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Jijel, les évasions |
Je vais vous raconter une de mes randonnées des plus égayantes. Amusante car on était plusieurs personnes et y avait plusieurs histoires. C'était la première balade ou j'ai eu à passer beaucoup de jours en montagne, campant de source en source. Chaque jour avec ses lots d'événement et de découverte. Je vais également vous raconter, je ne fais que ça!, ce bout de périple pour rendre un hommage à notre ami et voisin disparu Mohamed Bahi, qui nous avait accompagné. Il avait laissé trois enfants qui sont actuellement grands.
Mohamed aimait la marche, le footing, les randonnées et l'archéologie. Des discussions ininterrompues se faisaient autour de ces sujets. Au temps ou on était accroc de footing, on se rencontrait après le diner au café, en général celui de Bencharif, pour prendre quelque un café ou une limonade, du G.B. en général, jaune de préférence, c’était la plus délicieuse, et fumer des cigarettes. Quand un jour, je lui ai parlé d'une randonnée que j'ai faite avec un groupe d'ami, d'un seul trait, entre oued Missa et Erraguène, il fut tout de suite enthousiasmé. On s'est promis de refaire une autre mais durant plusieurs jours. Ce fut fait en été 1989. Nous avions visité alors le sommet de Tamesguida et de Ma Bared. En 1990, notre marche nous conduisit aux Babors.
C'est cette échappée étésienne que je vais nous narrer maintenant pour le repos de Mohamed Allah Yrahmou.
Nous étions huit candidats pour la balade en
montagne, bien que j’aurai aimé qu’il y
ait plus de personnes. Cela fait scout. En somme, il y avait Mohamed
à qui nous dédions ce travail, son fils Mamane
tout le temps jovial, nos deux voisins Sofiane et Kamel, expert du rire
et de la dérision qui ne sont plus à
présenter, mes cousins Malek et Djalel soucieux de
découvrir la région, et enfin mon
frère Tarik futur gourou de
l’expédition. Moi, vous rencontrerez mes
coordonnées dans certaines pages du site. Mais pas dans
celle-ci.
Visitez, vous ne serez pas déçu.
Bien évidement,
il fallait prendre le bus pour
arriver vers
notre lieu de départ Taza, une
dizaine kilomètre à l'ouest de Jijel.
C'était le mois d'août 1990, à son
entame. Cela fait bien
longtemps, oui je sais. En tout cas, juste avant la grande
catastrophe nationale....
Déjà dans le bus, il y
avait dans le couloir, de grandes corbeilles remplies de baguettes de
pain, de grandes baguettes, qui le soir
s'échineront, destinées à un
campement, je
présume d'islamistes à Kissir. Deux
personnes
portant des barbes étaient assises à
côté de
leurs victuailles.
Durant les années 80 leur mouvance était
respectée
et crainte à la fois. Et en été ils
érigeaient des campements à la manière
des scouts.
C'est en discutant avec l'un deux, un sympathique bonhomme qu'on a
appris leur destination. Kissir où le bus vient de
s'arrêter. Ils descendent leurs provisions et nous souhaitent
une
bonne excursion. Car on leur a expliqué notre destination.
Pour
une excursion, s'en était une, elle va durer plusieurs
jours.
Une aubaine et c'est ce qui
comptait pour nous. Le bus s'ébranle à nouveau et
nous
laisse découvrir des pans de la corniche jijelienne
où
par endroit la roche et la mer se chamaillent
admirablement. Finalement le bus
éreintant arrive à Taza. Le lieu paraît
large
bien qu'il fut dominé par la montagne,
une « bouffée
d'espace au regard
des couloirs
étriqués de la
route».
On se réunie tout de suite près de la mosquée de Taza que l'oued, qui porte le même nom, ronge et menace inlassablement avec ses gros galets. Le cours d'eau scinde en deux la belle plage de Taza. Cette cicatrice continue jusqu'au défilé de l'oued que nous allons longer durant la première étape de notre trajet d'aujourd'hui. Nous devions arriver à Aïn Azaroud. Pourquoi Aïn? Tout simplement parce que l'on a besoin de boire! C'est une règle pour moi, on doit camper près d'une source, pour éviter les désagréments de transport des bidons d'eau. Naturellement nous avions achetés deux jerricans de 20 litres chacune. Il nous fallait des provisions pour la nuit au cas ou notre campement serait à l'écart de la source d'eau.
On entre dans le défilé de l’oued Taza. Pour votre connaissance, la grotte de la Madeleine ; Oh ! Pardon celle de Taza n’est pas dans notre itinéraire, elle est près de la mer alors que nous on s’en éloigne. On se dirige vers le pays profond. Profond il l’est de plus en plus!
À gauche se dresse la paroi calcaire du majestueux djebel Taounart, à gauche celle végétalisée du djebel Doumel ; c’est dans ces flancs qu’on retrouve une autre grotte très peu connue. Bien sur que vous ne connaissez pas. Qui est ce qui va vous en parler ? Elle est d’un accès difficile et son entrée est cachée du regard par une végétation dense accrochée obliquement sur les parois. Son couloir en pente ascendante fait un coude à gauche après une vingtaine de mètres. Elle est peuplée par une colonie de chauve souris et n’a jamais été fouillée. Elle sonne d'un nom « hoggarien », c’est la grotte Khankoum. Comme Salam Alikoum, oui... Jijel est pleine de mystère. Taza aussi.
Longeant l’oued Taza par la piste, on arrive à un gué que l’on doit franchir pour rejoindre l’autre rive et quitter le défilé en direction du sud à travers une trouée. Nous rencontrons un groupe de personnes profitant de la fraicheur et de la beauté du lieu. Ils nous montrent le chemin et nous souhaite une bonne balade sans qu’ils ne nous invitent à prendre un café. Invitation que nous déclinons car notre temps était compté.
Après le passage du gué, nous suivons directement un sentier qui démarre à quelques dizaines de mètres de la confluence de l’oued Bou Fessiou sur celui de Taza. Les ancêtres des habitants de Taza, peut être ceux des grottes étaient écolos avant la lettre. Ils ont dédié un oued à un passereau, le rouge gorge (Bou Fessiou)[Bou Fessiou Tass Tass Tbak Manou Ykeffi Arss]. Et ensuite, comble de l'atavique prémonition, il se trouve à l’intérieur d’un parc national…Celui de Taza. N'est ce pas joli?
La piste que
nous empruntons actuellement s'affirme par palier. Pour notre
premier jour
et la charge que nous emportons chacun, nous en souffrons un peu.
C’est normal.
C’est peut être pas le bon choix pour une
première journée. Hélas le mal est
fait. Mettons ceci sur le manque
d’expérience. À chaque pas, nos
poids sont de plus en plus lourds. Heureusement
que nous marchons dans l’ombre entre les clôtures
de maisons qui se suivent le
long d’un parcours qui finira par
anesthésier nos craintes et
nos douleurs. On arrive au lieu-dit
En Nechma. Plus que quelques dizaines de mètres et nous
sortons de l’ombre. La
piste devient large et moins pentue. Nous
sommes à trois cent
mètres au dessus du niveau de la mer. Nous
décidons de continuer notre parcours
pour aboutir à un virage en hauteur près
d’une ruine écrasée par le soleil
d’août.
Plusieurs habitations ont été
abandonnées, d'autres desertées.
Arrivés au virage, nous faisons une
halte. C’est ce que appellera désormais, notre
cher ami disparu Mohamed, la « pause
cigarette »
. Effectivement,
à chaque
moment ou nous nous débarrassons de
nos sacs à dos, nous nous empressons de brûler une
brune.
Oui, c’était de l’Afras
et c’était bon ! Surtout en montagne. Je
ne fais pas de la pub. Mais je vous
jure que c’était apaisant. Ce n’est pas
bien pour la
santé, on le sait, mais bon Dieu! dans une
randonnée c’est tout autre chose...
N’essayez pas, j’ai cessé de fumer.
Notre compagnon Kamel allume le poste radio. Stupéfaction, nous venons d'apprendre que Saddam Hussein a envahi le Koweit.
Nous poursuivons alors notre marche dépité par ce que nous venons d'entendre. Nous reportons notre déjeuner car on était pas très loin de notre lieu de bivouac d'aujourdh'hui à Aïn Bou Echbir ou Aïn Azaroud selon certain habitants rencontrés.
En contrebas coule l'oued Dar El Oued. On m'interroge. Effectivement, c'est celui qui débouche aux grottes merveilleuses. À mi distance des personnes s'affairent à travailler la terre. Croyant qu'on avait pas retrouvé le chemin, et sentant que le temps passait, Kamel, se propose de descendre vers eux pour receuillir quelques informations. Confirmer si on était près du but final. Pourtant la carte est claire. Je laisse faire, c'est cela aussi l'expérience du terrain. Il va en souffrir le pauvre lorsqu'il aura à rebrousser chemin et remonter la pente avec sa lourde charge, une grande tente de quatre ou cinq personnes en grosse toile. Je vous laisse deviner son lourd regret. Malheureusemnent Mohamed le suivit également. C'est lui qui possédait la plus grande charge parmi nous tous. On en riait. Son sac tellement rempli ressemblait à une Chatleston, le type de deux cheveaux aux deux couleurs. Il y en avait les mêmes sur le sac, en plus de la rondeur caractéristique de la voiture tellement c'était bourré. Il portait ses propres bagages et ceux de son fils Mamane.
Pourtant, nous lui avions conseillé de rester avec nous. Car Aïn Azaroud se retrouve à la même hauteur que notre position actuelle. Alors pourquoi descendre pour ensuite remonter. Il suffit de suivre la ligne de courbe. Une piste tracée existe déjà.
Quand Mohamed ravisé, appris que ce n'était pas le bon chemin qu'avait pris Kamel, il piqua une colère contre celui-ci. Et il le resta durant tout le périple. Nous on en riait. Cela embellissait l'atmosphère. Nos deux amis possédait des caractères opposés. Quelques minutes après notre attente, Mohamed finit par atteindre le groupe après une haletante et ereintante remontée, nous confia-t-il.
Tant bien que mal, tout le monde maintenant est regroupé: la leçon tirée consiste à rester ensemble lors une randonnée. Souvenez-vous en bien! Allez, il ne nous reste que deux à trois kilomètres à parcourir.
Nous atteignons la source vers quinze heures et quartier libre pour tout le monde. Notre campement est érigé près de la source, à une dizaine de mètres, sur un terrain en terrasse tel un belvédère dominant fièrement la petite vallée encaissée creusée par oued Dar El Oued. Le paysage est captivant. En face de nous, la forêt d’Afarnou s’accroche fermement sur les flancs et les parois pentues du djebel Hadid. Les derniers rayons de soleil flamboyants caressent les rondeurs des collines successives du bras d’Ech Chréa. De longues ombres dessinent les contours.
Kamel nous interpelle. On doit passer au coiffeur selon notre promesse faite. En effet, on avait juré, dès lors notre première arrivée, de se raser le crâne. Tout à fait, une Boule à Zéro. Tout le monde s’incline sauf mes deux cousins. Ils font la belle ! Pourtant cela faisait bel, pour des crânes rasés jijeliens. Eh ! Puis, en été ca passe, voire conseillé ? La toilette de la tête sera ainsi vite expédiée. Pour le shampoing, optons pour la recette locale à l’huile d’olive. Je vous assure! je ne possède pas de formule. Il n’y a que le lipide.
La nuit tombé, Mohamed en bon ancien chef scout s’occupe déjà du feu de camp. Il nous gratifie d’un florilège de flammes nourri de grands branchages sur lequels, le diner du soir : des morceaux de poulets préalablement cuits et emballés dans des feuilles d’aluminium par la mère de Kamel, est mis à réchauffer.
On dîne en contemplant un ciel où
scintille des
milliers d’étoiles. Le café, la
cigarette et le son
de la radio agréable en montagne, terminent notre prime
soirée en plein air. Nos tentes nous attendent. Bonsoir.
Good Moorning Koweit City.
Tôt le matin nous allumons la radio pour écouter les dernières nouvelles. Confirmation, les chars irakiens sont entrés dans Koweit City. Adieu la Baraka…
Ce matin, une sensation de compression nous enveloppe, nos corps engourdis prennent du temps à rallumer. Nos muscles sont durs rattrapés par les efforts de la veille et le dépôt de l’acide lactique. Glycolyse oblige. Nous peinons à sortir de nos tentes
Ne vous en faites pas, tout rentra dans l’ordre en quelques minutes. Sitôt debout, quelques mouvements et gestes normaux, la machine s’ébranlera. Un peu d'oxygène frais, le cycle de Krebs s’occupera de la suite.
Aujourd’hui, c’est Kamel qui nous prépare le petit déjeuner. Il met du café et lait à réchauffer. On s’y agglutine près du réchaud puisque le soleil peine à se lever nous délaissant à la merci de la fraicheur qui sévit encore. Le liquide chaud nous revivifie. Des petits gâteaux ajustent notre glycémie.
Le temps de laver nos ustensiles, remplir nos gourdes et
empaqueter nos vêtements et tentes, nous débutons
notre deuxième journée de randonnée.
Durant cette étape, nous commençons par descendre
le long de Draâ (bras) Ech Chéria, un bras de
montagne dégagé offrant la procession
aisée parmi le peu de broussailles. Les deux
kilomètres nous conduisent directement au lit de
l’oued de Dar El Oued. Un beau cours d’eau
d’une eau vive et claire. La tentation de s’y
baigner est grande. Avant, on cherche où traverser ; sur la
carte il y fait mention d’un gué. Nous longeons la
berge sur environ un kilomètre pour finir dans un endroit
amazonien. La forêt traverse l’oued et
l’enjambe. La rivière est complètement
dans l’ombre, le gué juste à
côté. Nous déposons nos sacs. Le bain
est inévitable, surtout dans cette chaleur
étouffante de midi. Rien qu’à voir le
temps mis
pour parcourir les six kilomètres ; une
demi-journée. Pour dire
l’âpreté de la marche et
l’effet du thermomètre. Et puis, rater cette
opportunité serait dommageable. Diverses sensations seront
à jamais enfouies. La frustration suivra. On
déballe nos sacs, cherchons nos shorts et nous
préparions à nous jeter dans cette eau
désirable et bienfaitrice. Ce n’était
pas profond et nous profitons généreusement de la
force du courant qui massait et gargarisait nos dos endoloris. Le clou
de la séance fut atteint quand le petit Mamane amassa sur sa
petite tête une grande touffe d’algues vertes. Avec
cette chevelure verte, il ressemblait à une
sorcière. Il nous a tous fait rire.
Nous étions restés deux heurs durant
à
clapoter dans l’eau. Mohamed en profita pour nous
confectionner le déjeuner. Au menu, des concombres, de
l’oignon, des carottes et des olives, ainsi que des
œufs cuits à la coque fait le matin. Une salade
quoi ! Ce sera toujours la même chose pour tous les autres
déjeuners. Chacun évidement pourra
agrémenter son service par du fromage ou du thon. Le pain
est celui de la veille. Nous avions des provisions pour environ quatre
jours en plus de la semoule et de la farine pour préparer le
matloô, au cas ou l’on serait en panne de
pain… !
Ayant terminé, Mohamed part faire un petit tour dans les
environs. C’était un bonhomme curieux et il aimait
la nature. À son retour, il fut
exaspéré par l’absence
d’olives sur sa ration qu’on lui avait
laissée. Enervé, il jeta son venin
sur Kamel encore. Le pauvre a toujours eu du respect pour
Mohamed. Il ne fut point
récompensé par celui-ci. Nous on riait en
catimini et on observait la réaction molle de Kamel. Nous
étions tous complice. Toutes les olives ont
été picorées par nous, par la meute
affamée. D’ailleurs comment résister
à la saveur salée d’une olive
après un bain d’été.
C’est comme en mer. Peut être plus. Tout le monde
en a déjà fait l’expérience.
Chacun prend un coin pour manger à l’aise. Le café est déjà sur le feu. Il sera vite bu en accompagnement d’un échappement de fumée de cigarette. Le temps d’un repos d’une demi-heure et on se remet en marche. On doit arriver en haut près de Afarnou avant la tombée de la nuit. Une montée de quatre kilomètres environ sur une partie de terrain complètement boisée et ombragée. Le sol dégagé nous facilite l’allure. Au bout d’un instant, nous perdons la trace du chemin pédestre que nous suivions. Il devait nous mener au village. Mais pas de panique, on ne risque pas de se perdre. Il suffit de monter toujours, on aboutira inévitablement à la route qui relie Ziama à Selma. Pour cette raison, nous empruntons les sentiers les plus faciles. Là nous découvrons des paysages inespérés. Au bout de quelques instants, on se retrouve en face d’une jolie cascade. Sa chute n’est pas très haute, une dizaine de mètres. Les flots jaillissants scintillent de mille pixels grâce aux quelques rayons de lumière que la canopée de chênes zens laisse passer. À sa base, un bassin limpide héberge quelques crabes. Dommage que l’on ai pas pu ramener un avec nous. À défaut de logistique adéquate, nous étions dépités.
Nous abandonnons la cascade pour remonter encore. La
montée en escalier nous permet heureusement de
récupérer à chaque palier.
À un instant, une scène inouïe
s’offre à nous : des vaches avec de grandes cornes
en forme de sabre se prélassent sur l’herbe encore
présente, à l’ombre de grands
chênes. Elles ne nous regardaient pas. Et continuaient
à ruminer. On était resté pantois
devant cette scène. L’image est
ineffaçable malgré sa simplicité.
Le soleil déclinait pourtant on y avait pas
anticipé. Vu la densité de la forêt et
la fermeture du ciel par la canopée on y avait rien
remarqué et on continuait comme si le jour aller durer
éternellement. Notre marche dans l’ombre fut
rattrapée par le crépuscule dont on devinait les
rougeurs. Il commence sérieusement à faire noir.
Il fallait se dépêcher.
Pour la première fois on arrive au bivouac après
le Maghreb, prière du coucher du soleil. Heureusement, une
personne rencontrée en chemin, nous propose gentiment de
nous emmener vers un endroit adéquat pour passer la nuit. Il
nous conduit près d’une source, celle de mechta
Afarnou je présume. Ouf ! On est arrivé.
Le diner est vite préparé. On
s’attable hâtivement. Le café est pris
autour du feu de camp avec quelques bouffées de cigarettes
blondes. Oui, j’ai changé de tabac. Les Rym me
conviennent mieux.
En termes de convenance, il est plus commode d’aller
s’allonger, je pense. Demain appartient à Dieu.
Peu après l'aube, nous sortons des tentes après une deuxième nuit passée dans le calme. Nous étions scrutés par une multitude d'yeux en majorité enfantins. Les enfants d'Afarnou nous regardaient tous souriants et étonné de nous voir émerger de nulle part. Il est vrai qu'on avait gêné les femmes qui venaient s'approvisionner à la source. La nuit lors de notre arrivée on ne voyait rien du tout et il faisait noir à ne rien distinguer. On ne pourrait pas deviner qu'on était cerné par les habitations. Celui qui nous avait ramené dans ce coin nous avait rassuré qu'il n' y avait aucun problème de promiscuité. Ce n'était pas le cas ce matin. On fut approché par un bonhomme qui nous pressait de partir au plus vite. Nous le rassurâmes et lui avouâmes qu'on comprenait ces incertitudes. D'ailleurs nous primes très vite notre petit déjeuner et montâmes directement vers la route qui relie Ziama à Selma, accompagné par un groupe d'enfant très contents. En haut, le panorama était fascinant. A notre pied la petite vallée encaissée de oued Dar El Oued, au loin les contreforts sud des montagnes de Taza et Guerrouche... Pour continuer vers Erraguene, il fallait aller soit en direction de Selma puis bifurquer à droite ou bien traverser directement le Djebel Hadid (1325m). Un ancien maquisard s'est montré disponible pour nous monter le chemin qui n'était pas loin du lieu ou nous étions. Mais on avait pas idée de ce qu'a ce pouvait être. Nous comprîmes très tôt le message. En face de nous se dressait une falaise abrupte d'une couleur bleue grise. Avec nos charges ça paraissait insurmontable. Le chemin montait en "S". Ce n'était pas des "S" mais des "Z", opina Sofiane. Seule une procession de femmes descendant cet escalier de montagne nous avait donné du courage. Celles-ci, avec leurs tenues bigarrées, aux couleurs chacune, bleu ni ciel ni outre-mer, noir profond plus que le charbon, jaune et vert kabyles, paraissaient flotter près de la paroi du tombant. Quelle légèreté! Ben quoi, chacun son terrain...
Allons-y! Nous aussi refîmes une procession mais
en sens inverse. Et c'était dur. Celui qui nous
dépassait est au dessus de nos têtes. On ne voyait
que ces
chaussures. Après une demi-heure environ, nous voila
arrivé à un col magnifique qui domine tout
l'arrière pays. En contrebas le lac immense du barrage
d'Erraguène. En arrière plan, les monts jumeaux
de Babor et Tababor. À gauche, la contrée de
Serdj El Ghoul
(la selle de l'ogre). Un pays à découvrir. Il y
aurait là-bas la célèbre ville d'Ikjan
que l'Algérie a délaissé. C'est
également le lieu de
chevauchée des Bourenane...
C'est décidé, on s'arrête pour prendre notre déjeuner sur cette terrasse naturelle enserrée entre les sommets du djebel Hadid (1305m) et djebel Taguerourt (902m) à l'intérieur d'une pinède dont on humait facilement les résines. C'était la sensation qu'on avait tous ressenti. On ne pouvait pas ne pas sentir tellement les fragrances dégagées embaumaient l’air ambiant. Nos poumons en altitude s’ouvraient alors pour en absorber les volumes. Ce fut vivifiant. On absorbait les senteurs naturelles plus que l'on ne mangeait.
Si fantastique qu’était le paysage, on est dès lors resté plus d'une heure. Tout près de là coule la source Aïn Aliloua. Une batée de main et on est désaltérée d’une eau agréable. Extraordinaire en plus d'être sous la bénédiction de Si Taguerourt, un saint local, dont la demeure définitive est au dessus de nous. Qu'il repose en paix.
Après le café, allez hop, on continue.
Le sentier descendant nous amène en direction de la
route
toute proche. C'est elle qui va nous amener à
Erraguène. Aucun souci, la descente n'est pas ardue. Il nous
reste cinq kilomètres environ. L'endroit que nous traversons
est une véritable éponge, plein d'eau et de
sources. Enumérons les: Aïn el Hadj, Aïn
Si
Abdellah, Aïn Send El Djebel, Aïn El Bahaïr
et Aïn Dar Mebarek du djebel Braham. Tous des mots arabes dans
une région où la toponymie de lieus tout proches
est majoritairement berbère. Allez savoir pourquoi? Mais
ça c'est le travail des historiens et des sociologues. Bon
je m'arrête. OK! Poursuivons.
Après plusieurs détours, la route
étant très sinueuse, sur un terrain facile ou
nous avions emprunte un sentier espoir de couper la distance, nous
arrivons enfin à Erraguène. Il fallait trouver un
lieu ou camper et éviter les lieux d'habitations. Mais
à Erraguene, il est très contraignant de trouver
un terrain plat, tout à fait aux alentours
immédiats. Nous avions décider de nous installer
sur la rive droite de l'oued Djendjen, à quelques dizaines
de mètre de l'imposant mur du barrage. C'était un
endroit vraiment dangereux, j'en concois maintenant les risques
encourus. La berge est vaseuse. J'avais interdit à tout le
monde de s y approcher. On nous a raconté
également qu'il existe des reptiles ressemblant à
de gros lézards et vivant dans l'oued. Ceux la ne nous
faisaient pas peur. Mais imaginez qu'il eut un lacher d'eau du barrage.
Nous serions tous noyés!...Bref, on est toujours vivant.
C'est bon signe.
Pour vous dire que de nos tentes, on distinguait aisément
l'entrée grillagée du tunnel
d'évacuation des eaux qui faisaient tourner les turbines de
la petite centrale de Ziama. Des kilomètres plus loin.
L'après midi, quartier libre pour tout le monde. Certains de nos amis se sont invités à visiter le barrage. Ils furent recus par des agents bienveillants de la Sonelgaz. D'autres sont partis au village pour faire quelques emplettes. Ils étaient revenus bredouille. C'était le temps des pénuries. Ben oui, pour trouver une boite de thon relevait de l'exploit. Pour le pain il fallait y etre de bon matin et faire la queue SVP...
À Erraguène ce matin, nous achetons de
la viande fraiche, ainsi qu’une dizaine de baguettes de pain.
La viande était alléchante et sentait bien. Tout
le monde en a humé. Ce sera pour ce soir. Nous
fîmes également quelques emplettes puis
nous nous dirigeons directement vers le barrage
à la sortie du village en direction de Ziama. Si je ne
m’abuse, on aurait pris un autre petit déjeuner
joliment plus attirant avec des gâteaux. Que voulez-vous, en
randonnée le pain trouvé
possède la saveur équivalente d’un
gâteau dégluti. Un gâteau reconquis est
une intense jouissance du palais laquelle on s'en souviendra
souvent. Et bien entendu on
clôture avec du café presse.
Des gens attendent près du plan d’eau. C’est de là-bas qu’on va louer une barque à moteur pour passer de l’autre côté de la rive. On attend notre passeur Erroudji. On nous l'avait recommandé. Il habite entre Bida et Gueroua. Son premier voyage, il le fait à partir de l’autre bord. En attendant, on goute aux eaux matinales du barrage. Pour certains ce n’est que la première fois qu’ils nagent dans de l’eau douce ; c’est évidement une autre sensation que celle de la mer. Ici, si tu ne gesticules pas, tu coules, comme dans notre Algérie. Alors, on est constamment en mouvement. Tel des dessins animés.
Pour la bonne cause, on est resté inanimé. Dommage!.
L’animation donc, ce sera pour plus tard. Car une barque
s’approche de nous. Une autre la suit de loin. On reconnait
tout de suite Erroudji. On ne pourrait pas se tromper, la
littérature populaire est très précise
à ce sujet. Le personnage roux et tout aussi maigre,
à la Boumédiène des années
soixante.Que l’on ne prend pas ceci pour une offense.
On prépare tout de suite nos bagages pour embarquer. Vous
voyez ça rappelle les voyages en mer. Ici il
n’existe pas de
visa. Au fur et à mesure que nous
montons sur l’embarcation, celle-ci s’enfonce
jusqu’à ne laisser que quelques
centimètres de bois émergeant. La ballade
commence. Oui, nous étions heureux. Un panorama
époustouflant. La petite brise qui commençait
à souffler de
l’ouest écumait des flots, un tableau
entièrement bleu outre-mer picoté de touches
blanches, de petites vagues clapotant
perpétuellement sur notre frêle
canot à moteur. Arrivés au milieu du parcours,
nous admirons l’immense retenue en béton capable,
à en douter, d’emmagasiner
l’impressionnant volume d’eau. Erroudji lui, est
sur de lui et parvient à sourire au fait de notre
étonnement. Il devrait se marier la semaine
d’après et a tenu expressément
à nous inviter aux festivités de son mariage.
Nous le remercions vivement. C’était
très gentil de sa part. Nous, on ne savait pas
combien durerait notre périple aux Babors. Trois, quatre ou
cinq jours, nul ne le sait. Mais si notre retour par Gueroua
coïncide avec le jour de fête, nous y viendrons
volontiers. Lui avions-nous rassuré.
On accoste finalement sur un terrain gréseux
à
quelques lieues de Bida, une ancienne bourgade romaine.
Déjà, des vestiges jonchent le sol
près de la berge. On débarque nos bagages et
payons notre cher ami noceur. La traversée a
été fabuleuse.
Dommage qu’il n’y ait pas
d’activités nautiques à
Erraguène et Bida. Se sont des lieux extraordinaires
où la voile, la planche à voile,
l’aviron seraient des pratiques sportives faciles
à développer. Pour le bien être et le
bonheur de toute une jeunesse.
Mais où sont les hommes ? Qu’est-il advenu des
bénévoles ?...Cherchez du
côté des D.J.S., les directoires des jeunesses
sédentaires.
Alourdis par nos sacs à dos, nous quittons
Erroudji.
Direction Bida, un kilomètre environ au sud. On y arrivera
après un quart d’heure. Notre première
halte se fait près d’une épicerie, la
première des constructions le long de la route,
où quelques personnes étaient assises. On y
entame avec elles une discussion. D’autres rentrent
à l’épicerie essayant de glaner
quelques victuailles rarissimes en ces temps. Au cours de la
discussion, quelques uns essaient de nous dissuader de continuer vers
Babor, arguant qu’il se trouve qu’on pourrait
tomber nez à nez avec des animaux très dangereux
tels les hyènes et les
sangliers…D’aucuns de mes compagnons prirent
aussitôt peur. J’ai tout de suite remis les
pendules à l’heure.
Nous sommes venus ici, dis-je, pour découvrir. Une manière aussi, pour espérer rencontrer le maximum d’animaux et les photographier si possible. Ce genre de pixels inédits serait un plaisir inénarrable.
…
Tous éclatent de rire. L’atmosphère se
détend alors. Et à propos de phots, nos
amis nous apprennent l’existence de ruines toute proches. Ce
qui peut nous intéresser. On profite de l’occasion
pour aller jeter un coup d’œil sur les vestiges
encore présent à Bida. Et apparemment on est en
présence d’une nécropole. Dans certains
caveaux en pierre calcaire, des ossements de squelette sont encore en
place. Une aubaine pour les archéologues. Malheureusement
nul ne s’en soucie ou ne s'en émeuve.
Nous rebroussons chemin après coup, avec dans nos mains de
grands épis de maïs, cueillis pour la circonstance
par nos amis, sur un terrain très bien travaillé.
Ils voulaient nous les faire cuire. Nous les en dissuadâmes.
Nous préférons le faire à notre
arrivée au prochain bivouac. Ils étaient vraiment
grands ces épis.
De l’épicerie, nous achetons des boites de fromage
et de thon et tout ce qui peut nous servir pour nos prochaines
étapes. La date de péremption, on s’en
foutait. Pourvu que l’on mange. Pourvu que l’on
trouve.
Au revoir tout le monde et merci. Nous reprenons la route. Les après-midi étésiennes sont harassantes. Ces heures sont normalement dédiées à la sieste et nous subissons péniblement le reflet du djebel Magramane. Encore un truc écolo. Les gens d’ici étaient vraisemblablement des verts. Je vous avais averti. Nommer un mont du nom d’une plante, médicinale en plus, efficace contre les ulcères d’estomac et les douleurs. N’est ce pas beau ! Magramane que l’on désigne également par Bouryamane est le nom local de l’inule visqueuse, une composée aux fleurs jaunes. Tiens, je vous l’apprends.
La chaleur pousse du macadam fondu par le
soleil. Nos visages ruissellent de sueurs. De virage en virage tout
aussi ennuyeux, sur un parcours
où tout arbre devient un éden d’ombre
et de fraicheur, nous aboutissons dans une petite plaine où
confluent vers la rivière El Bahar pas moins de trois oued :
Oued El Tahar et oued EL Aïacha qui dévalent de
Serdj El Ghoul, et oued Moussa descendant du djebel Z’natt
des Béni ZoudaÏ. Le paysage est beau et apaisant.
Enfin un large espace. En vain du plat dans un pays de monts. Une
région que quand on ne monte pas, on descend. Enfin une
piste linéaire et nivelée, source de
récupération et de repos pour nos pieds de
citadins meurtris par l'inclinaison. Tout de même, on a tenu
le coup et on s’y habitue de
jour en jour. La route que nous avons délaissée
s’évanouie vers Tamedelest. Nous longeons
maintenant l’oued Moussa et nous dirigeons vers Assoumar. Ce
sera notre lieu de campement pour la nuit. Il y a là une
belle source.
Il est temps de s’occuper d’ « abloul
». Quant à Tarik, il va s'occuper du diner. Les
autres ramassent du bois pour le feu qui nous servira comme
lumière et pour la cuisson des haricots secs et la
viande achetée le matin même.
C’est aujourd’hui qu’on va découvrir véritablement le mont Babor. Ce sera une escalade excitante, bien que la journée s’annonce très chaude. Ces jours d’août ou il est préférable de ne pas sortir. Nos premiers pas matinaux nous mènent vers le bras le plus aisé du Djebel Nator, à Bou Zeer (le patron de l’amphore ?), où nous pourrons accéder directement à oued Djemaâ, le cours d’eau qui dégringole allègrement de djebel Babor, alternativement surveillé par des fortins de ruines romaines. On aurait du l’emprunter, malheureusement pour une question de distance on a choisi une autre voie. Quelle bêtise culturelle ! Nous nous écartons maintenant du lit de l’oued pour remonter à travers une piste abrupte. Direction El Kalaâ. Il n’existe pas de forteresse, ni de fortins. Le mur c’était la montagne.[C’est près du mur, qu’on voit le mieux le mur] Puis, changement de décor, un paysage lunaire nous accueille. Et de quelle manière ! Sur la grande colline que nous parcourons par un sentier ascendant et qui disparait, absorbé par la sévérité et la nudité de la roche, aucune plante ne pousse. Même l’ocre de la terre est absente. Ecartée par les aplats séléniques la couleur est délavée. Le sol est d’une blancheur aveuglante. Jamais on n’aurait imaginé qu’à cette latitude, en une contrée des plus pluvieuses d’Algérie, rencontrer un paysage aussi aride. Aucun liquide ne suinte. Tout est mirage et sueur. À en croire que le soleil était plus bas ici. Nous étions constamment accablés par ses puissants rayons. L’explication de l’aridité se trouve sans doute dans la géomorphologie du terrain.
Moi, AnaAoudou billah min kalmat Ana), j’étai ébahi par l’intensité de la lumière et écrasé par ses radiations. J’ai apprécié la scène humblement, me sentant rêvé en face d’un « High Key » grandeur nature. Les amoureux de la photo reconnaitront. Ce spot paysage ne laisse pas indifférent. Une immense transe à moitié du jour…J’étais vraiment époustouflé. J’étais prêt en cet instant à engager une nouvelle randonnée en plein désert[Le désert, c’est Dieu sans les hommes, Balzac] , malgré la grande soif qui me tenaille. Le désarroi nous surprend encore lors de notre arrivée à El Gueteta, un havre d’ombre et de verdure, encerclé par la muraille manganèse d’El Kalaâ, inclémente et véhémente. Une oasis où circule un léger ruisseau d’été. Enfin de l’eau pure et froide. Merci oued Klettin. C’est là qu’on prendra notre pause-déjeuner. On n’y rencontrera ou espérera pas mieux. Des badauds arrivent déjà sur nous. Ils sont suivis par d’autres adultes. Ils sont tous étonnés de voir des jijelliens arriver jusqu’à eux. On leur demande la permission de rester environ une heure et demi chez eux. Ils étaient gentils et ravis de nous accueillir.
Priorité aux désaltérations et aux rafraichissements. Qu’il est bon de jouer avec de l’eau. Les plus hardis se sont permis une véritable douche, loin des habitations. Cela valait la peine. Le déjeuner est vite travaillé. Des concombres, des olives, du thon (de temps en temps) et des œufs à la coque. Tout est vite consommé dilué dans de grandes quantités d’eau. Une demi-journée de marche sous un ciel d’août, ça amoche. On était complètement usé, déshydraté. Tout le monde a envie de s’assoupir un peu, d’autant que le lieu nous y incite. Comment quitter subitement la fraicheur et l’ombre pour retourner encore à l’enfer. Allons une petite sieste ne nous feras point de mal. Alors chacun cherche un petit coin confortable pour s’allonger sur l’herbe grasse et propre, le sac à dos servant d’oreiller. Encore faudrait-il trouver la bonne position ; si ce n’est l’inclinaison ou les ondulations du terrain, c’est la forme de « l’oreiller » qui indispose la tête, ca peut être n’importe quel objet à l’intérieur du sac : casserole, plat, verre, une serviette, etc.…Tout de même on s’était reposé. C’était décontractant. Quelques uns de nos amis se sont effectivement assoupis. Je les enviais. Moi, le soleil diurne me boude. Tans pis.
Il est quatorze heure. On se remet d’aplomb, il y a du chemin à faire. Cinq kilomètres environ, et en montée S.V.P.. Une dénivelée de 400 mètres, entre Taksrirt (800m) et Tala Tainsra (1200m), à parcourir en pleine après-midi. Notre premier objectif est d’atteindre la piste qui longe djebel Bou Kaïs. Nos pas sont lourds, et à penser qu’on était bien sous la verdure pour affronter derchef l’astre du jour, nous affecte et déprime… Tant bien que mal, nous aboutissons au col qui sépare Melbou (1151m) de Bou Kaïs (1243m). Une pause cigarette s’impose. Je vous l’avais dis, on ne pouvais pas s’en passer. Pas de la cigarette, il ne faut pas se tromper, de la halte. Au sommet, on haletait…On se hâtait également à boire à grandes gorgées. L’œsophage rivalise avec la trachée pour l’accès au palais. Boire ou respirer en premier. On ne savait pas quoi choisir. Alors, on faisait les deux. Il n’y avait pas de priorité. La cigarette patientera.
Adossés au terrain, soulagés de l’effort, nous contemplons plein sud les hautes plaines sétifiennes. Le village Babor est à portée de main. Entre le nord déchiqueté et le sud ondulé, le contraste du relief est saisissant. Plus prodigieuse encore, la forme domotique du djebel Babor(2004m) qui se dresse au couchant, telle une barrière. Avec ses bords évasés, il fait penser à une énorme soucoupe disposée à l’envers. Le massif reste impressionnant. Nous nous ébranlons pour continuer notre route. Le terrain n’est pas ardu. On progresse maintenant à vue : pas besoin de carte. Nous cheminons le long de la ligne de crête du mont Bou Kaïs pour rejoindre Djouadda, une petite bourgade. En chemin, nous voyons un cheval galopant sur un large terrain dégagé. La scène est séduisante. Au pays des ânes, rencontrer un cheval, blanc en plus, sans qu’il soit albinos, l’image nous interpelle. Il était libre, je l’avais senti. L’équidé gambadait ; les rayons du soleil couchant rosissaient sa robe et déchiquetaient sa crinière au vent. Il était content et nous épuisés. Nous arrivons à Djouadda. Nous rencontrons des gens sympathiques et expansifs. Ils nous disent que nous étions parmi les premiers algériens étrangers à la localité d’avoir fouler le sol de Babor. Ils étaient satisfaits. Nous aussi. Tiens, ils nous apprennent à propos de notre cheval immaculé ; qu’il est très connu dans la région et a même participé à l’effort de la guerre de libération nationale. Je vous l’avais dis ! Il est particulier cet animal. Eh ! Voila, il exhale l’âme du patriote. On l’avait senti. Il possède l’allure d’un révolutionnaire, ses gambades l’attestent; le caractère d’un être libre et neutre, sa couleur le prouve.
Tala Tainsra, notre prochain bivouac est à deux kilomètres. Nous profitons de notre halte à Djouadda pour faire quelques achats à l’épicerie du coin. Nous reprenons la route car il commence à faire froid. Je ne vous le cache point ; en est en montagne. En cours de route, nous partageons nos pas avec un personnage inaccoutumé et diseur rencontré au village. À notre question de savoir comment fut nommée la montagne Babor. Notre interlocuteur nous répond, intimement convaincu de son idée, que c’est par la grâce de Sidna Nooh. Oui, le Noé du déluge. Il était venu accoster, selon notre ami, lors de la grande catastrophe, en cet endroit, sur des berges restées encore exondées. Il nous assure aussi avec pertinence, qu’il existe encore des restes de poissons au sommet, sur la crête de la montagne sacrée, là où survivent avec peine les derniers peuplements de sapin de Numidie (abies numidica). Un Ararat nord-africain, on aimerait bien y croire. Son conte y est séduisant. Faudrait sinon balayer la thèse du peuple Bavare (pour Babor bien-sur), qui habitait la contrée numide, et qui n’avait de cesse à harceler les troupes romaines avec l’aide des Fraxinens et des Quinquegentiens de la Grande Kabylie. En somme, il aurait une origine berbère.
Après un petit déjeuner pris dans le
froid, sous un ciel couvert, nous remballons nos tentes et
préparons nos sacs pour une montée vers Tababort
en longeant le vesant nord du mont Babor (2004). Pour gagner du temps
nous nous décidons de prendre un raccourci comme
indiqué sur la carte en direction de Cirki en plein bois de
chênes Zéens. Nous avions alors
délaissé la route et partîmes vers le
bois de cèdres au dessus de Tala Tainsar, notre lieu de
bivouac. Pour aboutir au sentier pédestre, nous sommes
obligés d'aborder des pentes très abruptes et
difficiles. Et la nous découvrons la grandeur du
mont Babor. Le bateau de Noe, Babor Nooh, non!.
A présent, nous arrivons au sentier en question qui disparait par endroit. Heureusement, grâce à la hauteur, nous pouvions nous orienter. Nous continuons en direction du nord-ouest. Arrivé à mi parcours, nous entamons un terrain non seulement très pentus mais également nu avec un sol très friable qui glisse sous nos pieds. Nous nous arrêtâmes. C'était assez dangereux . Ou bien on traverse en cet endroit, ou bien on sera amené à faire un long détour pour descendre en s'aidant des arbres et de la végétation pour ensuite remonter de l'autre coté de la partie du terrain effrité, avec comme bonus une dénivelée décourageante. Avec la chaleur de l'après-midi et nos charges, il y a de quoi décourager un âne!.
Nous avons décider de nous arrêter et y réfléchir calmement le temps de prendre notre déjeuner. Il était quatorze heure. Après la pause, nous décidâmes de passer résolument par le petit sentier. Nous avions avec nous une longue corde, idée lumineuse de Mohamed qui l'avait ramené. Nous la déroulons alors et c’est moi et Malek qui ouvrons la marche espérant regagner l’autre bout de piste effritée. On devrait accrocher la corde sur une branche excentrique d’un gros arbre. On marchait doucement et arrivé au milieu du trajet, j’ai senti mon pied glisser. Je ne possédais plus d’appoint. J’ai seulement eu le reflexe de m’adosser à la pente en se servant de mon sac à dos comme amortisseur et ralentisseur. Je dévalais à petite vitesse emportant avec moi des tas de pierres et causant des mini-avalanches. Je n’étais pas paniqué du tout. Au pire, si je roule de cette façon, j’arriverai en bas du talus qu’il faudrait carrément remonter péniblement. Mais attention à la culbute, elle peut me ramener au fond de la chaâba facilement, et là c’est dangereux quand aux suites. Dérivant dans mes pensées flash, je sentis brusquement mon pied droit se raidir. Ma chute vient de s’arrêter nette. Je me retrouve maintenant au dessus d’un bloc de pierre saillant à une dizaine de mètres au dessous du sentier accidenté.
J’enlève tout de suite mon sac à dos pour être plus libre. J’appelle Malek pour qu’il me jette la corde. C’est lui s’approche avec une dextérité remarquable. Lui ne glissait pas. Il arrive à mon niveau et prend le sac pour le remonter. Moi, je m’accroche à la corde et on me tire de là. Arrivé à l’autre bout, on accroche la corde, s’en est fini, on peut tous passer.
Après le franchissement du sentier dangereux, la
course devient possible jusqu’aux mines près de la
source de Ta Aïncor. On emprunte Draa Tarikt, un bras de
montagne qu’un sentier pédestre contourne
jusqu’à Aïn Samta, notre prochain
bivouac. On se retrouve à 1400m d’altitude dans un
paysage époustouflant. Mais je vous assure tout de suite,
l’eau de Aïn Samta n’est pas
saumâtre. Hloua, mais pas sucrée ;
délicieuse et intarissable.
Le site est vraiment remarquable : à cheval sur plusieurs
wilaya, Jijel, Béjaïa et Sétif, il sied
merveilleusement à un centre d’entrainement pour
sportifs de haut niveau. Surtout faisons attention à
respecter la nature et adopter une architecture valorisante.
Un grand bassin d’eau jouxte la fontaine de
Aïn Samta. Pendant que nous nous
désaltérions de son eau, un troupeau de bovins
s’approche. Les animaux viennent s’abreuver avant
la tombée de la nuit pour ensuite rejoindre les
écuries, en contrebas à Merdja Es Sommar (la
prairie de joncs). Ils sont guidés par un bon personnage,
Mohamed Samta, doux comme l’Aïn. On passera une
demi-heure à discuter avec lui. Il nous raconte les
évènements qui se sont
déroulés ici durant la dernière
guerre. Il nous décrit comment est tombé au champ
d’honneur le commandant Rouibah Hocine à
Aïn Labna, le lieu du martyr de Roula Mohamed Seddik dans une
grotte à Tababort, qu’il nous désigne
au loin.
Lui-même, le pauvre a perdu son bras gauche durant ces
années. Il porte une prothèse et est
resté fidèle à sa montagne,
à son labeur. Il nous a aussi invité chez lui le
bon type. À notre grand regret, nous déclinons
l’invitation sincère, beaucoup plus par souci de
ne pas le déranger lui et sa famille. Il reçut
nos vifs remerciements.
L’éclat du jour s’assombrie de
plus en plus. Nous érigeons vite notre campement. Pris
d’une légère fièvre, je prie
mes compagnons de me laisser se reposer car je n’avais aucune
force à travailler et je commençais à
trembloter.
Je vêt un survêtement et porte un bonnet en laine.
J’avais besoin de chaleur. Je prends du
paracétamol et je m’enfourne dans mon sac de
couchage. Il ne faut point s’étonner, il fait
froid en montagne même au mois d’aout.
Tout près de moi, la casserole posée sur la bonbonne de gaz orange chauffe l’eau. J’aimerai y être dedans. Je contemple quelques mètres plus loin le jeu fractal des flammes qui s’amusent sur les grosses branches d’arbres. Elles cachent d’une couleur rouge-orangée les cimes des montagnes de Numidie qui s’éclipsent à l’est peu à peu dans la pénombre du crépuscule.
C’est notre ami Sofiane qui s’est réveillé en premier, victime le malheureux d’une rage de dents. A quelque chose malheur est bon. Il nous raconte comment il a vécu le lever du soleil. C’était époustouflant. Un spectacle extraordinaire. Jamais il n’a vu une aube aussi belle. Nous y avons assisté un peu. Cette image nous renvoie véritablement la nature montagneuse de notre région. Pour ceux qui ne la connaisse pas encore…
En effet, les rayons rougeâtres et flamboyants du soleil esquissent un profilé égoïne, tel une scie, je l’affirme oui…de la procession des cimes au levant. Notre compagnon a même vu le fameux rayon vert, indice de la pureté de l’air. Il le redécouvrira plus tard au sommet de l’Assekrem, à l’Ermitage du Père Foucauld, avec une majorité de touristes allemands extasiés à l’ivresse devant le tableau du soleil naissant. Oh ! Mon Dieu. Quelle Aurore !...
De cet éveil matinal, notre ami en profita pour nous confectionner le petit déjeuner. Moi, je m’en suis remis de la fièvre de la veille et Kamel, le malheureux, souffrait toujours des douleurs de la plante de ses pieds. Quand on possède des pieds plats il fallait s’y attendre.
Le soleil inonda fortement maintenant la petite vallée d’Amellat, pour nous signaler l’heure du départ. De Merdja Assoumar, oued Djemaâ a déjà ventilé ses brumes et repris sa course. C’était un vendredi, voila une belle coïncidence! Vous n’avez pas pigé ? Regardez la date du côté de l’oued.
Nous, nous prenons le chemin de Khenag El Had, il n’y avait pas de défilé, ne vous en faites pas, on passe par Hadjar Zerga (le rocher bleu), un petit monticule aux teintes azurs impressionnistes. Quel paysage ! Quelle émotion ! Et regardez à gauche le mont Tababort, si majestueux. Tababort ne peut être que la campagne de Babor. La paroi rocheuse qui nous fait face, telle un mur baigné de soleil et de tièdeur, devient ce matin le théâtre de jeu d’un groupe de macaques d’une vingtaine d’individus.
Notre marche merveilleuse à travers un pâturage gras et haut est sans difficulté. Seul le vol des perdrix qui démarrent de je ne sais où du sol, nous surprend régulièrement et décollent en nous une décharge d’adrénaline pour que nous éclations de rires interminables. Non, on n’était pas fous.
Kerneg El Had (la corne du dimanche?, tiens c’est quoi ça ?), est une sommité où convergent plusieurs sentiers, sept en tout. Une petite ruine indique l’existence d’un ancien mausolée qu’on visitait sans doute il n’y a pas si longtemps. Ce sont donc les « sept chemins du Kerneg ! »
Avec le temps, un regret m’a toujours poursuivi. Celui de n’avoir pas pu ramener un plant d’une espèce que j’aime beaucoup, l'oeillet[..El Kranfal oual Ward maâbaâd, oua Kandoul Allache..]. L’œillet des Babors, peut être. L’œillet des Berbères sans doute. Chacun ses goûts. Je ne suis pas rose.
La belle
petite plante de couleur mauve clair, je n’en ai jamais
observé, je l’ai tout
de suite adoré. J’en ai
récolté une avec ses racines, espoir de la
cultiver
chez moi, mais la malheureuse n’a pas tenu le coup et
s’est éteinte bien avant
la fin de notre randonnée malgré les petits soins
que je lui ai prodigués. Cette
perte m’a empesé. Mais j’ai
juré, je reviendrai un jour pour la revoir.
Peut être la recueillir et l’adopter.
Des
« sept
chemins », nous empruntons le sentier
le long de la
ligne de crête du
djebel Sekkouk (1251m). Nos pas sont aisés, seulement la
chaleur nous assèche
vite. On a besoin de boire plusieurs litres d’eau.
C’est le mois d’août il ne
faut point l’oublier. Ici, il n’existe pas de
sources,
pas même un
« nabaâ »
aussi petit qu’il soit. Nous devons
descendre
plus bas, vers Gueroua, pour espérer remplir nos gourdes. Et
on en est loin.
Nous terminons seulement la ligne de crête de Sekkouk pour bifurquer à gauche et aller vers la forêt de chênes lièges de Ras Melleba. On trouvera peut être une véritable source d’eau, de l’ombre c’est rassuré. Gueroua est à deux kilomètres, plus bas à droite de notre itinéraire. C’est une escale de notre étape d’aujourd’hui. Face à l’ardeur du soleil, « Kayla » comme on dit chez nous, nous décidons de prendre un peu d’ombre et de repos sous le bois tout proche.
Ah ! Une grande
différence. Tout est transformé.
L’humeur, les nuances vertes et
sombres du sous bois, les senteurs embaumantes des chênes,
les cris d’oiseaux
invisibles, les sons qu’on avait oubliés de
percevoir durant la matinée ardente. Maintenant
notre groupe s’est scindé en deux, le premier
emprunte le sentier forestier
sans doute emporté par la fraicheur des lieux et le
deuxième que je partage les
suit à une centaine de mètres. Dès
fois les premiers disparaissaient derrière
les virages pour réapparaitre plus loin. Tout paraissait
paisible. Mais au bout
d’un certain temps, je me suis aperçu que quelque
chose clochait. Je n’arrive
cependant pas à retrouver le sentier lisible sur la carte
menant vers Gueroua.
Je demande à tout le monde de s’arrêter
pour faire une mise au point sur la carte qui
nous guide. En cet endroit, il est très
délicat de se situer, les cimes
des montagnes sont cachées par la
végétation et le relief.
Effectivement, on était entrain de dévier de
notre itinéraire. Nous marchons vers le nord alors
qu’on aurait déjà du bifurquer vers
l’est, en suivant l’oued El Gueroua. Non seulement
on a dépassé celui-ci, encore fallait-il trouver
un endroit pour traverser et y abréger la distance afin de
rejoindre les environs de mechta El Gueroua. Pour le faire, une seule
possibilité nous restait, descendre le long d’un
escarpement rocheux à la verticale, à Dra
Ezboucha (bras de l’olivier), en s’aidant de la
corde en notre possession.
C’est Malek, volontaire comme à son
accoutumée, qui va descendre en premier. On accroche la
corde autour d’une branche d’un chêne
pendante au dessus du vide. On l’aide à glisser
doucement. Il arrive rapidement en dessous. Je fais la même
chose et je le rejoins en bas. Puis ce fut autour des sacs et charges
à être descendu. Maintenant qu’on est
deux au fond, la tache est aisée pour nos compagnons pour
nous rallier. La branche fait désormais fonction de poulie
et nous deux tenions fermement la corde pour balancer le poids et
soutenir la descente. Tout le monde est rassemblé !
Nous entamons maintenant une poursuite sur un terrain
entièrement rocheux sculpté par le ruissellement.
De gros rochers nous obligent à faire des
détours. Mais nous arrivons vite à Azib Azafou.
Des ruines romaines sont signalées sur la carte. On ne les
avait pas visité, afféré à
trouver un lieu sur pour notre bivouac. Deux ou trois heures et la nuit
va tomber. Nous décidons de continuer notre course
à travers une piste ombragée qui suit
l’oued El Gueroua. Nous marchions d’un pas vif et
on se retournait souvent Sofiane et moi, au détour de chaque
virage, pour « apprécier » la
démarche de Kamel qui clopinait derrière. Il
souffrait le pauvre et n’arrivait pas à suivre.
Son sac à dos le rapetissait. Ce
n’était pas beau à voir. Il me raconta
plus tard, le calvaire qu’il avait enduré :
douleurs à la base des pieds, ampoules durant tous les
trajets, etc., … Pour cette raison, il a cru devoir
s’arrêter à Erraguène. Nous
n’avons pas essayé de le convaincre de rester
parmi nous, de peur qu’il ne tombe malade. Egalement, on
avait hâte de le voir cesser de souffrir.
Deux personnes adultes rencontrées en cours de
route nous invitent à aller à la fête
qui se déroule près de Outha Es Sada.
C’est proche. On avait pris en compte cette invitation. Tout
ce que l’on désirait avant tout, c’est
d’arriver près du lieu où nous devons
camper. On était éreinté et
eûmes tous la même réflexion, dormir
aussitôt sans devoir préparer quoi que ce soit
pour diner. Qui dort dine ! dites-vous? L’abattement
était plus fort que l’appétence.
Le bruit de la fête se fait de plus en plus fort. On
décide de s’écarter du chemin. Peine
perdue, des personnes viennent vers notre direction et nous rattrapent.
Ils nous ont reconnus et nous affirment qu’était
la fête de mariage d’Erroudji, notre passeur.
Quelle coïncidence ! Comme promis, on décida
volontiers d’aller partager avec eux ce bonheur.
Nous eûmes droit à du «
djouaz
», une sauce faite de viande et de morceau de
trippes. On en
a mangé allègrement. Pour la première
fois, un repas nous est servi, sans aucune corvée.
Malgré la fatigue et par respect pour la famille du
marié et face à leur insistance, nous
dûmes rester encore avec eux pour boire le café.
L’atmosphère était
agréablement enjouée. Ils étaient tous
très contents de nous compter parmi eux. Nous aussi, surtout
pour leur hospitalité.
Vers dix heures du soir ; jamais on a veillé
jusqu’à cette heure, nos inviteurs nous conduisent
vers un endroit qu’ils connaissent où nous
pourrons installer nos tentes en toute quiétude. On les
remercie vivement.
Sitôt montées, nous nous précipitâmes à l’intérieur. Ouf ! Quel apaisement. Depuis qu’on attendait cet instant. Nous ne tardâmes pas à tomber dans les bras de Morphée qui s’impatientait.
Au premier réveil, nos jambes sont lourdes par le périple de la veille. On n’ose pas ouvrir nos tentes berné par la tiédeur des intérieurs. En regardant en dehors, le temps est gris, à quelques mètres de nous le bord du lac du barrage que nous n’avions pas remarqué à notre arrivée en pleine nuit. « À l’ombre tous les chats sont gris », on l’a vérifié. Tout ce que l’on espère maintenant que les nuages se dissipent et laissent place à un bon soleil. L’enfant qu’il était Mamane, sans crier gare, cours et se jette directement dans l’eau matinale. On avait eu froid à sa place. Personne ne l’a suivi. On s’est afféré seulement à préparer le petit déjeuner.
Quelques minutes plus tard, nos amis fêtards viennent nous rendre visite. Ils sont venus les bonhommes pour nous rassurer de ne pas nous déplacer puisqu’ils ont délégué un des leurs pour qu’il vienne jusqu’à nous avec le canot à moteur pour notre traversée vers Erraguène. C’est tant mieux on ne va pas se déranger. Ce sera un cousin d’Erroudji qui va s’occuper de nous. Effectivement, ici, tout le monde est cousin. Et c’est bien ainsi. Quand à Erroudji, notre prime passeur, il a fort affaire avec sa famille.
On termine le petit déjeuner et
déjà on entend le bruit du moteur d’une
embarcation qui s’approche. Au détour
d’un bras de montagne le canot apparait et se dirige vers
nous. Il y avait foule sur la berge. On embarque rapidement
aidé par nos amis. On doit repartir. Au revoir.
Erraguène nous attend derechef. Ezzeraguène nous
appelle.
On franchit le plan d’eau avec rapidité, le bassin
était calme. On arrive sur la rive opposée puis
on se dirige vers le village tout proche. À la boulangerie,
on a pu acheter que quelques baguettes de pain. À notre
arrivée, elle allait fermer. Il était presque dix
heures. À l’épicerie, pas
d’huile également. Pour le pain, pas de
problème, on a encore nos provisions de semoule et de
farine. Elles sont suffisantes pour deux ou trois jours encore. Pour
l’huile, on est juste juste. Miraculeusement, avant de
partir, quelqu’un qui a remarqué notre
quête de provisions, nous appelle. Il nous a
ramené un litre huile et quelques morceaux de galette de
leur maison. On n’en revenait pas. Quelle
hospitalité ! Nous le remercions vivement, car on reconnait
pertinemment les difficultés d’approvisionnement
dans ces contrées excentrées.
Il est presque onze heure. On rejoint certains de nos
compagnons attablés à une terrasse de
café. Kamel va nous quitter, il ne peut plus poursuivre la
randonnée, ses pieds ne répondent plus. Il attend
le bus ou une occasion pour rejoindre Ziama Mansouriah. On lui souhaite
un bon retour. On doit maintenant partir.
On quitte l’agglomération pour suivre une
piste qui surplomb l’oued Djendjen. Après un
kilomètre, on dévale directement la pente pour
aller au lit de la rivière. De là, on ira sur
cinq kilomètres environ jusqu’à Oualil.
Quoi ? Vous ne connaissez pas ? C’est simple, c’est
le pays de Slimane Zeghidour. Vous ne connaissez pas le personnage
encore ? C’est un socio-politologue, auteur de plusieurs
ouvrages. Bref, il est rédacteur en chef à TV5.
Ca vous va ?
Slimane est accueilli partout, selon un ami, mais reste
indésirable chez lui quand il n’est pas moins
inconnu. Indésirable parmi les gouvernants. On
s’entend !
Les courbes et les méandres de l’oued se succèdent, rognant davantage les escarpements des djebels Zoudaï, Bou Dekkak et Bou Chkirid. Oliviers et broussailles se disputent les terrains et les pentes. Les joncs aux épines acérées cèdent la place au royaume du laurier rose au niveau du l’oued.
On passe près de la confluence de oued Tisendall,
joli nom ! Il demeure maintenant environ un kilomètre pour
apercevoir Aîn El Ouldja. Un endroit fabuleux. Pas de plus
iréel que d’être accueilli par une
cascade tombant d’une dizaine de mètres. Dans les
graviers de l’oued, un immense bassin s’est
formé étalant une écume blanche sur
toute sa surface. Le débit de l’eau est important.
Mes amis sont éblouis, tout de suite ils prennent
la direction de la piscine naturelle. On y plonge directement. Mettre
ses épaules, lacérées par les
lanières des sacs à dos, à la
disposition de la force du puissant courant descendant, procure un
immense apaisement. Nos muscles journellement sollicités se
décontractent. C’est revigorant.
Reste les blessures intérieures. Dans ce cas,
priez!…
Il est temps de s’occuper de la nourriture. Le repas vespéral. Aujourd’hui, c’est mon tour de le préparer. Je débute avec le matloô, la galette molle, si on préfère. C’est simple, selon ma mère, de la semoule est mélangée à de la farine, on y ajoute quelques pincées de sel, de l'huile, de la levure de boulanger et de l’eau jusqu’à obtenir une patte visqueuse. Puis on pétris le conglomérat dans une bassine en plastique. Une Kassaâ en bois serait trop lourde. Quand tout est homogène, la pâte est découpée en boules égales qui seront mises sur des assiettes saupoudrées de farine qu’on laisse lever sous un tissu.
Pendant ce temps, Malek s’est porté volontaire avec son frère Djalel pour nous ramener deux jerricans d’eau de vingt litres chacune à partir de la source qui se situe en hauteur. Les habitants du lieu nous ont déconseillé de boire l’eau de la cascade. Pour mes deux cousins, c’est une véritable escalade qu’ils sont entrain de pratiquer. Il fallait être costaud pour y parvenir.
La cuisson de la galette est faite sur une tôle
confectionnée spécialement par l’oncle
de Kamel. Il ne reste qu’à étaler la
première boule et la laisser cuire. Le résultat
est dès fois décevant lorsque qu’on
renifle le roussi à des centaines de mètres. Faut
pas en rire, cela peut vous arriver.
La cuisson de la galette est faite sur une tôle
confectionnée spécialement par l’oncle
de Kamel. Il ne reste qu’à étaler la
première boule et la laisser cuire. Le résultat
est dès fois décevant lorsque qu’on
renifle le roussi à des centaines de mètres. Faut
pas en rire, cela peut vous arriver.
Après le repas, on s’installe à côté. Voyez le décor : un feu de camp bien nourri rougeoyant, des bougies placées à l’intérieur des bidons délivrant une lumière jaune, des volutes du café encore chaud et le fracas de la chute d’eau à coulée cotonneuse dans le noir, comme sonorité de fond. C’est exquis, non ?
On aimerait bien veiller, surtout en cette
scénographie, mais la fatigue et le sommeil nous rattrapent.
Et puis, il fait aussi frais. Il fallait se couvrir pour
espérer durer dehors.
Les dernières cigarettes aussitôt
consumées, on pénètre directement dans
nos abris tièdes.
Ah ! Que c’est bien. Bonne nuit.[..Touil
Ellil Ala El Guellil..]
Ce jour-ci, le soleil tarda à venir nous réchauffer. Il est six heurs du matin et il fait froid. Au fond de l’oued la brume matinale persiste, tout le paysage autour de nous est absent. Seules quelques silhouettes de branches d’arbres grands se dessinent en filigrane. Mais la chute d’eau est présente, on l’entend. Qui osera prendre un bain avec cette température ?
Aujourd’hui, en principe, c’est mon tour de faire le petit déjeuner pour mes amis encore au chaud. Je me suis levé tôt et j’ai mis le lait et le café chauffer sur le feu. Le temps de la préparation, je prends ma serviette et me prépare à plonger dans l’eau. Je rentre dans la grande marre en frissonnant. Au bout de quelques instants, après la vasoconstriction périphérique, mon corps s’adapte à la température du liquide. Quelle extase !
Le flot d’eau qui s’abat sur la rivière continue de la creuser et former une petite piscine. Sur nos têtes qu’il cogne perpétuellement, il nous vide de tous les tracas des journées passées, nos muscles se détendent. Une grande sensation de relâchement nous enserre et nous procure énormément de quiétude. On peut maintenant entamer une autre semaine.
Profitez-en ! dis-je à mes amis, maintenant debout afférés à récolter le linge.
Le temps d’aujourd’hui laisse couler une brise froide par instant. Ce n’est qu’à notre départ que les premiers rayons de soleil naissent entre deux nuages. Il fait pourtant froid. Nous laissons derrière nous Aïn El Ouldja, nous quittons les abords de Oualil, sa source et ses enfants joyeux et respectueux. Notre journée ne s’annonce point ardue, notre marche sur le lit de l’oued DjenDjen est aisée, il n’existe pas de pente. On en profitera pour parcourir le maximum de kilomètres.
Pourquoi ?
Pour essayer de gagner encore une journée en plus de randonnée.
Mais est ce possible ?
L’oued draine en certains tronçons de gros blocs de rocher qui nous gênent dans notre progression. On cherche désormais des sentiers aux abords des berges et souvent ils n’en n’existent point. Alors on exécute de grandes enjambées sur de grands rochers avec risque de glisser.
D’El Aïoun à Asseratou, la rivière DjenDjen divise la zone en deux parties avec des toponymes évocateurs. À droite se dresse le djebel Dar El Haïla et son éminence Dar El Relem (855m), le royaume des maisons (Dar). À gauche, le monde des forteresses (Kalaâ) ; exemple Kalaât Menagui ! et Kalaâ Bou Krina (652m), que des gosses escaladent avec aisance. Par temps chaud, ils viennent dans ce méandre qui contourne Bou Krina pour plonger et nager.
Nous continuons notre chemin rapidement car le temps se gâte. Le ciel commence à s’assombrir et des éclairs s’abattent sur la montagne. Le fracas du tonnerre est assourdissant. On craint actuellement la foudre et les coups de tonnerre sont de plus en plus proches. En montagne le bruit du tonnerre n’a pas de pareil. Celui qui ne connaît pas, aura tout de suite peur. Nous aussi, pour une autre bonne raison. Moi, je portais la bonbonne de gaz, c’était mon tour et Malek la plaque de tôle sur laquelle on confectionnait notre pain quotidien (le matloô). Alors, nous nous sommes mis d’accord. À chaque fois que les éclairs illuminent le ciel, nous laissons sur place nos objets métalliques et courront se réfugier sous une paroi rocheuse sitôt proche. Mais ce n’était pas toujours le cas. Toutefois, on n’avait pas eu le mauvais réflexe d’aller s’abriter sous les arbres. Techniques scouts ! Peut être. Celles d’aventuriers, oui. La foudre s’abat fréquemment sur un arbre. Notre problème, c’est la pluie.
Mais que faire ? On n’avait pas d’imperméables. Et notre progression est vite ralentie. Nous avions froid. Nous nous arrêtons pour produire d’autres habits. Mouillé que frisquet. Peine perdue, il pleut de plus en plus. Ce genre d’averse ne cessera pas d'aussitôt. L’orage va encore durer et il tiendra tard dans la nuit.
Tarik s’est drapé dans une tenue digne d’un Maharajah. Il nous a tous fait rire. On l’appellera désormais Sidi.
On croyait que les ondées allaient s’estomper, nenni.
J’ai instruis donc mes compagnons de trouver au plus vite un endroit assez sec où nous pourrions monter nos tentes. C’est décidé, on s’arrête.
Il n’y avait pas d’autres solutions. La pluie nous noie et on risque de tomber malade. Et où trouver un endroit plat et un peu abrité ? Sinon, marchons.
Finalement on arrive au pont métallique de Asseratou. On coure vite s’y réfugier dessous. Lors des accalmies éphèmères, nous nous empressons à déblayer un terrain tout proche pour ériger notre campement de la nuit. L’eau ruisselle fortement sur le terrain, malgré le nombre de rigoles qu’on a creusé. Et à chaque nouvelle averse, on détalait rapidement s’abriter sous le pont. C’était hilarant. En dépit de notre condition.
Et, hop ! Une personne arrive, elle se dirige en notre direction, elle va enjamber le pont. C’est un jeune avec qui nous entamons une discussion. Nous lui expliquons que nous sommes entrain de dresser en cet endroit nos tentes.
Il répliqua. Comment allez-vous faire avec la pluie.
Sous nos abris, on est en sécurité. L’essentiel est que le terrain ne s’inonde pas. Autre chose on en a l’habitude et ce genre de situation fait partie de l’aventure que nous désirons.
Non, rétorqua t-il. Prenez vos bagages, je vous emmène vers une grange vide. Est-ce que cela vous arrange. On était tous soulagé, enthousiasmé, et on ne savait pas comment remercier cet étudiant, puisque s’en était un. Il poursuivait des études à l’université de Constantine. On a tout de suite sympathisé.
La procession que nous faisions déambulait rapidement sur le pont qu’on enjambe, des de tentes dépliées sur nos tètes nous protégeait de la pluie. On s’amusait comme des gamins. Le pont s’achève et nous rentrons dans un lieu ombragé. Quelques mètres plus loin les premières maisons. Il y a même une petite épicerie tenue par une vieille femme, ben oui ! Par une grande mère. Et elle s’y plaisait. Seulement, on n’avait rien à acheter, les denrées nécessaires comme l’huile, le pain ou la semoule. Il y avait pénurie. Et dans ces contrées isolées, le malheur est quintuplé. Que des gaufrettes et des biscuits. Nous achetons quelques uns quand même. Pour grincher la nuit.
Notre ami nous emmène à la grange. Elle était propre et grande. Aujourd’hui pas de tentes. Nous sommes soulagés. Au menu d’aujourd’hui. Rien. On est tous fatigué pour préparer le repas du diner. Chacun a fouiné dans ses bagages. Restes de pain, fromages, thon, etc.… Nos provisions quoi ! Après s’être éclipsé discrètement, notre nouvel ami, revient et nous apporte un peu de Kessra. C’était très gentil de sa part. Nous on ne revenait pas. On partagea ce don de Dieu équitablement. On profita pour chauffer du café au lait. Kahwa d’el Asser décalée oblige. Kessra et gaufrettes. C’est Inoubliable, ces moments.
Petit déjeuner dans une grange. N’est ce pas original ! Pour nous c’était agréable et réjouissant pour débuter une nouvelle journée de l'excursion qui n’en finit pas. Après le déluge d’hier, une belle journée ensoleillée s’annonce, la fraicheur bloque toujours la tiédeur (douceur) des premiers rayons de soleil safranés. On y va tout de même. Direction les contrebas des Béni-Yadjis dans sa partie la plus boisée et qui longe l’oued Djendjen. On quitte El Ouadia et saluons Tidas. Pourquoi cette bourgade particulièrement. Car ce vocable me plaît et me captive. Un joli nom, non ? Pour moi, Tidas rappelle Tiddis. Un avertissement d’un amateur de choses anciennes. Il viendra ce jour ou ce label sera tout aussi connu. Pourquoi pas ?
Près de Tazmourt, on franchit un affluent de l’oued Djendjen qui descend directement de Tamesguida pour prendre successivement trois noms sur les trois ultimes kilomètres ; allez savoir pourquoi ? Oued Miçarene, oued Asmassène et oued El Mezabia. Ce cours d’eau déchire le djebel El Kalaâ (1300m), le fend en deux et le ravine. Du beau spectacle en perspective pour les adeptes des excursions pédestres. On ne peut rester indifférent. Admirez la photo de la montagne sous la neige. Celle de droite exactement.
Notre errance continue le long de la rive gauche de
l’oued Djendjen où par endroit la glaise
pernicieuse nous embourbe si on ne glissait pas. Sur les trois
kilomètres suivants, la marche fut malaisée. On
s’éloigne dès lors de la berge pour
retrouver des sentiers plus secs. Notre groupe se disloque en trois.
Trois, toujours trois, je ne sais pas pourquoi ? Chacun discute du
sujet qui le satisfait. Mohamed et moi, fermions la procession et
restons à vue de nos compagnons qui nous
précédent. D’ailleurs on ne risque pas
de s’égarer, il suffit de suivre le courant,
même si on devrait rencontres des affluents
importants.
D’ailleurs, nous arrivons auprès de
l’un deux, l’oued Bou Nassa. J’interromps
Mohamed pour lui dire s’il avait
reconnu le lieu. Il me rétorque que non. Eh bien, lui
dis-je, c’est dans cet endroit précis que
l’année précédente on avait
bivouaqué avant notre montée vers le sommet de
Tamesguida. C’est un bon endroit, ombragé avec de
grands chênes lièges
élégants à canopée
étalée. Je m’arrête pour
prendre une photo du paysage. Là, on avait fait une belle
rencontre avec les enfants d’abord puis les personnes adultes
de Bou Djouda. La saveur de l’eau de Aïn Bou Kiki
peut en témoigner.
On se remet en course, nos amis sont
déjà loin. Eux
n’ont pas remémoré l’endroit.
Dommage
qu’ils le soient car j’aurais aimé aller
visiter un
coin dégagé dans la forêt,
indiqué en blanc
sur la carte, indice probable d’existence de vestiges
enfouis.
Une petite piste y conduit et arrive jusqu’à la
mechta
d’El Mardja et Mzaret Si Mbrarek du douar Rekkada.
La cadence
de
la marche fait que nous dévorons des kilomètres.
Reconnaitre aussi que nos sacs sont dégarnis, le terrain
plat en
plus de l’habitude acquise. Nous cherchons à
présent un gué pour
passer sur l’autre berge.
Sitôt
retrouvé un passage convenable, nous traversons la
rivière dont le débit devient de plus en plus
important.
Nous sautons de rocher en rocher jusqu’à aboutir
de
l’autre côté. Un site
protégé du
soleil nous accueille. Une piste pittoresque suit la rive en montant,
c’est à cet endroit que l’on prendra
notre
déjeuner.
On ne s’était pas attardé car le temps
n’était pas de bonne gaité. La
journée
d’hier nous avait appris les aléas de la marche et
du
bivouac en pleine pluie. Et puis tout le monde était las et
avait hâte d’arriver au bivouac. On souhaitait en
sourdine
la fin de cet épisode.
Quand on avait repris la promenade, un bon café express chaud dans les trippes, il ne nous restait que trois kilomètres sur une piste de forêt pour arriver à notre campement de nuit. Nous entrons dans le bois des Béni Yadjis : une très belle forêt, dense et humide. Des vestiges jonchent le parcours. Sans nous rendre compte la distance est vite consommée, nous arrivons sur un terrain dégagé, près de l’ancienne maison cantonnière, à proximité d’une fontaine qui arrose et irrigue un lopin de terre bien cultivé. Nous sommes vite entourés par des enfants qui nous indiquent un lieu où on pourrait planter nos tentes, à l’écart des habitations peu nombreuses. Mohamed, généreux comme à son accoutumé, leur offre chacun un tee shirt portant le logo de l’édition 1990 du marathon de la corniche. Les gosses joyeux courraient tous en direction de leur maison pour montrer à qui veut voir les cadeaux qu’ils avaient reçus. Nous étions tous subjugués par le geste admirable de Mohamed qui est resté humble et silencieux. Grand fan qu’il était de l’athlétisme, il me disait que c’est de ces montagnes et hauteurs que sortirons les futurs athlètes algériens, croyant fermement que ces contrées déshérités et meurtries par la guerre de libération nationale bénéficieraient de largesses spécifiques de la part des gouvernants. Il ajouta, qu’au moins ces gosses auront à profiter d’une certaine manière de la manifestation du marathon qu’ils n’ont pas pu suivre.
Paradoxalement, aujourd’hui les tentes sont vite
montées. Tous nos compagnons s’y
engouffrent et
s’allongent, sauf Sofiane et moi. Ils étaient
à les voir vraiment éreintés. On
décida d’un commun accord, les laisser se reposer.
On va préparer notre diner bien que ce ne fut pas notre
tour. Au menu du « Tlitli », les langues
d’oiseaux avec des œufs cuits à la
coque. La sauce était faite de l’ensemble du peu
de reste de légumes.
Avant la tombée de la nuit, quand on les invita pour manger,
ils n’apprécièrent point le met. Ils
croyaient que par miracle ils auraient de la bouffe de resto. Enfin de
compte, la nourriture les a plu et ils en demandaient
jusqu’à lécher les assiettes. La faim
ayant eu raison de leur esthétisme.
Malgré le feu allumé et le
café englouti, personne ne put se retenit d'aller dormir.
Les braises resteront rouges jusqu'au jour.
Ce matin, les visages sont ternes. On se
regardait et on parlait peu. Nos provisions sont presque au niveau
zéro, le village le plus proche Texenna est à une
dizaine de kilomètres. Par ailleurs j’ai
proposé que l’on envoie deux personnes pour faire
des achats si l’on espérai continuer notre voyage
en escortant les méandres de l’oued Djendjen, de
Zitouna à Thar Oussaf, sur son plus beau parcours. Mes
compagnons n’étaient pas tous d’accord.
On procéda au vote, juste après avoir
consommé le petit-déjeuner en compagnie des
enfants du lieu, devenu nos amis. La vielle femme, probablement leur
grande mère, nous avait gratifié par de la
galette toute chaude puis retourna à sa besogne.
Le vote définitif est balancé en faveur de ceux qui désirait s’arrêter. On décida donc d’en finir. On va attendre le bus et partir à Texenna puis Jijel, notre point de départ.
Sitôt nos bagages endossés, nous saluons de loin la dame, les enfants et partons vers une guérite française datant de la guerre de libération nationale, perchée sur une éminence et surveillant le pont américain en métal enjambant l’oued Missa. De cette position l'on pourra apercevoir le bus à son approche.
Au fait, je me demande toujours pourquoi on désigne cette partie de l’oued Djendjen par oued Missa bien qe celui-ci traîne souverainement son nom depuis Erraguène jusqu’à la mer. Alors, pourquoi ce tronçon bien précis? Bien qu'il ne le soit pas. Il existe bien une mechta dénommée El Missa, tout près de là, seulement l’oued qui la longe pour se jetter à Djendjen s’appelle oued El Bir (le ruisseau du puits). On est loin du compte.
Les enfants nous interpellent, il faut descendre vers la route ; le bus pointe sa silhouette au loin, c’est un Tata. On se dépêche pour ne pas le rater car les moyens de transport sont presque inexistants et heureusement que c’est la matinée.
Un grand désappointement nous enserra la poitrine, à la limite du chagrin. Ce fut pénible pour moi de stopper la belle aventure. Mon regard se jette une dernière fois sur la confluence de oued R’ha sur celui de Djendjen , notre accompagnateur sur plusieurs jours. Ah ! si on avait continué.
Le bus est là, on monte vite. On pars, on reviens
chez nous. Bye bye Zouitna
Au cinquième kilomètre, près de Jijel, le bus s’arrête. Le receveur nous prie de descendre. Renseignement pris, la route est coupée par des manifestants. C’est bien entamé. On change de car
À notre descente, une chaleur étouffante
nous enveloppe. Bonjour le hammam. Jamais, au grand jamais, je
n’ai ressenti la présence de la pollution
qu’en cet instant. Vraiment on éprouvait la
lourdeur de l’atmosphère. Nos poumons
étaient comme noyés.
Adieu l’air frais,
Adieu mes montagnes.
Karim Hadji