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Mosquée du Vieux Ténès
Des Pays, des Cités & des Noms

Patrimoine

Mosquée du Vieux Ténès : lieu du culte de l'’oubli ?

in Le Soir d'Algérie du mercredi 06 avril 2011

«Écrire, disait Blanchet, c'’est nommer le silence». Ce dernier devient délictuel dès lors que l'’on refuse de valoriser un patrimoine culturel précieux parce que sis à l'’abri des regards et/ou défavorisé par sa position géographique, à l'’écart des grands axes routiers. Tel est, hélas, le cas piteux du Vieux Ténès et de sa mosquée.

Un joyau national serti dans une perle régionale : en l'’occurrence la mosquée de Sidi Maïza. C'’est cette raison cardinale qui nous a, à juste titre, motivé à rédiger ce modeste article sur le lieudit du Vieux Ténès. Situé à 53 km au nord du chef-lieu de la wilaya de Chlef et 1,5 km au sud du chef-lieu de la daïra de Ténès, le vieux Ténès est une véritable casbah connu sous l'’appellation populaire T’nes Lahdhar (ville des citadins) avec ses venelles étroites et sinueuses qui s'’entrecroisent. Elle présente de grandes affinités avec celle d'’Alger. Ce texte n'’est autre un appel civique d'’un citoyen en direction de nos autorités aussi bien locales que nationales, chacune à son niveau. Peut-être aura-et-il le privilège de parvenir jusqu’à leurs oreilles et, enfin, être entendu dans l'’espoir et le bonheur d'’attirer leur aimable attention. Dans tous les cas, nous gardons espoir.

De nos jours, même si elle paraît visiblement encore intacte, ce n'’est qu'’en apparence, car elle nécessite de sérieux travaux de restauration pour la maintenir en bon état. Sa nef, parallèle au mur de la qibla, s’apparente beaucoup à la première mosquée de Médine que le Prophète (QSSSL) aurait personnellement participé à sa construction. On retrouve ce modèle à Damas (705- 715). La mosquée de Sidi Maïza serait un exemplaire maghrébin d’un type créé en Egypte (mosquée de ‘Amr à Fustat, au VIIe siècle) et en Syrie. Ce modèle a été repris dans toutes les mosquées médiévales de l'’Ouest algérien sous l'’influence des grandes mosquées de Kairouan (Tunisie) et de Cordoue (Andalousie) qui ont délaissé la forme curviligne traditionnelle. Son mihrâb est décalé d’une nef vers l'’est. Ce décalage, pour les experts des lieux de culte, est fait sciemment dans un souci de respecter le style médinois. Notre mosquée présente un style éclectique qui rappelle celui des monuments romains de la région avec ses colonnes à fûts cylindriques coiffées de chapiteaux. On retrouve également la technique du décor floral incisé et épigraphique ornant les impostes. L’introduction de l'’imposte entre les arcs et les chapiteaux a d’abord été expérimentée en Egypte (mosquée de ‘Amr) puis reprise en Afrique du Nord au IXe siècle, à Tunis et à Kairouan. Son adoption au Vieux Ténès atteste d’une influence évidente de l''’Egypte. Ses colonnes sont faites de pierres et ces colonnades rappellent, une fois encore, l'’époque romaine. Les arceaux sont faits par les mains d’habiles artisans. Avec ses 39 colonnes cylindriques surmontées de chapiteaux antiques aux formes et aux dimensions diverses, la régularité de ses arcs et ses impostes carrées ou rectangulaires, la mosquée du Vieux Ténès rappelle celle de Kairouan. On retrouve plusieurs formes, comme l'’arc brisé, outrepassé dont le sommet est quelquefois brisé au tracé typique du Maghreb des IXe et Xe siècles (Grande Mosquée de Kairouan, ribât de Sousse, mosquée de Mahdia, mosquée de Sfax, en Tunisie). La mosquée est hypostyle comme celles de Damas, de Cordoue, de Kairouan et d’Al-Hassan à Rabat. La salle des ablutions est accolée à la façade nord de la mosquée. On y accède par une entrée légèrement désaxée située dans le mur vis-à-vis du mihrâb. Il y a, en apparence, une interférence entre le plan à nefs parallèles (Damas) et celui à nefs perpendiculaires (d’Al-Aqsa à Jérusalem et de Cordoue).

Il est important de rappeler que Ténès a connu des périodes fastes lorsqu’elle fut un haut lieu de savoir et de rencontre de savants et d’érudits. La cité de T’nès El-Hadhar (la civilisée), — appelée «Vieux Ténès» par les colons français, — a été édifiée sous différentes dynasties : berbère, rostomide, mérinide, almoravide, almohade, zianide. Vieux Ténès formait, avec d’autres villes universitaires de l'’époque, Béjaïa à l'’est et Tlemcen à l'’ouest, un triangle du savoir où nombre d’étudiants venaient séjourner pour se former et/ou parfaire leur formation. Quant aux hommes de culture de l'’époque, ils venaient aussi, dans notre région, pour ajouter à leur aura de savants le privilège d’avoir visité ces villes saintes et savantes, et aussi pour côtoyé ses éminents savants et ses célèbres saints, comme Abou Is’hak Ettensi et Ibrahim Ibn Abderrahmane à Ténès, Sidi Boumediene Choaïb à Tlemcen, ou Sidi Touati à Béjaïa. Le nom de Ténès viendrait du phénicien Carthennae, Carth signifiant cap et Thennae, la rivière de la région (Oued Allala). Les corps du saint wali Sidi Maïza — qui a donné son nom à la mosquée – et celui de son épouse reposent dans un petit carré à l'’intérieur de la salle de prière. Ce qui n’est pas sans rappeler, une fois encore, la mosquée de Médine où sont inhumés les saints corps du Prophète (QSSSL), d’Abou Bakr et celui d’Omar (que Dieu Les agrée). Une douce pénombre ajoute, à la foi des fidèles, la paix de l'’âme. Sidi Maïza a planté de sa propre main un palmier, encore debout. Il a contribué, aussi, à creuser un puits dont l'’eau, sans cesse renouvelée par les précipitations, possède des vertus médicinales, dit-on, grâce à la «baraka» du saint homme dont l'’âme n’a pas cessé de hanter ce lieu qu’il avait choisi pour y vivre et d’y mourir, il y a, de cela, plus de trois siècles. `

Aujourd’hui, Vieux Ténès expose, à ciel ouvert, son patrimoine culturel dans un état moribond pour qui daigne s’y intéresser. La médina millénaire du Vieux Ténès sombre doucement mais sûrement dans la philosophie de l'’oubli, voire du mépris sous le regard impuissant de ses habitants et l'’indifférence des autorités. Ses vestiges vétustes et délabrés, qui tombent comme des feuilles d’arbre en automne, constituaient, par le passé, le prestige de la contrée. Aujourd’hui, ils ne sont plus que des pierres silencieuses et anonymes abandonnées, livrées à elles-mêmes dans une totale indifférence. La cité du Vieux Ténès n’est plus que l'’ombre d’elle-même. N’ayant d’autre alternative, elle reste dans l'’expectative d’une bonne volonté secourable. La disparition de ces vestiges prestigieux signifie, fatalement, la disparition de pans entiers du patrimoine historique de toute la région de Ténès au grand dam des générations à venir. Usées par le temps, ses constructions subissent les ravages implacables de son millénaire. Celles qui sont encore debout tiennent péniblement, voire dangereusement, au risque de s’effondrer à tout moment. Pourtant, la cité du Vieux Ténès était la bannière d’un «grand sceau» qualitatif de l'’histoire civilisationelle. A côté de la mosquée, il y a Bab-El-Bhar (ou porte de la mer) construit par les Turcs. Il est situé dans le côté nord de la localité. Il est toujours érigé mais à l'’abandon. Il est dans un état de délabrement très avancé en raison de sa vétusté. Il sert, hélas et mille fois hélas, de dépotoir pour les riverains. Il est de forme cubique, soit environ 4 mètres de côté sur 8 mètres de hauteur. Quant aux dimensions de sa porte, elles sont de 2,60 mètres de haut sur 2,40 mètres de large. Il a deux issues. Ce qui permettait de contrôler et filtrer les entrées et les sorties des habitants. Son effondrement serait un lèse-majesté contre l'’histoire et la culture de la région. Bordj El-Ghoula, autre vestige historique totalement en ruine, était un poste d’observation situé sur le bord d’un ravin non loin de ladite mosquée.

Ces vestiges sont les empreintes, par excellence, de l'’histoire. Celle-ci est justement «la connaissance de la vie passée par les traces.» Refuser de reconnaître ces empreintes comme patrimoine régional, voire national, ce serait s’obstiner à ne pas vouloir connaître l'’histoire. Qu’on l'’accepte ou qu’on la refuse, elle [l'’Histoire] fait partie de notre entité, à la fois individuelle, collective, voire nationale parce qu’elle est «la mémoire du peuple.» Aujourd’hui, une bonne partie du Vieux Ténès est en ruine. Il n’est pas exclu que ses vestiges, riches en histoire, risquent de s’oblitérer à jamais s’ils ne sont pas pris rapidement et sérieusement en main. La conséquence serait l'’amnésie collective non par la faute du citoyen impuissant, mais celle des autorités que nous invitons à méditer ce présent article à dessein d’intervenir énergiquement dans le noble but de rétablir l'’histoire de la région dans ses droits. Vieux Ténès et ses vestiges nécessitent de sérieux travaux de restauration et… en urgence. Réhabiliter la mosquée de Sidi Maïza et la localité du Vieux Ténès, c’est réhabiliter toute une époque des lumières de l'’islam qu’on veut laisser, sciemment ou non, en veilleuse, sinon vouée à l'’oubli. Pour ce faire, il appartient aux autorités locales, assistées en cela par les intellectuels de la région, à inscrire Vieux Ténès et sa mosquée au patrimoine universel à l'’instar de la Casbah d’Alger. Ce qui sera, sans nul doute, une fierté nationale supplémentaire. L'’Algérie n’a pas que sa géographie. Elle a aussi son histoire. Ses vestiges en témoignent. Eviterons-nous, ainsi, d’être jugés et condamnés par les générations futures pour notre quasi-délit d’indolence à l'’égard de nos sites historiques. Pour réaliser ce projet ambitieux qui n’est, certes, pas de tout repos — faut-il le reconnaître — , il appartient à tous les responsables centraux, en l'’occurrence les ministres des Affaires religieuses, du Tourisme, de la Culture ainsi que les responsables locaux, entre autres, le wali de Chlef, le chef de daïra et le président de l'’APC de Ténès de conjuguer leurs efforts au présent et au futur proche pour sauvegarder notre mosquée et, surtout, la réhabiliter à la hauteur de sa juste valeur cultuelle, culturelle et historique. Pour conclure, rappelons qu’un peuple riche et imbu de ses propres valeurs culturelles est immunisé contre les maladies graves et incurables de la dépersonnalisation. De pareilles valeurs lui permettent d’ajuster sa conduite de manière plus pondérée et plus réfléchie faisant de lui un peuple évolué et moderne sans rompre avec sa source originelle : l'’islam. Il est vrai qu’à notre époque, l'’économie prime. Cependant, pour le peuple, la culture est, aujourd’hui, le premier besoin après le pain. C’est ce qui a fait dire à Mustapha Chérif, ex-ministre : «Un peuple sans bases économiques solides est faible, tandis qu’un peuple sans culture se meurt.» Les habitants du Vieux Ténès refusent de voir leur mosquée souffrir et leur histoire mourir. La bénédiction de Sidi Maïza doit continuer à veiller sur eux et leur postérité comme elle a veillé, jadis, sur leurs ancêtres. La postérité a parfaitement droit de pérenniser l'’histoire de la région à partir de sa mémoire collective. Ce qui n’est que justice.

Mohammed Guétarni
Maître de conférences à l'université Hassiba Ben-Bouali de Chlef


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Proposé par Karim Hadji