jijel-archeo |
DZ Digest Press |
Digest de la presse algérienne sur les questions de l'archéologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'écologie...
Thanarumus Castra
Première appellation connue de la ville de Berrouaghia, fondée sous l'empereur romain Septime Sévère vers l'an 122. La signification recueillie serait le nom d'un notable qui habitait ce Castra ou camp, Al Birwaqia. Sans que nous puissions en préciser l'époque, il semblerait que se sont les tribus autochtones en rapport avec une plante liliacée qui couvrait la région qui donnèrent le nom «Al Birwaqia» à la ville, transformé improprement par le colonialisme en Berrouaghia.
L'histoire de Berrouaghia est liée de la façon la plus intime au périmètre de la Z'mallah. Par sa position géostratégique, la ville fut, bien avant de devenir un centre colonial, l'objet des convoitises des romains qui s'y établirent vers l'an 122. Ils y ont laissé des traces de leur présence. L'empereur Septime Sévère construisit un camp militaire là où s'élève actuellement le pénitencier. Cette assertion est corroborée par l'historien S. Gsell : «L'emplacement du pénitencier de Berrouaghia, voyais jadis les ruines d'une ville antique, qui était par conséquent Thanaramusa Castra. On y a découvert une dédicace à l'empereur Septime Sévère faite un T. Aelius Zabidus.»
Parmi les antiquités découvertes, nous signalerons également une tête de bronze, débris d'une statue d'enfant ou d'amour, une figurine de bronze du même lieu représentant l'Afrique, et un Bacchus, représentant le dieu nu, tenant de la main gauche un thyrse, de la main droite abaissée un vase, vers lequel paraît se tourner un animal, qui devait être une panthère. Thanaramusa Castra fut donc un camp militaire mesurant, d'après une chronique, 400 pas de long sur 200 de large. Il était sous commandement d'un certain P .H. Masculus, coiffant une aile, c'est-à-dire mélange de cavaleries de Bretons et de Thraces combinant infanterie et infanterie montée ou Numeri. Leur uniforme consistait en une tunique, une culotte en cuir, un casque en métal, un spertha ou sabre, et enfin une lance. L'identification du camp romain de Thara musa fut confirmée par Rénier et l'Itinéraire d'Antonin. Durant cette période, la cité atteignant une urbanisation graduelle. Les vestiges aussi bien que les récits des historiens en témoignent. Voici, entre autres, ce que nous dit S. Gsell à ce propos : «Une population civile, composée sans doute en bonne partie de vétérans, s'installa à Thanaramusa.
Des inscriptions des temps de Commode et de Septime Sévère mentionnent des citoyens romains qui firent élever des statues, ob honorem principatus. Il s'agit d'une charge qui était sans doute élective, d'une sorte de magistrature, comme l'indique le mot Honor. Les princeps devait être le chef d'une Res republica qui n'avait pas rang de commune romaine. Nous ignorons si, plus tard, Thanaramusa parvint, comme Rapidum, à la condition de municipe. A ses débuts, cette cité n'était pas entourée de murs d'enceinte, mais l'insécurité due aux insurrections cycliques des Berbères de l'est, contraignit les Romains à élever des murailles ouvertes de portes qu'on verrouillait la nuit, comme le rapporte Tacite. Voulant se procurer un bien-être matériel progressif aux habitants de cette cité, les Romains construisirent des thermes dont le système de canalisation faisait passer l'eau chaude et froide dans différentes salles aménagées à cet effet. La vapeur d'eau passait par des orifices pratiqués dans le mur des salles de bains.
Ces thermes (Hammam Essalihine, et un second découvert tout récemment à la Z'mallah ), étaient chauffées à la vapeur sortant d'une grande chaudière en bronze placée sur un foyer entretenu avec du bois. Les Romains divisaient ces thermes en conique (salle chaude) ; tepidarium (salle non chauffée) ; frigidoium (pièce froide), et, enfin, l'oleocothesium (salle de massage). Les thermes, véritables trésors archéologiques et touristiques, subissent les contrecoups de l'abandon. D'autres indices de Thanaramusa Castra : traces de voies, reste de murs, sarcophages, statuettes, épitaphes, jarres, gravures sur dalles restent à fleur de terre sur un ton de profonde résignation. Cette cité millénaire enfouie dans les profondeurs de l'inexploration a dû jouir d'une prospérité étonnante que les archéologues et les historiographes n'en aient même pas un vague souvenir.
Le cadre social fondé sur la propriété communautaire de la terre assurait aux tribus de Hassan Ben Ali la suffisance économique tout au long de ses siècles. Les échanges qui s'opéraient à l'extérieur se faisaient sur la base du troc. L'or et l'argent étaient des équivalents d'échange. En 1857, les Hassan Ben Ali étaient estimés à 3 000 âmes. Ils possédaient, selon une étude de F. Pharaon, 5 112 hectares de terres labourées, 3 817 bœufs, 8 621 moutons, 4 780 chèvres, 193 chevaux, 196 mulets. Cette prospérité allait s'éteindre avec les débuts de l'occupation coloniale avec la promulgation du tristement célèbre sénatus-consulte du 22 avril 1863. Cette loi visait, d'une part, l'instauration de conditions favorables à l'extension du colonialisme par le biais d'un séquestre foncier massif ; et, d'une part, à briser les liens communautaires pour les dissoudre dans une circonscription administrative : le douar. C'est aussi la fermeture des parcours de transhumance. Les conséquences directes seront, entre autres, le fractionnement des tribus des Hassan Ben Ali, l'éclatement des cadres socio-économiques, la transformation des modes de vie, le passage de la vie rurale à la vie sédentaire sous sa forme la plus paupérisante. Les tribus Hassan Ben Ali dont quelques-unes sont issues de Chorfas et prédicateurs religieux qui se sont répandues entre les régions du Titteri, à partir du XVe siècle. Certaines sources parlent de l'obédience des tribus de Berrouaghia aux confréries des Derqaouas et des Chadouliyas. La tradition nous a conservé le souvenir du grand saint Sid-Ahmed El Fergani dont les récits pieux font encore le thème des conversations. Sa descendance dans toute la région fut considérable. Dans chaque tribu, raconte-t-on, il y avait une tente pour le livre saint du Coran qu'on faisait écrire aux enfants sur des lattes en bois par chapitres.
Ce procédé permettait aux élèves de les retenir par cœur. Ce qui donnait lieu à une grande fête. Rien ne soulignait mieux l'association du spirituel au matériel que ces levers matinaux qui commençaient à 3 heures du matin pour l'appel à la prière avant celui des champs. Le nœud central autour duquel s'articulait toute l'existence fut la tribu dont la Djemâa perpétuait l'esprit de concertation et de solidarité. Les biens Melk couvraient alors une partie des terres et se caractérisaient par des cultures intensives ; les biens Archs ou appropriation collective étaient réservées à une céréaliculture extensive associée à l'élevage. Dès le mois de mai, des groupes de famille dont le mouton occupait une place importante, poussaient devant eux leurs troupeaux et s'approchaient de la lisière du Tell.
Tribu des Hassan Ben Ali: (origines : arabes et berbères), fraction Graba, fraction Ouled Fergane, fraction Ouled Maiza, fraction Ouled Mellal (formée par les Ouled Ameur et les Ouled Mendil), fraction Ouled Brahim (formée des Ouled Beni H'ssen), fraction Ouled Trif ( formée des Ouled Sassi des Beni-slimane). Nous avons essayé de rétablir la sociotribalité de Berrouaghia avec les supports historiques que nous avons sous la main et les témoignages locaux les plus anciens, les plus dignes de foi. Hassan Ben Ali, ancêtre lointain des Ouled Kerakri était un saint homme qui vivait il y a plusieurs siècles dans les montagnes de Berrouaghia, à la même époque que le vénérable Sid-Ahmed El Fergani. Selon nos sources, la grande tribu des Hassan Ben Ali s'est constituée par des migrations successives de fractions venues des Ouled Maâreuf, des Bedarnas, de Mouzaïa, de Mostaganem et de Mascara. Il semblerait que se sont les Ouled Fergane qui ont été les premiers à avoir peupler la région, voilà 5 siècles. Ouled Fergane, Ouled Sidi Abdallah Ben El Khettab (origine : Mascara), Ouled Kerakri (origine : Ouled-Maareuf), Ouled Mechti (origine : Bedarnas), Ouled M'hamed (origine : Mascara), Hallassat (origine : Mouzaïa), Ouled Ben Mgatel (origine : Mostaganem), Ouled Ali (origine : Mouzaïa), Ouled Djelifa, Ghraba, Ouled Bouyahia (origine : Boghar), Ouled Sidi Ali Ben M'hamed (origine : Flitta Guraba (Mascara), Ouled Saiba (origine : Rahmane), Ouled Benehekar (origine : Constantine)
Le développement allait étendre son urbanité et son agriculture sur une grande partie de l'emplacement de l'ancienne cité romaine. L'un des rares témoignages que nous avons pu glaner nous renseigne sur le village durant sa période turque : «Berrouaghia était à la fois un établissement militaire et agricole, créé par le bey Ouznadji et augmenté par ses successeurs.» En effet, en 1763, le bey Osman acheta fermes et plantations dénommées «Haouche Osman».
Entre 1775 et 1794, le Bey Ouznadji s'établit à Berrouaghia où il créa magasins, docks, hangars et postes militaires appelés noubas. Les vastes magasins de Berrouaghia renfermaient, selon une chronique, une immense quantité de grains, de bachemat, de bolghol et matériel agricole considérable. Cette importance agricole sous les Turcs apparaît nettement sous la plume de S. Gsell : «Berrouaghia était une ferme labourée, ensemencée, cultivée et récolte par les Arabes au profit du Beylicat de Médéa.» Sans doute les Turcs ont voulu donner à leur présence dans la région du Titteri une certaine consécration en fondant l'organisation territoriale du Makhzen et dont Berrouaghia allait constituer un point important. Elle n'avait d'égale que la ville de Médéa, pour la beauté de ses sites, l'étendue et la fertilité de ses terres, la grâce de ses forêts, ses ressources hydriques. Mais le pendant négatif est celui des luttes interminables entre tribus autochtones et les représentants locaux du pouvoir Beylicat. C'est le cas des puissantes tribus des Hassan Ben Ali qui ne furent jamais gouvernées par un caïd turc. Cela à cause de leur mise à sac et une fiscalité obéissante à une volonté dominatrice des Turcs. Néanmoins, c'est dans cette période que Berrouaghia composera avec l'architecture, les travaux hydrauliques, la réglementation des échanges commerciaux qui culminera dans la tarification de tous les produits du marché hebdomadaire local qui s'y tenait, dit-on, le mercredi. D'où le nom de Larbâa qu'aurait porté le village avant de prendre celui d'Al Birwaqia. Les remises en cause des représentants locaux des Turcs étaient tempérées quelque peu par les privilèges dont bénéficiaient marabouts et chorfas de Berrouaghia. Dans la période qui commence à partir de 1830, les tribus de la contrée sentirent le devoir sacré de combattre le colonialisme français. Aussi, l'Emir Abdelkader trouva en elles ralliement et accueil chaleureux.
Le prestigieux chef donna le ton à l'organisation militaire en installant sa Z'mallah, en désignant chefs de cavalerie, aux côtés de l'Emir, ce qui fit réagir le général français Baraguay d'Hilliers, en mai 1841, lequel engagea de terribles représailles contre eux. La Z'mallah fut mise à feu et à sang tout comme Boghar, autre forteresse de l'Emir.
La création du centre colonial improprement nommé Berrouaghia s'inscrit dans un processus de la colonisation totale enclenché à partir de 1848 et connu sous le nom de «colonisation ouvrière de 1848». Cette opération déplaça donc de quelque trois kilomètres le siège de l'ancienne cité de la Z'mallah par décret impérial du 3 mars 1860. Mûri par un rapport datant de 1856, ce projet fixa le futur village sur la route Médéa- Boghar. Ce même décret affecta au centre un territoire de 663 hectares et 55 ares et prévoyait l'établissement d'une trentaine de colons. Le plan en était fixé par les officiers du génie. Le village commença donc à se couvrir de lotissements, traçage de rues et places, et verra l'inauguration d'une gendarmerie. Un certain capitaine Pons, l'un des premiers colons de la contrée, écrit en 1856 : «Le village de Berrouaghia a été sans prospérité pendant les trois premières années qui ont suivie sa création. L'insalubrité, le manque de ressources ont d'abord détourné notre confiance. Mais revenus de cette erreur, deux années ont suffi pour réparer le temps perdu. Plus de 40 maisons ou fermes, habitées par autant de familles, ont été construites.» Avec la création de l'arrondissement de Médéa (décret du 1er décembre 1879), Berrouaghia sera rattachée à ce chef-lieu à partir de 1880. Mais onze ans avant ce découpage et par décrets des 27 janvier 1869 et 10 février 1869, Berrouaghia fut érigée en commune de plein exercice. En fait, cette organisation administrative n'a fait que calquer celle des Turcs puisque le centre et le cercle comprenaient un ou plusieurs des grands Aghaliks et les subdivisions ou Khalifat. Il en est de même des bureaux arabes reconduisant l'ancien système des Mokhaznyas (administration centralisée) et les Hakams (représentation de base). Il en sera de même du Khodja-Khaznadji, Aga, Khodjet-El-Kheil, Chaouch, c'est-à-dire autant de fonctions que le colonialisme français greffera sur le territoire du Titteri. D'après une communication de P. Boyer, 29 colons et leurs familles s'installèrent dont le capitaine en retraite Pons, qui planta le premier vignoble de Berrouaghia. Un instituteur, M. Chambon, faisait en même temps fonction de secrétaire général de mairie. Le 29 septembre 1876, quelque 457 hectares prélevés sur les terres affectées à l'ancienne Z'mallah furent rattachés à Berrouaghia. En 1879, sera construit le pénitencier agricole. Un autre décret, celui du 30 mars 1882, ajoutait 214 hectares au périmètre de colonisation ; en 1887, Berrouaghia comptait 1 043 habitants, dont 600 Européens et 443 musulmans. A la même époque, le village enregistre la ligne de chemin de fer, la mairie, l'école, le presbytère, la justice de paix. Le rattachement du 7 août 1947 de cinq fractions de douars environnants porta la population de 3 494 habitants à 10 073 et la superficie —après prélèvements successifs —de 2177 hectares à 10 897. Ce pan historique représenté par les années 1800 constitue en fait une politique de dépossession foncière. Le sénatus-consulte de 1863 obéissait en réalité à la désintégration du cadre institutionnel dans lequel s'exerçait la djemâa au profit d'une représentation caïdale dont les membres étaient désignés par l'administration coloniale. Comme il a été dit plus loin, la loi de sénatus-consulte dépouilla le milieu paysan de ses sources de revenus. Pour donner une idée de cette dépossession, nous signalerons les 667 hectares prélevés en 1860 sur les douars de Ouled deïd et Seghouane. La guerre, le paupérisme, l'injustice formeront la trilogie qui précipitera les ruraux vers le village européen. Cet exode rural sera le pendant d'une expansion économique de Berrouaghia (commerce, transport, bâtiment) excluant toutefois les gens de la campagne. C'est aussi la juxtaposition de quartiers européens et de quartiers arabes sur fond de ségrégation à la fois spatiale et sociale envoyée par l'expression de «village nègre».
Hamid Sahnoun