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Jijel, les évasions |
Le bus qui part pour Ferdjioua en passant par Tamentout est
déjà parti, nous assure notre futur convoyeur,
que nous avons interrogé dès notre
arrivée à la gare routière de Jijel,
la nouvelle, celle de l’est. Il est 07h40 et
j’estime, qu’on est très en retard pour
notre ballade qui doit débuter du
célèbre col de Tamentout, quatre ou cinq
kilomètres plus haut que El Mhad, chef lieu de commune,
appelée également Djimla. Pour cela, aucune autre
solution ne s’ouvre à nous. Car on est deux,
j’ai omis de vous le préciser. Tout en dilapidant
plus de temps, on va donc faire escale à El Mhad, puis
reprendre un autre bus pour le col, selon le conseil d’un
passager qui attend lui aussi, le départ.
D’après la carte, une ancienne carte, ne vous en
faites pas, une piste de trois kilomètres devrait nous mener
jusqu’à l’orée de la
forêt de Djimla, dépositaire de la
célébrissime sitelle kabyle. C’est
l’un des objectifs cardinal de notre ballade, surtout si
l’on arrive à l’observer. À
la rencontrer.
Un petit point me tatillonne la tête, je
m’interroge si on peut oser continuer
jusqu’à Souk El Had, et jeter un coup
d’œil sur une sépulture, une tombe
vraisemblablement datant de l’époque
française, et indiquée sur la carte par une
croix. Elle est située près d’un ancien
vignoble, un kilomètre pas plus à partir du col,
en direction du sud, sur la route qui continue vers le Ferdjioua. Si on
ajoute cet itinéraire, il faudrait alors, pour revenir vers
la forêt de Bouafroune, remonter seulement un peu la pente
pour rejoindre la piste forestière qui y mène, en
empruntant un sentier pédestre deux kilomètres
environ, en passant par Aïn Assoul. Mais, on n’en
est pas là.
Notre car, qui s’est ébranlé
il y a déjà quelques minutes,
s’arrête à Kaous, près de
l’embranchement qui mène à
Béni (y)Ahmed. C’est un barrage de gendarmerie. Le
gendarme de faction salue puis demande au chauffeur de lui montrer les
papiers. Celui-ci les lui tend. À
l’intérieur du véhicule, les passagers
poireautent, attendant gentiment la fin du contrôle pour
pouvoir continuer le voyage et ne se doutant point des
événements futurs. Personne n’en a une
idée. Bon gré, tout le monde attend…en
observant la scène. On y est habitué.
Insatisfait, l’agent passe à
l’étape suivante, le contrôle technique
du véhicule. On patientera encore. Les feux avant, la
signalisation arrière. La plaque d’immatriculation
salie de devant. Celle du derrière. Tout est OK. Rien
à dire, peut-être que c’est la
délivrance. J’apprécie le sang froid du
conducteur. À sa place, beaucoup de personnes auraient
réagis différemment à cette fouille
inhabituelle et incommode. Nenni, le tatillon s’attaque aux
essuies-glaces et au jet d’eau débordant. Ca
marche. Que faire, le représentant de
l’état_ quel état ?_ entre
fièrement avec un air de conquérant dans le bus,
« les essuies-yeux » démarrent. Il
regarde un passager et lui demande le ticket, n’importe
lequel, celui sur le plancher ou celui de la veille. Le monsieur le lui
tend. Bien, il s’adresse ensuite au vendeur de tickets, le
convoyeur si vous voulez, pour lui exiger le badge. Celui-ci le lui
remet. Notre attente a dépassé le quart
d’heure. Quelques passagers s’impatientent, comme
nous, qui devrions arriver un peu tôt, pour ne pas
être pris par la nuit. Un bonhomme monte dans le bus croyant
avoir affaire à un arrêt ordinaire, il a vite fait
de déchanter et au bout de quelques minutes, il en sort
rapidement pour aller rejoindre un autre bus fraîchement
arrivé et dégagé des obligations que
le notre subit. Plusieurs bus nous dépassent, sans que le
gendarme ne s’attendrisse sur notre sort. On
l’entend palabrer avec le chauffeur et son convoyeur. Les
minutes passent. Le zélé lui trouve finalement
une faille, bien que l’Algérie en soit pleine. Il
lui fait savoir que sur son badge sont inscrites toutes les
étapes de son itinéraire, alors que la plaque de
devant, collée au pare brise, ne n’en fait pas
mention, se contentant simplement de l’inscription des lieux
de départ et d’arrivée. Comme dans la
majorité des bus. Assouvi, le gendarme invite le convoyeur
à le suivre au poste à côté,
pour le verbaliser, sans aucun doute. Il doit «avoir une dent
contre lui » pensent certains. D’autres jugent que
c’est une « hogra » qui a
déjà engendré et formé des
milliers de « Harraga ». Le chauffeur le rejoint
par solidarité, par atavisme, car il ne pourra rien
monnayer. Derrière une grande vitre, le gendarme est assis,
« les inculpés » debout.
Après quelques minutes, le premier sort avec un papier dans
la main. Le second rejoint le volant, son métier.
Il était temps. On redémarre. Ouf ! Plus de
trente minutes de retard alors qu’on était
censé arriver à Djimla au bout de ce temps. Le
chauffeur irrité conduisit alors à vive allure
pour rattraper le retard administré. Il ne
s’arrête même plus aux arrêts.
Il a sans doute jugé, et c'est tout à fait
honorable de sa part, que ses passagers, dociles et patients que nous
sommes, ont été injustement
lésés. Il a eu un regard[ Ntar Lina....] envers
nous. Dieu, le lui rendra un jour. Pas en cette époque, il
est trop tard.
Le trajet dès lors, est rapidement
consommé. On
arrive à Djimla. On descend du bus vert. Il fait plus frais
qu'à Jijel. Le temps de remettre les pieds à
terre et on remonte en direction de la polyclinique. Renseignements
pris, c'est le lieu de départ des minibus vers Tamentout et
il se trouve juste près du centre de santé
nouvellement construit et mal fait.
Pour l’instant, aucun bus. Mon ami m’invite
dès lors à prendre une boisson au café
tout près. On commande deux «Vichy»
citron. Le garçon nous ramène du
«Toudja» extrêmement salé, qui
n'a pas la délicate saveur de «Ben
Haroun», absent de tous les étals de la wilaya. Un
«big» dommage pour les puristes. Du
café, au bout de quelques minutes, on aperçoit le
passage du minibus. Les dernières gorgées
sucrées bues, on s’affaire vite pour le prendre,
car il y a un petit peu de monde et c’est le seul qui fait la
navette aller-retour entre Tamentout et El Mhad. On trouve deux places
au fond bien calé à
l’arrière du minibus qui en comptent sept. On
démarre, bizarrement, la route est mieux entretenue et le
paysage plus beau. On commence à apercevoir le pic de
Tamesguida, la forêt des Béni Medjalled et le beau
mont de Sidi Mansour qui dominent les Béni Yadjis.
Arrivé au col de Tamentout, lieu de départ de
notre promenade, nous nous laissons emmener jusqu’au prochain
arrêt, afin d’éviter le poste de la
garde communale. Les hommes en faction dans ses coins perdus, sont si
tatillons et posent beaucoup de questions qui entameraient nos
précieuses minutes. L’autobus
s’arrête enfin, après seulement un
kilomètre, près d’un embranchement. On
est au terminus du lieu-dit Souk El Had.
Une route en hauteur mène vers les Mechtas de
Timilane et de Bou Tertal du douar Zarza. L’autre aboutit
à Ferdjioua dans le Tassadane. Deux habitants de la
localité, qui nous accompagnés durant ce trajet,
nous montrent la direction à prendre pour rejoindre la
forêt de Bouafroune. Auparavant, je les questionne
à propos de la tombe chrétienne. Ils
répondent qu’ils ne la connaissance point, bien
que je leur ai montré approximativement l’endroit
où elle pourrait se situer selon la mention de la carte. Ils
m’indiquent seulement une ferme ruinée juste
à côté de la route et qui aurait servi
de prison durant la guerre coloniale. Deux galants et vigoureux
ânes gardent le vestige. Nos braves
équidés sont de moins en moins visibles dans nos
paysages. Pourquoi ? C’est tout de même
désolant pour l’espèce et la
biodiversité.
Finalement,
je
décide d’aller voir de
près le coin distant de 150 mètres environ. Je ne
retrouve pas la tombe. L’ancien vignoble n’existe
plus. Tout près, un bosquet de frênes indique
l’endroit d’un tout autre repos. Près du
col, la carte désigne aussi le « Derdar El Teurk
», traduisons par « les frênes turques
». Qu’est ce que cela veut dire ? Est-ce un
reboisement datant de la période turque, ou bien une
variété de frêne ramenée de
Turquie ? S’agirait-il encore d’un ancien
caravansérail, lieu d’ombrage et de repos pour les
caravanes et les voyageurs si nombreux durant cette époque ?
Quittons l’histoire et escaladons le monticule. Allons
admirer les corneilles noires. Elles sont une nuée
à se rassembler sur un terrain nu, quelques unes planent,
d’autres admirent le pays du haut d’un poteau
électrique. À notre approche, le groupe
s’envole. Un seul élément reste par
terre, j’arrive à le prendre en photo. Notre
escalade doit continuer, la piste forestière est encore
loin. Heureusement qu’il ne fait pas chaud,
d’ailleurs on ne transpire pas. Nos articulations sont
à l’aise. À cause de
l’altitude sans doute. Maintenant on est près
d’une source, enfin une petite mare, laquelle tournoient
autour de jolies libellules bleues. L’eau stagnante est le
domaine des odonates et des amphibiens. Notre domaine est ailleurs.
Plus terrestre, plus charnel. Nous arrivons
jusqu’à un terrain cerné par des
pierres sèches. Quelque chose saute près de mon
pied, c’est une mante religieuse. Elle est jaune comme la
paille des alentours et elle s’y confond. Le
mimétisme est parfait. Je la numérise, elle
intéressera peut être quelqu’un ?
Au
loin, on commence à apercevoir la piste qui
mène à la forêt, elle épouse
les contours de la montagne. La couverture
végétale s’étale sur les
flancs nord et sud du djebel Bou Afroune (1332m) et du djebel Mkerkecha
(1274 m), lieu de sépulture de Sidi Chahar, un saint local,
maintenant oublié. Sur les deux kilomètres qui
nous reste pour y parvenir, on marchera en plein soleil, mais pour
l’instant, on ne sent pas la chaleur. Vers le nord, la partie
sud du djebel Sidi Bouazza nous accompagne. Cette face est
complètement dégarnie. En contre bas la
forêt de Tsagma se rétrécit
d’année en année, à
l’égal de nos pensées. En
quelques
temps, elle pourra disparaître. Réchauffement,
dégradation, érosion, tout y est. En comparaison,
la forêt de Djimla est beaucoup plus entretenue et plus
dense, bien que qu’au mois d’août elle
fut atteinte d’un incendie sans grande ampleur. Les
cicatrices sont visibles, là où les couleurs
brunes et noires contrastent avec la verdure de la
végétation. La mort des arbres a
démasqué les rochers qui étaient
cachés, instruisant, l’une des
caractéristiques géologique du djebel Bou
Afroune, siège de la forêt de Djimla, la
disposition en escalier des petites falaises de calcaire. Une
protection naturelle des sols à la manière des
banquettes fabriquées par les forestiers, en plus grand.
Du
haut de Kalaât Ouar el Hamra, un rapace
s’envole. Apparemment les animaux sont très
farouches et difficilement approchables. J’essaye de le
photographier, il ne me donne pas le temps, il s’en va.
À sa couleur brune foncée, il me semble que
c’est un épervier. Je n’en suis pas
sûr. La journée ensoleillée
s’annonce agréable. On va voir.
On
entre enfin dans la
forêt, dans le vif du sujet, la piste
devient de plus en plus ombrageuse, sans pour autant que nous ne
souffrions de la chaleur quand nous marchions en plein soleil. Une
ombre passe au dessus de nous. C’est un beau rapace. Je
n’ai pas eu le temps de le reconnaître, ce furtif
qu’il est. Ce silencieux planeur qui nous épiait.
Il a vite fui à notre approche. Nous, on ne se doutait de
rien. Il alla se poser sur un arbre en contrebas, à une
centaine de mètres. Nous ne pouvions plus le voir. Dommage,
pour le brusque « au revoir ».
Par contre, l’endroit est fabuleux, on s’arrime
à chaque fois pour admirer le paysage. C’est
très beau et très calme. La piste est sinueuse,
à chaque détour, une
révélation. Les chênes zeen, ou
chênes des Canaries, sont somptueux et grandioses. Si ce
n’est leurs ébranchages
exagérés qui les rendent longilignes, comme
suspendus à un fil invisible, leurs ports sont si touffus
qu’ils cachent le ciel azur de la journée. Leurs
feuilles lobées et entremêlées
apparaissent froissées, la lumière emploie
justement des bizarreries pour les éclairer. Elle nous
renvoie alors les multiples verts de leur chlorophylle dormante.
Nous
dépassons à l’instant une
petite clairière et posons nos sacs à dos sur des
troncs d’arbres morts, quand mon compagnon me fait signe de
la présence d’un petit oiseau sur une branche. Je
prends ma paire de jumelles, nul doute, c’est une sitelle. Et
quelle vivacité, elle ne s’arrête jamais
à parcourir les branchages. Une bonne « diablette
», comme disait un autre ami. J’en
aperçois d’autres, elles sont si petites, si
minuscules, qu’elles se confondent avec le feuillage de la
zenaie. Je braque mon appareil photo, prêté
auprès d’un voisin. Peine perdue, elles
décollent et changent momentanément de
pénates et se faufilent dans les branchages
chargés et compacts. Même avec un 400 mm
numérique, je n’arrive pas à capter ces
volatiles. Je dois m’en approcher le plus près
possible. Tiens, une autre atterrit sur une branche
ensoleillée. C’est l’occasion de faire
une belle image. Quelques pas, et elle redécolle. Quel
regret, quelle tristesse, c’était
faisable…
Pour ne rien rater de la beauté du site, je prends mon autre
appareil, un 100 mm pour faire quelques images de la belle
forêt et fermement vomir une revanche sur la sitelle,
insaisissable et secrète, clandestine espèce,
cachée et voilée à la photographie
Après
une petite pause imposée par nos
chères sittidés, on décide mon ami et
moi, de quitter le chemin forestier, pour entamer un sentier
pédestre, très facile, qui mène vers
un endroit dégagé, indiqué sur la
carte par un blanc. On y aboutit rapidement. Ce lieu est
très intriguant. Pourquoi, ce dégarni au milieu
de forêt ? On y arrive.
Beaucoup d’arbres sont coupés. Des gens profitent
de la pelade naturelle pour en raser d’avantage. Personne ne
vous donnera de réponses quand aux
dégâts occasionnés à la
superbe forêt. Ni les responsables, ni le troupeau de vaches
qui y paît paisiblement. La paix est revenue dans cette
forêt, l’impunité aussi. Les herbes,
qu’on accuse injustement d’être
«folles», poussent
généreusement, ce qui n’est pas
déplaisant pour nos ruminants et demeurent une aubaine pour
les autres oiseaux qui voltigent au dessus.
En
direction du
zénith, une belle falaise de calcaire est
peinte d’un vert naturel par des mousses cernées
de lichens écarlates et roux. On ne peut pas ne pas admirer.
Les strates de la formation calcaire, bien visibles, ajoutent de
l’harmonie à l’ensemble silencieux.
Découpées par pans entiers, elles
déclinent un escalier naturel, grandeur ample. Probablement
aimanté, l’endroit m’attire. Pour quelle
raison. Évidement, sa beauté y est vraisemblable.
À moins que ce soit mes penchants pour
l’archéologie, qui ont vite fait, que je me dirige
vers cette barrière spirituelle. Espérais-je
tomber à nez sur une éventuelle
présence humaine ancienne,
insoupçonnée jusqu’à
maintenant. Je n’ai relevé aucun
soupçon, mais on y retournera un jour pour y
séjourner plus longtemps, car l’endroit est
excessivement magnifique. D’après la carte, il
existait un ancien moulin à eau. Un bivouac ne sera que plus
extasiant à ces côtés, bien
qu’il n’en reste que des stigmates maintenant.
L’équation est simple: antique donc ruine, trace ;
historique donc vestige, débris, stigmates …
Pour l’instant, on n’a pas le temps de tout
visiter, il reste du chemin à faire. Au passage, on est
gratifié par la vue d’oiseaux vivants dans cette
clairière, tout aussi craintifs que la sitelle. Des
gobe-mouches, des rouges-queues, etc.…, et
d’autres dont je ne peux vous dire le nom. J’en ai
pris des photos, je peux vous les montrer, si vous le
désirez. Les papillons sont insaisissables et assez
abondants, leur couleur est généralement brune.
Mais vas y les prendre en photo.
Nous dégringolons la piste que nous avions
quitté il y a une heure. En chemin, nous rencontrons des
sitelles. Elles sont assez nombreuses. Mais, j’ai peur pour
leur avenir. Les coupes d’arbres, les ébranchages
excessifs ainsi que les feux, de plus en plus fréquent,
peuvent faire disparaître cette espèce
endémique de l’Algérie et
emblématique de la région. Sinon, prions et
regardons ailleurs.
Près d’un fossé, un lézard
brun s’enfuit à toute allure, dès notre
approche. Le « Bourioune » est très
commun, leur population est maintenue, nous en avons
rencontré fréquemment le long de notre
itinéraire. Quelques mètres plus loin, on observe
un nid ou un antre d’araignée. Un tissu cotonneux
avec un cercle de deux à trois centimètres au
milieu, coin d’aguets de la prédatrice. Je vous
montre la photo. Entre temps, une légère sitelle
pianote sur une branche à deux pas de nous. Je braque mon
appareil photo, elle est tout prête, telle une mannequine. Et
hop ! Elle décolle. Quelle privation ! La chance nous a
répudiés aujourd’hui. Bon, poursuivons
notre route, c’est cela le destin. C’est
écrit. Mal écrit. On verra plus loin ce que
l’on peut faire. Peut être, qu’on aura
plus de veine.
La piste est, dorénavant, à limite des bois. Le
lieu dégagé porte encore les cicatrices fumantes
d’un incendie récent. En bas
s’étale le long de l’oued
R’ha, les chapelets de cantons de la commune de Djimla.
L’image de la vallée apaisée est
déchirée par le cri strident et bref
d’une huppe fasciée, très
reconnaissable. Elle alla se percher sur un autre chêne. Nous
détalons en sa direction. Elle s’envole
définitivement. Bien fait pour nous. Seuls nos regards
arrivent à la suivre.
Au
loin, se dessine une mare
posée sur un pré
verdoyant. On converge vers le ruisseau qui en sort
discrètement. C’est une petite source. Son nom
m’est étranger. Dans la grosse flaque, flottent de
délicates lentilles d’eau et quelques tiges de
menthe aquatique en fleurs. Quelques insectes et des libellules bien
évidement, surfent à la surface. Ce biotope
exceptionnel reste un excellent sujet pour l’étude
de sa flore et sa faune. Avis aux intéressés. Des
salamandres, il en existe vraiment. Un autochtone m’en a
soufflé le flash. La photo, ce sera pour une autre fois.
Quand on restera deux ou trois jours en forêt.
Je tends ma main vers le tuyau d’où ressort
l’eau de la source pour me réfrigérer.
Je ne vais pas en boire. Les dépôts
brunâtres et la teinte rouge des filets d’eau
trahissent sa saturation en oxyde de fer. Aucun écriteau
n’est placé pour indiquer une
potabilité éventuelle. Dans le doute, on
s’abstient. Et puis, nos réserves sont presque
pleines.
Nous retournons à notre marche en coupant
à travers les bosquets, pour rejoindre la piste un
peu plus
bas.
Nous arrivons près d’un endroit jonché
de gros blocs de rochers, totalement pris par l’ombre et
l’humidité. La mousse les recouvre et de larges
pulmonaires étalent leurs thalles gris sur certains. Un
apaisant coin, où nous allons déjeuner. Une vache
à côté, une pie noire
chétive a déjà
débuté sa digestion. Elle ne fait pas attention
à nous. Oui, l’endroit est magique. En
l’absence de magiciens. Qui d’un tour de main,
rendent un Éden en jardin stérile. Une
forêt en maquis.
Dans cette chênaie, comme dans d’autres
à travers la wilaya, j’ai remarqué que
l’ébranchage est toléré.
Pourquoi ? Pourtant, la forêt est un domaine
protégé. Le port des arbres redevient
disgracieux, affecté d’une uniformité
tubulaire et laide, qui nuisent à l’harmonie et
l’élégance des formes naturelles.
Enfin, arrêtons et mangeons.
Du pain et du thon en boîte. Ben, oui. Le repas du voyageur
autochtone. On n’avait beaucoup faim. On voulait
instinctivement se reposer un peu et apprécier le paysage,
le tableau. Les nourritures culturelles sont plus copieuses,
pensais-je. Le coin est totalement pris par la canopée, les
blocs de rocher agréablement disposé dans
l’ombre offrent autant de chaises pour s’asseoir et
de lits pour se vautrer. Cette image pour comparer, me fait penser
à la plage d’Andreu avec ses gros rochers
qu’on pourrait déplacer à
l’intérieur d’une forêt. Et
puis Bizarrement, tout a bon goût ici, l’eau est
succulente, le pain également évoque quelques
saveurs oubliées. On est emporté par la
quiétude de notre cuisine temporaire, son charme, et par la
montagne. Oui, il ne faut pas l’oublier, on est à
1100 m d’altitude.
Quelques instants plus tard, la digestion a fini par gommer
l’intelligence et la volonté de
l’effort. Je me lève brusquement, presque par
orgueil, en pensant aux conséquences d’un
assoupissement, et résister aux vagues de sommeil qui
s’annoncent. Je prends mon appareil pour faire un petit tour
dans les parages.
Je croise une belle
plante trifoliée,
c'est-à-dire possédant trois feuilles.
C’est le « Tagarfa », semble t-il, que
l’on l’effeuille pour savoir si on est pris par la
passion. Disons-le tout de suite, par l’amour. Cela
coïncide absolument, sur chaque feuille est dessiné
un large V, que l’on pourrait confondre avec un
cœur élargi, « Kab Ouassaâ
». Les trois V accolés sur le feuillage dessinent
encore un autre gros cœur, éclaté cette
fois-ci. Cela sonne le bon augure. Je n’ose pas alors
dépouiller le plant. Pas par peur des platoniques sentiments
ou du vert sortilège. Je suis nature, peut être
écolo et j’aime laisser les choses à
leur place. Quand même, c’est un être
vivant comme nous. Handicaper la plante me paraît inhumain
!...
Rien d’autres à voir, sauf le plein de mousses et
de lichens, signes de la pureté de l’air. Et de
son silence ! Je retourne auprès de mon ami Mohamed. On a
envie de faire une bonne sieste. Elle nous est interdite, ce
n’est pas le moment de la prélasse. Des
kilomètres nous séparent encore de
l’autre col que les cols blancs méconnaissent. Un
après-midi, c’est un peu plus délicat,
il faut l’avouer, même pour des cols bleus.
Heureusement qu’on est à l’ombre, des
chênes et des bénédictions invisibles.
On se met debout et poursuivons notre ballade. Si
j’étais un préhistorique,
j’aurai adopté cet endroit. Je le sens. Je le
soupçonne. Il faut y aller pour me contredire. Mais vous
pouvez rester.
Maintenant, le sous-bois rasée par de la
lumière blanche
et caressé par une
légère brise, est essentiellement
céréalier. Or et ivoire, il contraste avec
l’ombre très sombre de la canopée de la
chênaie écrasée par le soleil de
midi. Des scilles maritimes
en
fleur occupent occasionnellement le sol. Tapis
à l’ombre, les tiges sont longilignes et les
fleurs blanches au pistil jaune semblent suspendues. Elles sont
entourées d’abeilles et d’insectes venus
butiner. Allez, je prends une photo, c’est utile pour la
botanique.
On entame maintenant un virage en épingle de cheveux.
À
l’ombre de la zenaie, des rais de soleil caressent tendrement
un champ de graminées dont les tiges
s’échinent sous l’effet d’une
légère brise qui refroidit l’air.
Subitement, un cri d’un geai
déchaîné, déchire le silence
auquel on a été habitué.
L’alarme a retentit. Cela nous a fait sursauter. La
forêt c’est ça. Non ? Après
ce coup de tonnerre, elle redevient assourdissante, muette. Pour la
photo. Ce n’est pas la peine, l’oiseau est
déjà loin.
D'accord pour celui-là, mais
au diable, où elle est
cette sitidée, cette kabyle, si telle est son nom. La
furtive, apparaît puis disparaît rapidement. Elle
se cache et s’enfuit dès qu’elle aura
remarqué notre présence, fut-elle la plus
discrète possible. Même avec la paire de jumelle,
elle se confond avec le feuillage vert- marin des chênes
Zeen. On est convaincu, elle n’est pas zen avec nous, alors
qu’on était venu spécialement pour
elle. La frêle. La sitelle, si telle est son autre nom, est
sans doute belle. Mais farouchement rebelle. Comme les personnages de
ces contrées anciennement royales.
En cet après-midi, mon égarée, ma
sitelle, notre kabyle, ne m’apparaît plus. Quand
mon voisin me montre une, même avec la paire de jumelles,
elle s’obstine à demeurer invisible. Peut
être l’avais-je déranger ! Peut
être « si-(es)t-elle »; sieste-elle !
Qu’elle repose en paix, je vais m’en aller.
Résultat de la course, tout ce que j’ai
pu glaner, une photo d’un pic noir, noirci
par la
pénombre, et qui s’entête à
cogner sur un tronc d’arbre aux branches
sénescentes. Je vous livre l’image, oui, elle
n’est pas fameuse, en tous cas, elle est de chez nous. Le
picidé est plus volumineux que la sitelle, pour vous montrer
la difficulté de la photo animalière.
Moi, je me résous à la défaite,
à l’humiliation, mon appareil photo, travaille en
double aveugle. Aucunement une belle pose. Niet. Sur toutes les images
prises en direction de notre passereau, je veux dire la sitelle, aucune
n’a pu déceler ne serait-ce que son ombre.
Maintenant, je suis convaincu qu’il est indispensable
d’utiliser une longue focale, un 1000 mm au minimum. Sans
parler de l’attente et du camouflage, etc. Et ça,
je le savais.
Y a pas photo. Y a de l’eau. Aïn Chebou est
toute proche. Au virage prochain. Mais on ne boira pas de son eau car
on a décidé de bifurquer en direction de Thar
Ettallaâ. « Le haut versant ». Un cousin
des « Chemins qui montent ». On est en Kabylie, oui
ou non ? La petite me diriez-vous. D'accord.
Tout en bas, apparaît une route qui passe par
Fedoules et
part en direction d’El Mhad. Élargie à
partir d’un sentier muletier qui servait à
l’entretien de la forêt, elle est a peu
près parallèle à l’ancienne
route, plus bas encore. Mon ami et moi, cherchons alors un endroit pour
entamer la descente et rejoindre le bitume. Notre ballade va prendre
fin. Il ne faut pas que l’on rate les derniers bus pour
Jijel. Fedoulès n’est qu’à
quelques centaines de mètres. La descente est
aisée en suivant le thalweg. Il n’existe point
d’obstacles. On prend les dernières photos. Tiens,
encore une autre toile d’araignée comme la
précédente. Le terrain se dégage de
plus en plus, on aboutit à une clairière
parsemée de pierres qui délimitaient
d’anciens enclos. On laisse à notre
côté, Aïn Beljaouz, Aïn El
Banaat et Aïn Diss el Ma (source des joncs d’eau).
Bienvenue à Thar Ettallaâ.