prévoit ?
La murène s’engouffre dans un trou pour ne plus apparaître faisant fi de mes divagations. Si l’on compte, ici, chez nous, sans s’amuser, on y revient, tous les trous, l’on remarquera amèrement qu’ils sont tous pris. Nos vies clonées sont toutes emmitouflées et nous sont desservies malgré notre bon vouloir. Je vous le dis, il se passe des choses. Cette réflexion instantanée enlève ma couverture et me démasque. Mais voilà, mon masque s’est embué. Aveuglé, je laisse passer alors, si vous permettez, un peu d’eau pour lui redonner transparence. Ouf, revoilà la clarté ! Je peux continuer l’exploration : pour vous.
Le courant me malmène et me renvoie vers le rivage ; la curiosité m’entraîne au large. Au loin, à une dizaine de mètres, dans les clartés bleuâtres proches de la surface, une masse informe flotte. Jaune, cela semble être une grosse méduse. Je m’approche de plus en plus mais peine perdue, ce n’était qu’un sachet jaune que la petite houle se réjouis à gonfler. Moi, croyant à une Medusa tuberculata que j’avais déjà vu, il y a quelques années, au grand phare et plus récemment aux "Chalates" (Chalands ?) près de Cavallo, suis devenu complètement dépité jusqu’à vouloir interrompre ma plongée à cause de la déception de cette rencontre anti-écologique, indésirable et des soupçons incommensurables, remontés soudainement jusqu’à moi, sur les dégâts que causerait le plastique omniprésent, autant que les hommes, sur la faune et la flore marine locale. Plus tard, au printemps, quand la mer, vide de monde, cessera de vomir toutes les saletés aoûtiennes ramassées en hiver, on nous invitera à aller nettoyer les plages pour que les mêmes pollueurs étésiens, annuels et gloutons refassent l’identique bêtise ; au grand dam des animaux marins et de nous, pauvres jijeliens, noyés dans des plages à détritus et dont la mer nous est d’année en année subtilisée. Au grand malheur bien évidement de notre tuberculata.
Parce que j’ai bien observé une tuberculata aux Chalates : "Shalades" aurait bien fait un autre étonnant mot. Bref, ce jour là, un violent orage s’en est pris du petit village de Cavallo. Le vent envoyait en l’air de grande quantité de sable aveuglant sans ménagement la masse de baigneurs qui sur la plage fuyaient, sans pouvoir dénicher nul coin où s’abriter. Les grains de sable fin saupoudraient leurs yeux rougis par l’eau de mer et de gros nuages de sable les poursuivent et transperçaient leurs peaux fraîchement bronzées ou cuivrées. Moi, dans l’eau, j’étais épargné et je me souvenais d’une histoire loufoque ayant ce même décor racontée par notre ami O. B. T. quand au sort réservé à ceux qui ne respectent pas Sidna Bahroun (sic). Je suffoquais de rires et je ne me souciai pas de mes habits bien calés dans un couffin en plastique d’antan rose, très pratique, ni des fuyards. Je prenais du plaisir à observer quelques gouttes de pluie qui pianotaient sur la surface de l’eau légèrement bouclée et qui prenait avec le vent une couleur bleu-grisâtre menaçante. Par ailleurs, l’effet est saisissant. Je plongeais mes yeux à quelques centimètres de la surface pour regarder l’incroyable scène du dessous, ravi d’assister au bref moment de plaisir que je savais qu’il allait vite être consumé. L’orage n’allait pas s’éterniser. Un instant j’avais eu presque peur que mes vêtements se mouillent puis la seconde d’après, je m’en moquais. Dans l’enchantement qui jamais (never est plus chantant) n’arrive seulement une fois, du moins pour les avertis, je voyais dans mon second regard une grosse méduse pleine de jaune se ballotter à la surface de l’eau que la pluie picore. Elle était belle, c’était la Medusa tuberculata. Appelée aussi Cotylorhiza tuberculata puis également méduse œuf au plat ; on pourrait, si l’envie nous prend, en faire un casse-croûte tellement son étalement la fait ressembler à une omelette. Mais je ne pense pas qu’elle soit comestible ni urticante. Ayant un diamètre de 20 cm, agréablement colorée, l’ombrelle circulaire de couleur jaune œuf est légèrement bombée et orangée au centre. De petits tentacules entourent l’ombrelle, elles se terminent par une multitude de petits disques violets très contrastants avec le reste de la méduse. Plus qu’un œuf, on dirait une galaxie lointaine.
C’est la troisième galaxie que je vois près des côtes jijeliennes. La tuberculata est assez rare. Dommage que mon appareil ne soit pas à la hauteur, disons adéquat, pour en prendre de sublimes images. Ce n’est que partie remise, je le souhaite, je le désire. Peut être qu’on la reverra dans d’autres conditions moins décevantes et plus appropriées pour la photo. Inchallah.
Néanmoins, si j’avais un briquet, j’aurais tout de suite fait brûler ce sachet en plastique rencontré au grand phare, bien qu’il soit jaune.
Aujourd’hui (today), réellement nous surprenons beaucoup de jaune et je pense bien éviter pour le moment à regagner le rivage pour épargner à ma vue les centaines de bouteilles d’eau minérale, toutes vides bien évidement, qui y sont collectionnées. Le misérable décor m’attristerait fortement. Je ne pourrais alors que haïr l’été bruyant et son fond silencieux, sa pollution dormante, sournoise, qui germera en hiver. Pour les fonds qui aboutissent aux rivages sablonneux, il existe l’espoir que tout peut être rejeté. Par contre, la pollution gisant au fond des criques rocheuses y restera à jamais. Question de mécanique. Donc ne soyons pas optimiste, cette année.
Mes pauvres doigts commencent à se rider de blancheur. Choisir entre le froid et le décor précédent, je préfère me diriger vers un énorme rocher pour observer les juvéniles de la Castagnole (Chromis chromis), du « diable de Jijel », vous vous en souvenez sans doute. La livrée de ce dernier est violette fluorescente caractéristique, énormément époustouflante, merveilleuse jusqu’à ne plus contenir son émotion artistique. Je n’en ai plus aperçu de nombreux depuis que l’on nageait au port de Jijel, dans des endroits mythiques à cause de leur histoire confisquée : « Ledjenane,les dalles, Sabat, les 400, Drouj, la passe, le balcon, la plateforme, etc.… ». Notre chère mer était notre oxygène méditerranéen, le port était notre balcon sur la méditerranée. Là ou l’on avait connu le Diable, à cause de sa coloration marron-violet foncée et de son acharnement à piquer les appâts de mie de pain et à empoisonner nos pêches. Maintenant, je le regrette, je regrette de ne pas l’avoir aimé plutôt : son absence est de fait indicateur de pollution. Je ne dis pas de bêtise sinon. Pourtant, j’ai une hantise à devoir constater un jour que même le Diable n’aura pas de vie en Algérie… !
Je sens la mer qui monte un peu. Je ne peux qu’adorer et accompagner ces ondulations qui m’enivrent. De la houle sans la foule. J’assume, j’ai tout près de moi une foultitude de panoramas, de paysages, à chaque fois avec une beauté renouvelée. Regardez par exemple cette image très sereine du grand phare berné par les flots. Aucune vague n’est capable d’effacer de notre conscience le petit point rouge qui avait épargné tant de naufrages, il constitue pour nous tous et pour toujours l’emblème de notre foi maritime à chaque fois écornée et de plus en plus diluée. Il nous salue à chaque partance que l’on entame vers Alger ou vers l’ouest du pays. Au retour, en toute saison, de tout temps, il demeure là pour nous accueillir et consent d’y rester pour qu’à sa vue, s’apaisent nos tourments terrestres endossés ailleurs. Posé à la limite de la zone marine protégée, il pourrait, si on le désire, jouer un second rôle dans la protection, si dès maintenant il est mis à la disposition des scientifiques, des amoureux de mer. Mais je sais que vous allez en rire si vous ne l’êtes pas déjà. Je vous comprends, scientifique, amoureux, mer restent des mots, des espoirs qui n’ont pas d’aval devant le militaire et la délation.
Un goéland argenté flatte le balcon rouge du phare, tourne autour deux fois puis s’en va en planant, peut être dérangé par quelques visiteurs ébahis et qui s’agitent. Le bruit de moteur d’un jet-ski fonçant à vive allure vers l’horizon, ne savant pas où aller, me sort de mes désillusions précédentes ; je profite après une grande bouffée d’air pur et humide pour plonger à nouveau afin de scruter le fond, palper mes capacités et vous rendre compte. C’est que le jour penche, la lumière baisse de plus en plus et moi d’heure en heure suis exténué. Mais j’arrive de cette hauteur à imaginer des scènes et à vous lire la dernière.
Au fond près d’une crevasse remplie de cailloux, j’aperçois un serran en alerte. Un autre plus petit tournoie près de lui. Ce n’est pas une parade nuptiale. Les deux serrans écriture ou Serranus scriba, comme vous voulez, essayent d’intimider un poulpe qui a squatté leur coin, celui-ci a sans doute jugé l’endroit "chaud", peut être appétissant, quand bien même sécurisant. L’octopode (huit pieds) n’est pas près de lâcher le lieu. Il ajoutera ainsi, un nouvel logement ou cachette, comme il en possède quelques uns aux alentours, afin d’assurer ses arrières en cas de danger. Un serran chèvre ou Serranus cabrilla vient à la rescousse du genre. Il est rejoint par un Crenilabre paon (Crenilabrus pavo, Symphodus tincas). Peine perdue, le poulpe devient de plus en plus menaçant. Ne tolérant pas la "Hogra", style de vie de plus en plus en vogue en Algérie, je descends vers lui pour le faire déguerpir et aider mes copains. Il s’amasse et prends la couleur et la forme du rocher, bête qu’il est. Mais moi, je connais ses astuces, je fonce vers lui et je tends ma main en direction de ces yeux que je n’aime pas. Le lâche s’enfuit en laissant derrière lui une traînée d’encre noire, un sillage d’audace, un souvenir d’insolence. Les serrans tout genre confondu voltigent de joie et chacun réoccupe son ancienne galerie. Je sens qu’ils sont heureux car ils ne me fuient pas. Tas d’intelligent qu’ils sont, me sont reconnaissants. Pas autant qu’eux, je vais toutefois vous les décrire. Le serran écriture (Serranus scriba) est nommé ainsi grâce à sa robe barrée transversalement de bandes sombres évoquant une calligraphie. Une jolie autographie. Une belle page pour que l’on s’y trompe pas. Quelle générosité ! En outre, il possède une tache bleu-violet vif très caractéristique. Le serran chèvre (Serranus cabrilla), ressemble au scriba et se distingue de celui-ci par 9 bandes transversales sombres et 3 bandes longitudinales jaunâtres. Il a la couleur de nos chèvres. Ne m’en voulez pas si je dis des conneries ou que je sois "pointilliste". J’ajoute à votre information un autre serran : le serran à tache noire (Serranus hepatus), (hepatus= foie) comme si le foie est le porte drapeau du noir. Contre mauvaise bile, ici, il n’y pas assez de difficultés ; ce serran possède la nageoire dorsale ornée d’un ocelle noir caractéristique ainsi que ces nageoires pelviennes noires. Enfin, j’ai oublié, les serrans appartiennent à la même famille que les mérous (Epinephelus) et les loups (Dicentrarchus, Morone), l’ensemble est décrit dans la famille des Sparidés, tous prédateurs, quand même. Le Crenilabre appartient à la famille des Labridés, sa coloration est le plus souvent jaunâtre. Il se distingue par une tache bleu noir en croissant en arrière de l’oeil et d’une autre sur le pédoncule caudal. En dehors de l’eau ces taches prennent une couleur bleu-violet très agréable.
Dommage que mon appareil photo ne soit pas d’une bonne résolution ou apte, le con, à allumer rien qu’une seule fois le flash endormi devant un tel spectacle, je vous aurai complimenté de merveilleuses images. Et pourtant, j’en ai vu des couleurs et des ombres ainsi que des espèces inoubliables qui ont fait le cinéma devant moi, sans pudeur. Je ne peux absolument pas tout vous raconter : il y a également les algues, quelques méduses, une poignée d’inconnus aussi éphémère que rare et un tas d’oublis que mes neurones ressusciteront vraisemblablement plus tard quand la mer se calmera. Tiens ! A bon propos, une méduse perdue, bercée par un courant impitoyable qui l’a malmène, autant que moi, vient m’effleurer. Je la reconnais instantanément à sa couleur rose : c’est une Pélagie (Pelagia noctiluca). Urticante, je me contente de l’éviter tout en essayant malgré les ballottements gênants dans l’eau de la photographier. Pour me détourner d’elle ou pour rendre plus gai le paysage, une escadre de jeunes mulets (Mugil sp.), pas plus longs qu’une dizaine de centimètres, mais pas nains, foncent en oblique vers l’abîme bleuâtre de plus en plus foncé, traversant dans leur fuite ou course ou danse, une rafale de rayons lumineux laiteux et étincelants qui s’assombrissent et meurent en rencontrant le fond en une évanescence nuageuse et diffuse. La Pélagie est maintenant bien loin. Ouf ! Quelle rencontre !
Pelagia noctiluca (Pélagie) © natura-jijel 2013Il est temps pour moi chers amis que je rejoigne la berge, que je revienne à vous ; mon corps transi de froid aurait perdu toute sa chaleur. J’émerge la tête pour enlever mon masque, que dis-je ! Mes lunettes. Le soleil rougi par un long travail journalier aveugle mes yeux habitué au pelagos. J’en ferai une photo plus tard, cependant je l’esquive de l’oeil et cherche la terre, enfin la berge. Une tiédeur rose de bienvenue embaume les grès devenus si désirables. Je grimpe sur mon rocher que je "remercie" pour sa chaleur. Je refais, figurez-vous, dès ce moment, le chemin des derniers poissons mués en premiers amphibiens. C’est sans doute concevables pour les uns et intolérables pour d’autres. Je perds les bleus et les verts pour entamer les rouges. Quel spectre !
L'herbier de posidonies © natura-jijel 2013Je vous ai déjà averti, mon appareil photo est un toc. Il m’a rendu frustré. Mais, j’espère avoir entrevu avec vous la « blue-ecology », l’ivresse des apnées, les asphyxies désirées, l’innommable plongeon vers les bleus sans fin, d’où l’on peut, si l’on s’y met, scruter les tréfonds de l’être agenouillé, constamment pris à aduler les verts et les ocres. J’avoue, suis obligé que la Terre existe encore, mais sortir de l’eau sitôt m’exaspère car la mer pourrait m’en vouloir. Cette dernière m’estime parce que je la respecte beaucoup plus que je l’aime. C’est bien la Terre. Encore mieux la Méditerranée.
Alors, Protégeons-la !
Coucher de soleil au Grand Phare © natura-jijel 2013Je dédie ce plongeon à ceux qui ne sont pas partis voir la mer cette année. J’ai pensé à eux en premier. J’ose croire qu’ils seront contents et consolés en imaginant l’agitation au sein du virtuel aquarium que je leur ai proposé .Par contre, cette "mise à jour" gratuite, remontera pour d’autres des survivances juvéniles et joyeuses en hibernation depuis fort longtemps. J’ai donc pensé à eux…en second.