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Ballade à Bouafroune, entre les cols de Tamentout et de Fedoules

Photos de la forêt de Djimla

Forêt
Forêt Bouafroune
Forêt Bouafroune
Forêt de zeen
Paysage à Bouafroune
Paysage à Bouafroune
Photos © Karim Hadji
 

Randonnées

« Pourtant que la montagne est belle... » Jean Ferrat


Du col de Tamentout au col de Fédoules
Ballade à travers la forêt de Bouafroune


La chênaie La forêt de Djimla

Mardi  18 août 2009

Le bus qui part pour Ferdjioua en passant par Tamentout est déjà parti, nous assure notre futur convoyeur, que nous avons interrogé dès notre arrivée à la gare routière de Jijel, la nouvelle, celle de l’est. Il est 07h40 et j’estime, qu’on est très en retard pour notre ballade qui doit débuter du célèbre col de Tamentout, quatre ou cinq kilomètres plus haut que El Mhad, chef lieu de commune, appelée également Djimla. Pour cela, aucune autre solution ne s’ouvre à nous. Car on est deux, j’ai omis de vous le préciser. Tout en dilapidant plus de temps, on va donc faire escale à El Mhad, puis reprendre un autre bus pour le col, selon le conseil d’un passager qui attend lui aussi, le départ. 

D’après la carte, une ancienne carte, ne vous en faites pas, une piste de trois kilomètres devrait nous mener jusqu’à l’orée de la forêt de Djimla, dépositaire de la célébrissime sitelle kabyle. C’est l’un des objectifs cardinal de notre ballade, surtout si l’on arrive à l’observer. À la rencontrer.

Un petit point me tatillonne la tête, je m’interroge si on peut oser continuer jusqu’à Souk El Had, et jeter un coup d’œil sur une sépulture, une tombe vraisemblablement datant de l’époque française, et indiquée sur la carte par une croix. Elle est située près d’un ancien vignoble, un kilomètre pas plus à partir du col, en direction du sud, sur la route qui continue vers le Ferdjioua. Si on ajoute cet itinéraire, il faudrait alors, pour revenir vers la forêt de Bouafroune, remonter seulement un peu la pente pour rejoindre la piste forestière qui y mène, en empruntant un sentier pédestre deux kilomètres environ, en passant par Aïn Assoul. Mais, on n’en est pas là.

Notre car, qui s’est ébranlé il y a déjà quelques minutes, s’arrête à Kaous, près de l’embranchement qui mène à Béni (y)Ahmed. C’est un barrage de gendarmerie. Le gendarme de faction salue puis demande au chauffeur de lui montrer les papiers. Celui-ci les lui tend. À l’intérieur du véhicule, les passagers poireautent, attendant gentiment la fin du contrôle pour pouvoir continuer le voyage et ne se doutant point des événements futurs. Personne n’en a une idée. Bon gré, tout le monde attend…en observant la scène. On y est habitué. Insatisfait, l’agent passe à l’étape suivante, le contrôle technique du véhicule. On patientera encore. Les feux avant, la signalisation arrière. La plaque d’immatriculation salie de devant. Celle du derrière. Tout est OK. Rien à dire, peut-être que c’est la délivrance. J’apprécie le sang froid du conducteur. À sa place, beaucoup de personnes auraient réagis différemment à cette fouille inhabituelle et incommode. Nenni, le tatillon s’attaque aux essuies-glaces et au jet d’eau débordant. Ca marche. Que faire, le représentant de l’état_ quel état ?_ entre fièrement avec un air de conquérant dans le bus, « les essuies-yeux » démarrent. Il regarde un passager et lui demande le ticket, n’importe lequel, celui sur le plancher ou celui de la veille. Le monsieur le lui tend. Bien, il s’adresse ensuite au vendeur de tickets, le convoyeur si vous voulez, pour lui exiger le badge. Celui-ci le lui remet. Notre attente a dépassé le quart d’heure. Quelques passagers s’impatientent, comme nous, qui devrions arriver un peu tôt, pour ne pas être pris par la nuit. Un bonhomme monte dans le bus croyant avoir affaire à un arrêt ordinaire, il a vite fait de déchanter et au bout de quelques minutes, il en sort rapidement pour aller rejoindre un autre bus fraîchement arrivé et dégagé des obligations que le notre subit. Plusieurs bus nous dépassent, sans que le gendarme ne s’attendrisse sur notre sort. On l’entend palabrer avec le chauffeur et son convoyeur. Les minutes passent. Le zélé lui trouve finalement une faille, bien que l’Algérie en soit pleine. Il lui fait savoir que sur son badge sont inscrites toutes les étapes de son itinéraire, alors que la plaque de devant, collée au pare brise, ne n’en fait pas mention, se contentant simplement de l’inscription des lieux de départ et d’arrivée. Comme dans la majorité des bus. Assouvi, le gendarme invite le convoyeur à le suivre au poste à côté, pour le verbaliser, sans aucun doute. Il doit «avoir une dent contre lui » pensent certains. D’autres jugent que c’est une « hogra » qui a déjà engendré et formé des milliers de « Harraga ». Le chauffeur le rejoint par solidarité, par atavisme, car il ne pourra rien monnayer. Derrière une grande vitre, le gendarme est assis, « les inculpés » debout. Après quelques minutes, le premier sort avec un papier dans la main. Le second rejoint le volant, son métier.

Il était temps. On redémarre. Ouf ! Plus de trente minutes de retard alors qu’on était censé arriver à Djimla au bout de ce temps. Le chauffeur irrité conduisit alors à vive allure pour rattraper le retard administré. Il ne s’arrête même plus aux arrêts. Il a sans doute jugé, et c'est tout à fait honorable de sa part, que ses passagers, dociles et patients que nous sommes, ont été injustement lésés. Il a eu un regard[ Ntar Lina....] envers nous. Dieu, le lui rendra un jour. Pas en cette époque, il est trop tard.

Le trajet dès lors, est rapidement consommé. On arrive à Djimla. On descend du bus vert. Il fait plus frais qu'à Jijel. Le temps de remettre les pieds à terre et on remonte en direction de la polyclinique. Renseignements pris, c'est le lieu de départ des minibus vers Tamentout et il se trouve juste près du centre de santé nouvellement construit et mal fait.

Pour l’instant, aucun bus. Mon ami m’invite dès lors à prendre une boisson au café tout près. On commande deux «Vichy» citron. Le garçon nous ramène du «Toudja» extrêmement salé, qui n'a pas la délicate saveur de «Ben Haroun», absent de tous les étals de la wilaya. Un «big» dommage pour les puristes. Du café, au bout de quelques minutes, on aperçoit le passage du minibus. Les dernières gorgées sucrées bues, on s’affaire vite pour le prendre, car il y a un petit peu de monde et c’est le seul qui fait la navette aller-retour entre Tamentout et El Mhad. On trouve deux places au fond bien calé à l’arrière du minibus qui en comptent sept. On démarre, bizarrement, la route est mieux entretenue et le paysage plus beau. On commence à apercevoir le pic de Tamesguida, la forêt des Béni Medjalled et le beau mont de Sidi Mansour qui dominent les Béni Yadjis. Arrivé au col de Tamentout, lieu de départ de notre promenade, nous nous laissons emmener jusqu’au prochain arrêt, afin d’éviter le poste de la garde communale. Les hommes en faction dans ses coins perdus, sont si tatillons et posent beaucoup de questions qui entameraient nos précieuses minutes. L’autobus s’arrête enfin, après seulement un kilomètre, près d’un embranchement. On est au terminus du lieu-dit Souk El Had.

Une route en hauteur mène vers les Mechtas de Timilane et de Bou Tertal du douar Zarza. L’autre aboutit à Ferdjioua dans le Tassadane. Deux habitants de la localité, qui nous accompagnés durant ce trajet, nous montrent la direction à prendre pour rejoindre la forêt de Bouafroune. Auparavant, je les questionne à propos de la tombe chrétienne. Ils répondent qu’ils ne la connaissance point, bien que je leur ai montré approximativement l’endroit où elle pourrait se situer selon la mention de la carte. Ils m’indiquent seulement une ferme ruinée juste à côté de la route et qui aurait servi de prison durant la guerre coloniale. Deux galants et vigoureux ânes gardent le vestige. Nos braves équidés sont de moins en moins visibles dans nos paysages. Pourquoi ? C’est tout de même désolant pour l’espèce et la biodiversité.

Finalement, je décide d’aller voir de près le coin distant de 150 mètres environ. Je ne retrouve pas la tombe. L’ancien vignoble n’existe plus. Tout près, un bosquet de frênes indique l’endroit d’un tout autre repos. Près du col, la carte désigne aussi le « Derdar El Teurk », traduisons par « les frênes turques ». Qu’est ce que cela veut dire ? Est-ce un reboisement datant de la période turque, ou bien une variété de frêne ramenée de Turquie ? S’agirait-il encore d’un ancien caravansérail, lieu d’ombrage et de repos pour les caravanes et les voyageurs si nombreux durant cette époque ?

Quittons l’histoire et escaladons le monticule. Corneille JijelAllons admirer les corneilles noires. Elles sont une nuée à se rassembler sur un terrain nu, quelques unes planent, d’autres admirent le pays du haut d’un poteau électrique. À notre approche, le groupe s’envole. Un seul élément reste par terre, j’arrive à le prendre en photo. Notre escalade doit continuer, la piste forestière est encore loin. Heureusement qu’il ne fait pas chaud, d’ailleurs on ne transpire pas. Nos articulations sont à l’aise. À cause de l’altitude sans doute. Maintenant on est près d’une source, enfin une petite mare, laquelle tournoient autour de jolies libellules bleues. L’eau stagnante est le domaine des odonates et des amphibiens. Notre domaine est ailleurs. Plus terrestre, plus charnel. Nous arrivons jusqu’à un terrain cerné par des pierres sèches. Quelque chose saute près de mon pied, c’est une mante religieuse. Elle est jaune comme la paille des alentours et elle s’y confond. Le mimétisme est parfait. Je la numérise, elle intéressera peut être quelqu’un ?

Paysage à BouafrouneAu loin, on commence à apercevoir la piste qui mène à la forêt, elle épouse les contours de la montagne. La couverture végétale s’étale sur les flancs nord et sud du djebel Bou Afroune (1332m) et du djebel Mkerkecha (1274 m), lieu de sépulture de Sidi Chahar, un saint local, maintenant oublié. Sur les deux kilomètres qui nous reste pour y parvenir, on marchera en plein soleil, mais pour l’instant, on ne sent pas la chaleur. Vers le nord, la partie sud du djebel Sidi Bouazza nous accompagne. Cette face est complètement dégarnie. En contre bas la forêt de Tsagma se rétrécit d’année en année, à l’égal de nos pensées. En quelques temps, elle pourra disparaître. VergerRéchauffement, dégradation, érosion, tout y est. En comparaison, la forêt de Djimla est beaucoup plus entretenue et plus dense, bien que qu’au mois d’août elle fut atteinte d’un incendie sans grande ampleur. Les cicatrices sont visibles, là où les couleurs brunes et noires contrastent avec la verdure de la végétation. La mort des arbres a démasqué les rochers qui étaient cachés, instruisant, l’une des caractéristiques géologique du djebel Bou Afroune, siège de la forêt de Djimla, la disposition en escalier des petites falaises de calcaire. Une protection naturelle des sols à la manière des banquettes fabriquées par les forestiers, en plus grand.

Du haut de Kalaât Ouar el Hamra, un rapace s’envole. Apparemment les animaux sont très farouches et difficilement approchables. J’essaye de le photographier, il ne me donne pas le temps, il s’en va. À sa couleur brune foncée, il me semble que c’est un épervier. Je n’en suis pas sûr. La journée ensoleillée s’annonce agréable. On va voir.

Paysage à BouafrouneOn entre enfin dans la forêt, dans le vif du sujet, la piste devient de plus en plus ombrageuse, sans pour autant que nous ne souffrions de la chaleur quand nous marchions en plein soleil. Une ombre passe au dessus de nous. C’est un beau rapace. Je n’ai pas eu le temps de le reconnaître, ce furtif qu’il est. Ce silencieux planeur qui nous épiait. Il a vite fui à notre approche. Nous, on ne se doutait de rien. Il alla se poser sur un arbre en contrebas, à une centaine de mètres. Nous ne pouvions plus le voir. Dommage, pour le brusque « au revoir ».

Par contre, l’endroit est fabuleux, on s’arrime à chaque fois pour admirer le paysage. C’est très beau et très calme. La piste est sinueuse, à chaque détour, une révélation. Les chênes zeen, ou chênes des Canaries, sont somptueux et grandioses. Si ce n’est leurs ébranchages exagérés qui les rendent longilignes, comme suspendus à un fil invisible, leurs ports sont si touffus qu’ils cachent le ciel azur de la journée. Leurs feuilles lobées et entremêlées apparaissent froissées, la lumière emploie justement des bizarreries pour les éclairer. Elle nous renvoie alors les multiples verts de leur chlorophylle dormante.

Nous dépassons à l’instant une petite clairière et posons nos sacs à dos sur des troncs d’arbres morts, quand mon compagnon me fait signe de la présence d’un petit oiseau sur une branche. Je prends ma paire de jumelles, nul doute, c’est une sitelle. Et quelle vivacité, elle ne s’arrête jamais à parcourir les branchages. Une bonne « diablette », comme disait un autre ami. J’en aperçois d’autres, elles sont si petites, si minuscules, qu’elles se confondent avec le feuillage de la zenaie. Je braque mon appareil photo, prêté auprès d’un voisin. Peine perdue, elles décollent et changent momentanément de pénates et se faufilent dans les branchages chargés et compacts. Même avec un 400 mm numérique, je n’arrive pas à capter ces volatiles. Je dois m’en approcher le plus près possible. Tiens, une autre atterrit sur une branche ensoleillée. C’est l’occasion de faire une belle image. Quelques pas, et elle redécolle. Quel regret, quelle tristesse, c’était faisable…

Pour ne rien rater de la beauté du site, je prends mon autre appareil, un 100 mm pour faire quelques images de la belle forêt et fermement vomir une revanche sur la sitelle, insaisissable et secrète, clandestine espèce, cachée et voilée à la photographie

Clairière

Paysage à BouafrouneAprès une petite pause imposée par nos chères sittidés, on décide mon ami et moi, de quitter le chemin forestier, pour entamer un sentier pédestre, très facile, qui mène vers un endroit dégagé, indiqué sur la carte par un blanc. On y aboutit rapidement. Ce lieu est très intriguant. Pourquoi, ce dégarni au milieu de forêt ? On y arrive.

Beaucoup d’arbres sont coupés. Des gens profitent de la pelade naturelle pour en raser d’avantage. Personne ne vous donnera de réponses quand aux dégâts occasionnés à la superbe forêt. Ni les responsables, ni le troupeau de vaches qui y paît paisiblement. La paix est revenue dans cette forêt, l’impunité aussi. Les herbes, qu’on accuse injustement d’être «folles», poussent généreusement, ce qui n’est pas déplaisant pour nos ruminants et demeurent une aubaine pour les autres oiseaux qui voltigent au dessus.

Paysage à BouafrouneEn direction du zénith, une belle falaise de calcaire est peinte d’un vert naturel par des mousses cernées de lichens écarlates et roux. On ne peut pas ne pas admirer. Les strates de la formation calcaire, bien visibles, ajoutent de l’harmonie à l’ensemble silencieux. Découpées par pans entiers, elles déclinent un escalier naturel, grandeur ample. Probablement aimanté, l’endroit m’attire. Pour quelle raison. Évidement, sa beauté y est vraisemblable. À moins que ce soit mes penchants pour l’archéologie, qui ont vite fait, que je me dirige vers cette barrière spirituelle. Espérais-je tomber à nez sur une éventuelle présence humaine ancienne, insoupçonnée jusqu’à maintenant. Je n’ai relevé aucun soupçon, mais on y retournera un jour pour y séjourner plus longtemps, car l’endroit est excessivement magnifique. D’après la carte, il existait un ancien moulin à eau. Un bivouac ne sera que plus extasiant à ces côtés, bien qu’il n’en reste que des stigmates maintenant. L’équation est simple: antique donc ruine, trace ; historique donc vestige, débris, stigmates …

Pour l’instant, on n’a pas le temps de tout visiter, il reste du chemin à faire. Au passage, on est gratifié par la vue d’oiseaux vivants dans cette clairière, tout aussi craintifs que la sitelle. Des gobe-mouches, des rouges-queues, etc.…, et d’autres dont je ne peux vous dire le nom. J’en ai pris des photos, je peux vous les montrer, si vous le désirez. Les papillons sont insaisissables et assez abondants, leur couleur est généralement brune. Mais vas y les prendre en photo.

Nous dégringolons la piste que nous avions quitté il y a une heure. En chemin, nous rencontrons des sitelles. Elles sont assez nombreuses. Mais, j’ai peur pour leur avenir. Les coupes d’arbres, les ébranchages excessifs ainsi que les feux, de plus en plus fréquent, peuvent faire disparaître cette espèce endémique de l’Algérie et emblématique de la région. Sinon, prions et regardons ailleurs.

Près d’un fossé, un lézard brun s’enfuit à toute allure, dès notre approche. Le « Bourioune » est très commun, leur population est maintenue, nous en avons rencontré fréquemment le long de notre itinéraire. Quelques mètres plus loin, on observe un nid ou un antre d’araignée. Un tissu cotonneux avec un cercle de deux à trois centimètres au milieu, coin d’aguets de la prédatrice. Je vous montre la photo. Entre temps, une légère sitelle pianote sur une branche à deux pas de nous. Je braque mon appareil photo, elle est tout prête, telle une mannequine. Et hop ! Elle décolle. Quelle privation ! La chance nous a répudiés aujourd’hui. Bon, poursuivons notre route, c’est cela le destin. C’est écrit. Mal écrit. On verra plus loin ce que l’on peut faire. Peut être, qu’on aura plus de veine.

La piste est, dorénavant, à limite des bois. Le lieu dégagé porte encore les cicatrices fumantes d’un incendie récent. En bas s’étale le long de l’oued R’ha, les chapelets de cantons de la commune de Djimla. L’image de la vallée apaisée est déchirée par le cri strident et bref d’une huppe fasciée, très reconnaissable. Elle alla se percher sur un autre chêne. Nous détalons en sa direction. Elle s’envole définitivement. Bien fait pour nous. Seuls nos regards arrivent à la suivre.

Paysage à BouafrouneAu loin, se dessine une mare posée sur un pré verdoyant. On converge vers le ruisseau qui en sort discrètement. C’est une petite source. Son nom m’est étranger. Dans la grosse flaque, flottent de délicates lentilles d’eau et quelques tiges de menthe aquatique en fleurs. Quelques insectes et des libellules bien évidement, surfent à la surface. Ce biotope exceptionnel reste un excellent sujet pour l’étude de sa flore et sa faune. Avis aux intéressés. Des salamandres, il en existe vraiment. Un autochtone m’en a soufflé le flash. La photo, ce sera pour une autre fois. Quand on restera deux ou trois jours en forêt. Je tends ma main vers le tuyau d’où ressort l’eau de la source pour me réfrigérer. Je ne vais pas en boire. Les dépôts brunâtres et la teinte rouge des filets d’eau trahissent sa saturation en oxyde de fer. Aucun écriteau n’est placé pour indiquer une potabilité éventuelle. Dans le doute, on s’abstient. Et puis, nos réserves sont presque pleines.

Le dîner

Nous retournons à notre marche en coupant à travers les bosquets, Paysage à Bouafrounepour rejoindre la piste un peu plus bas. Nous arrivons près d’un endroit jonché de gros blocs de rochers, totalement pris par l’ombre et l’humidité. La mousse les recouvre et de larges pulmonaires étalent leurs thalles gris sur certains. Un apaisant coin, où nous allons déjeuner. Une vache à côté, une pie noire chétive a déjà débuté sa digestion. Elle ne fait pas attention à nous. Oui, l’endroit est magique. En l’absence de magiciens. Qui d’un tour de main, rendent un Éden en jardin stérile. Une forêt en maquis.

Dans cette chênaie, comme dans d’autres à travers la wilaya, j’ai remarqué que l’ébranchage est toléré. Pourquoi ? Pourtant, la forêt est un domaine protégé. Le port des arbres redevient disgracieux, affecté d’une uniformité tubulaire et laide, qui nuisent à l’harmonie et l’élégance des formes naturelles. Enfin, arrêtons et mangeons. Du pain et du thon en boîte. Ben, oui. Le repas du voyageur autochtone. On n’avait beaucoup faim. On voulait instinctivement se reposer un peu et apprécier le paysage, le tableau. Les nourritures culturelles sont plus copieuses, pensais-je. Le coin est totalement pris par la canopée, les blocs de rocher agréablement disposé dans l’ombre offrent autant de chaises pour s’asseoir et de lits pour se vautrer. Cette image pour comparer, me fait penser à la plage d’Andreu avec ses gros rochers qu’on pourrait déplacer à l’intérieur d’une forêt. Et puis Bizarrement, tout a bon goût ici, l’eau est succulente, le pain également évoque quelques saveurs oubliées. On est emporté par la quiétude de notre cuisine temporaire, son charme, et par la montagne. Oui, il ne faut pas l’oublier, on est à 1100 m d’altitude.

Quelques instants plus tard, la digestion a fini par gommer l’intelligence et la volonté de l’effort. Je me lève brusquement, presque par orgueil, en pensant aux conséquences d’un assoupissement, et résister aux vagues de sommeil qui s’annoncent. Je prends mon appareil pour faire un petit tour dans les parages.

TrèfleJe croise une belle plante trifoliée, c'est-à-dire possédant trois feuilles. C’est le « Tagarfa », semble t-il, que l’on l’effeuille pour savoir si on est pris par la passion. Disons-le tout de suite, par l’amour. Cela coïncide absolument, sur chaque feuille est dessiné un large V, que l’on pourrait confondre avec un cœur élargi, « Kab Ouassaâ ». Les trois V accolés sur le feuillage dessinent encore un autre gros cœur, éclaté cette fois-ci. Cela sonne le bon augure. Je n’ose pas alors dépouiller le plant. Pas par peur des platoniques sentiments ou du vert sortilège. Je suis nature, peut être écolo et j’aime laisser les choses à leur place. Quand même, c’est un être vivant comme nous. Handicaper la plante me paraît inhumain !...

Rien d’autres à voir, sauf le plein de mousses et de lichens, signes de la pureté de l’air. Et de son silence ! Je retourne auprès de mon ami Mohamed. On a envie de faire une bonne sieste. Elle nous est interdite, ce n’est pas le moment de la prélasse. Des kilomètres nous séparent encore de l’autre col que les cols blancs méconnaissent. Un après-midi, c’est un peu plus délicat, il faut l’avouer, même pour des cols bleus. Heureusement qu’on est à l’ombre, des chênes et des bénédictions invisibles. On se met debout et poursuivons notre ballade. Si j’étais un préhistorique, j’aurai adopté cet endroit. Je le sens. Je le soupçonne. Il faut y aller pour me contredire. Mais vous pouvez rester.

Maintenant, le sous-bois rasée par de la lumière blanche et caressé par une légère brise, est essentiellement céréalier. Or et ivoire, il contraste avec l’ombre très sombre de la canopée de la chênaie écrasée par le soleil de midi. Des scilles maritimes enScille maritime fleur occupent occasionnellement le sol. Tapis à l’ombre, les tiges sont longilignes et les fleurs blanches au pistil jaune semblent suspendues. Elles sont entourées d’abeilles et d’insectes venus butiner. Allez, je prends une photo, c’est utile pour la botanique.

On entame maintenant un virage en épingle de cheveux. À l’ombre de la zenaie, des rais de soleil caressent tendrement un champ de graminées dont les tiges s’échinent sous l’effet d’une légère brise qui refroidit l’air. Subitement, un cri d’un geai déchaîné, déchire le silence auquel on a été habitué. L’alarme a retentit. Cela nous a fait sursauter. La forêt c’est ça. Non ? Après ce coup de tonnerre, elle redevient assourdissante, muette. Pour la photo. Ce n’est pas la peine, l’oiseau est déjà loin. La scille maritime
D'accord pour celui-là, mais au diable, où elle est cette sitidée, cette kabyle, si telle est son nom. La furtive, apparaît puis disparaît rapidement. Elle se cache et s’enfuit dès qu’elle aura remarqué notre présence, fut-elle la plus discrète possible. Même avec la paire de jumelle, elle se confond avec le feuillage vert- marin des chênes Zeen. On est convaincu, elle n’est pas zen avec nous, alors qu’on était venu spécialement pour elle. La frêle. La sitelle, si telle est son autre nom, est sans doute belle. Mais farouchement rebelle. Comme les personnages de ces contrées anciennement royales.

En cet après-midi, mon égarée, ma sitelle, notre kabyle, ne m’apparaît plus. Quand mon voisin me montre une, même avec la paire de jumelles, elle s’obstine à demeurer invisible. Peut être l’avais-je déranger ! Peut être « si-(es)t-elle »; sieste-elle ! Qu’elle repose en paix, je vais m’en aller.

Résultat de la course, tout ce que j’ai pu glaner, une photo d’un pic noir, Picnoirci par la pénombre, et qui s’entête à cogner sur un tronc d’arbre aux branches sénescentes. Je vous livre l’image, oui, elle n’est pas fameuse, en tous cas, elle est de chez nous. Le picidé est plus volumineux que la sitelle, pour vous montrer la difficulté de la photo animalière.

Moi, je me résous à la défaite, à l’humiliation, mon appareil photo, travaille en double aveugle. Aucunement une belle pose. Niet. Sur toutes les images prises en direction de notre passereau, je veux dire la sitelle, aucune n’a pu déceler ne serait-ce que son ombre. Maintenant, je suis convaincu qu’il est indispensable d’utiliser une longue focale, un 1000 mm au minimum. Sans parler de l’attente et du camouflage, etc. Et ça, je le savais.

Y a pas photo. Y a de l’eau. Aïn Chebou est toute proche. Au virage prochain. Mais on ne boira pas de son eau car on a décidé de bifurquer en direction de Thar Ettallaâ. « Le haut versant ». Un cousin des « Chemins qui montent ». On est en Kabylie, oui ou non ? La petite me diriez-vous. D'accord.

Tout en bas, apparaît une route qui passe par Fedoules et part en direction d’El Mhad. Élargie à partir d’un sentier muletier qui servait à l’entretien de la forêt, elle est a peu près parallèle à l’ancienne route, plus bas encore. Mon ami et moi, cherchons alors un endroit pour entamer la descente et rejoindre le bitume. Notre ballade va prendre fin. Il ne faut pas que l’on rate les derniers bus pour Jijel. Fedoulès n’est qu’à quelques centaines de mètres. La descente est aisée en suivant le thalweg. Il n’existe point d’obstacles. On prend les dernières photos. Tiens, encore une autre toile d’araignée comme la précédente. Le terrain se dégage de plus en plus, on aboutit à une clairière parsemée de pierres qui délimitaient d’anciens enclos. On laisse à notre côté, Aïn Beljaouz, Aïn El Banaat et Aïn Diss el Ma (source des joncs d’eau).

Bienvenue à Thar Ettallaâ.

Karim Hadji

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