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DZ Digest Press

 

Digest de la presse algérienne sur les questions de l'archéologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'écologie...


De Thévest à Tébessa
Archéologie

Quand Tébessa renie son passé

Thévest fait de la résistance

in Watan du jeudi 22 janvier 2009

Un décor de Tchernobyl s’offre au visiteur aux abords de l’amphithéâtre romain. Le vestige, qui date du IVe siècle, abritant jadis des joutes artistiques et autres combats de gladiateurs, n’est aujourd’hui qu’un dépotoir. Une sorte de poubelle publique où les marchands de fripes viennent déverser les invendus du jour, les éthyliques leurs bouteilles vidées la veille et les marchands de fruits et légumes les fonds de leurs cageots périmés.

L’histoire glorieuse de Thévest est ensevelie sous le présent nauséabond de Tébessa. L’indigence dans laquelle se trouvent les trésors archéologiques fait honte, et pas seulement aux Tébessis. La muraille de Salomon, le temple de Minerve, la basilique Sainte-Crispine, l’amphithéâtre et l’aqueduc, tous situés intra-muros, Morsott, Gastel, Negrine et l’huilerie de Berzguen…, la liste des crimes contre l’histoire du pays profond est aussi longue que celle des vestiges. Le béton armé est toujours là, coiffant la porte quadri-fronts de Caracalla, témoignage de l’impuissance des uns et de l’indifférence des autres. Le viol perpétré en 2004 par un bureau d’études et une entreprise préposés aux travaux de restauration demeure visible, indécrottable, comme témoignage de la petitesse de notre entreprise moderne face à la majesté des bâtisseurs d’hier. Les lois, comme les politiques qui les sous-tendent, n’ont rien pu faire quand elles n’ont pas couvert la profanation. Tébessa est le terminus d’une certaine histoire de l’Algérie. Un corps mutilé au scalpel du reniement identitaire.

Des origines à nos jours : Un passé sans présent

Toute la région, de par sa situation géographique, est un gisement ethnique, civilisationnel et cultuel. La ville d’Hecatompyle Thévest est reconnue comme l’une des plus anciennes d’Afrique septentrionale. Fondée par Héraclès selon les uns et par Tibère selon les autres, Tébessa est l’héritière d’une longue histoire qui a vu défiler Phéniciens, Romains, Byzantins, Vandales, Arabes et Turcs, et d’un parc archéologique immense, qui n’est pas reconnu, hélas, à sa juste valeur. Les pierres de taille, monumentales sont pourtant des pages ouvertes sur l’histoire et autant de messages transmis par nos aïeux. C’est dans ces contrées que Massinissa et ensuite Jugurtha défendirent l’Africa Nova contre l’invasion romaine entre 203 et 146 avant J.-C. Thévest atteint toute sa splendeur et son triomphe sous Trajan, et après lui l’empereur Septime Sévère qui l’érige en colonie. Son successeur, Caracalla, accordera plus tard la citoyenneté romaine aux habitants, tous les habitants de la région. Thévest fut détruite de fond en comble au Ve siècle par les Vandales, qui épargneront, néanmoins, l’Arc de Triomphe et le temple de Minerve. La cité sera occupée en 535 et reconstruite grâce à Solomon, général byzantin sous les ordres de Justinien. Toute cette Histoire est immortalisée par des ouvrages toujours debout. De nombreux gisements préhistoriques ont été découverts à Bir El Ater, Elma Labiod et Négrine, ajoutés aux tombeaux puniques et aux dolmens du Dyr, du djebel Osmor et de Tazbent. Mais c’est l’Antiquité qui a laissé les empreintes les plus marquantes. A elle seule, la wilaya pourrait remplir le Top Ten des vestiges romains. Pour les Français qui ont mis en valeur ce patrimoine durant la période coloniale, à elle seule Tébessa abrite 60% des vestiges situés en terre algérienne. Il s’agit du site le plus important après Carthage, le mieux conservé dans la province romaine. Bref, un site suffisamment riche pour se faire classer patrimoine universel et faire de la région une destination touristique de première classe. Un rêve qui semble si loin à réaliser, et pourtant ! En plein centre, la muraille byzantine ou citadelle de Solomon ceinturant la ville ancienne est flanquée de treize tours carrées et s’ouvre sur l’extérieur par quatre portes : Bab Chahla, Bab K’sentina, Solomon et Caracalla, cette dernière appelée aussi l’Arc de Triomphe. Celui-ci, érigé en 214 après J.-C. par un riche Thévestin, Caïus Cornelius Egrilianus, est disposé en carré avec quatre façades identiques percées d’arcs flanqués de colonnes. Tout près, coincé entre deux marchés, on découvre l’amphithéâtre romain avec ses gradins et son arène. Il est le plus grand d’Afrique du Nord après celui de Carthage. La basilique chrétienne, élevée au-dessus d’une nécropole chrétienne souterraine, acquit son statut suite à l’édit de Milan, décrété en 313 par l’empereur romain Constantin, qui officialisa le christianisme dans Rome et son empire. Cet ouvrage monumental, d’une beauté unique consacré à une sainte locale, Sainte Crispine, est entouré de jardins, baptistères, catacombes, et de plusieurs chapelles dont l’une est en forme de trèfle. Cette ambition architecturale, motivée par la ferveur religieuse des chrétiens, incita les païens de la cité à en faire autant en construisant le temple de tous les dieux, communément appelé Temple de Minerve, déesse de la sagesse. L’ouvrage, jadis témoin de la cohabitation religieuse, abrite aujourd’hui un musée où sont exposés divers outils préhistoriques (monnaies, armes, lampes, etc.), et ses murs intérieurs sont ornés de belles mosaïques. La liste n’est pas exhaustive, on y trouve aussi les ruines d’un aqueduc qui alimentait la ville en eau potable et un pont romain. Tout cela est-il insuffisant pour engager une étude approfondie de l’étendue de ce patrimoine à valoriser ? Y aurait-il un seul doute sur les chances de Tébessa de décrocher une place dans le panthéon du patrimoine universel ?

Pillage, profanation, restauration infidèle : la saignée

Il n’est pas rare de voir des hommes se rapprocher intimement de la muraille pour faire leurs petits besoins en plein jour. Ce public, qui donne son âme à la vielle ville, participe, cependant, par ignorance et par manque de civisme, au vandalisme permanent et au dépérissement du patrimoine. Une cité militaire a été construite dans l’enceinte de la caserne coloniale, elle-même faisant partie du site de la citadelle byzantine. Pour les responsables, cela ne pouvait être évité puisque c’est arrivé bien avant la promulgation de la loi 98/04 relative à la protection du patrimoine, qui interdit toute construction dans le périmètre protégé. Cependant, dans la commune de Morsott, un commissariat a été construit ,en 2007, au vu et au su de tout le monde, dans le périmètre des ruines pourtant classées patrimoine national ; preuve malheureuse de la faiblesse de la loi quand il s’agit de culture. Le vol est l’autre ennemi de la conservation. Elles seraient des milliers de pièces, toutes périodes confondues, préhistorique, antique, médiévale ou islamique, qui auraient été subtilisées et acheminées en contrebande vers des pays occidentaux via la Tunisie. « L’étoile filante », la statue d’une femme nue, a disparu avant d’être vendue à un prix dérisoire à un Italien, qui l’attendait sur le sol tunisien. Comment une statue d’une centaine de kilogrammes a-t-elle pu être déplacée à la barbe tout le monde ? Après elle, c’est la statue de Jeanne d’Arc debout en armure portant une lance à la main, qui a disparu et ensuite récupérée, heureusement, par les services de la gendarmerie chargés de la protection du patrimoine. Des petits sarcophages, des statuettes, des figurines, des poteries, des pièces d’argent et autres ont disparu. Un pillage en règle qui ne désarme pas, d’autant que la région est en contiguïté avec la frontière algéro-tunisienne, gorgée de couloirs incontrôlés, permettant aux trafiquants de faire passer leurs précieux « larcins », pour ensuite les revendre aux touristes européens et américains. « On ne pouvait pas contrôler ces pièces miniatures qui peuvent être prises n’importe comment, mais l’idée d’inventaire que la direction de la culture vient d’entreprendre conservera mieux ce patrimoine archéologique », déclare, impuissant, un ex-P/APC. Mais ce que les spécialistes et les Tébessis regrettent le plus, jaloux de leur trésor local, ce sont les travaux de restauration, infidèles à l’architecture originelle. Des travaux de restauration, qui ont touché à la porte de Caracalla, celle de Constantine et l’huilerie de Berzguen à Elma Labiod (54 km au sud du chef-lieu), avaient débuté en décembre 2002 et devaient être achevés en octobre 2005 avec un coût initial de 42 millions de dinars. Trois années plus tard, bien qu’avancés à 23%, ces travaux ont été interrompus, suite à un constat réalisé par une commission dépêchée du ministère de la Culture à la demande de l’association Minerve, faisant état du non-respect par l’entreprise de certaines recommandations en matière de conservation et de restauration du patrimoine matériel, comme le dicte la charte de Venise de 1964, qui stipule que « toute restauration est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel », et qu’« elle a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et historiques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne ». En effet, en l’absence d’experts en la matière et d’une assistance technique, l’entreprise réalisatrice a recouru à des matériaux non conformes à la roche d’origine, comme le ciment, les barres de fer et le crépissage sur fond noble pour restituer les colonnes et les chapiteaux de l’Arc de Triomphe.

Des efforts à rationaliser

Le ministère de la Culture, qui avait fait confiance et engagé le bureau d’études et l’entreprise, a fini par mettre fin au massacre et depuis lors, les choses sont restées telles quelles. Lors d’une séance plénière, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, en réponse à une question d’un député de Tébessa, Zineddine Ben Medakhen, relative à la dégradation du patrimoine archéologique à Tébessa, a indiqué qu’un projet de décret était au niveau du secrétariat du gouvernement et toute les mesures étaient prises pour protéger ces monuments archéologiques. Par ailleurs, la wilaya a bénéficié d’un fonds entrant dans le cadre du programme des Hauts-Plateaux pour la sauvegarde des monuments qui s’y trouvent et de onze projets d’étude pour la restauration de la porte de Constantine, celle de Caracalla et l’huilerie de Berzguen. Amen ! Il ne reste qu’à espérer que ces projets arrivent à terme avec des résultats satisfaisants. Au même titre, une enveloppe de 30 millions de dinars a été octroyée à la wilaya pour la création de trois zones d’extension touristique (ZET). Un programme comprenant la restauration du village séculaire de Négrine, à 120 km au sud du chef-lieu. Sur place, l’Office national de gestion et de protection du patrimoine a pris les choses en main, en remplacement de la circonscription archéologique. Un changement d’organisation destiné à stimuler ces services chargés de tout ce qui est en relation avec le patrimoine archéologique. A Tébessa, l’office est désormais dirigé par une universitaire, de surcroît diplômée en archéologie. Installée depuis plus d’une année, Mme H. Zerrouki, que nous avons rencontrée dans son bureau, situé au Temple de Minerve — privé de lumière par Sonelgaz, faute de paiement —, veille sur un organisme, qui visiblement peine à s’imposer. La tâche est loin d’être aisée, notamment par manque de moyens et surtout absence de collaboration avec les autres services. L’office ne dispose, en effet, que de 18 gardiens répartis à travers l’ensemble des sites et qui plus est, ces agents n’assurent pas le gardiennage de nuit. Notre visite à l’huilerie de Berzguen, qui a subi de graves dommages l’année dernière, nous a permis d’ailleurs de constater l’absence de gardiennage. La directrice affirme aussi avoir saisi les autorités (P/APC et directeur de la culture), afin de remédier au problème d’incendies quasi quotidiens dans la décharge sauvage installée à même la clôture de l’amphithéâtre romain, en vain. Mieux, la majorité des sites n’est pas répertoriée et ce n’est que maintenant qu’une timide opération de constitution d’un sommier du mobilier et de l’immobilier archéologiques est engagée. « Depuis L’Atlas archéologique de l’Algérie de Stéphane Gsell datant de 1912 (130 pages consacrées à Tébessa), il n’y a pas eu de mise à jour », avance-t-elle.

Y a-t-il une vie après Gsell ?

Les militaires ont été les premiers (1863) à engager des fouilles à Tébessa. La découverte, en 1944, de galeries souterraines, dans le sous-sol de la grande basilique chrétienne, pousseront M. Serré de Roch à poursuivre les fouilles. Les travaux feront face à d’énormes difficultés liées à l’obstruction volontaire des galeries. Ils apporteront, néanmoins, quelques réponses aux nombreuses questions, qui forment aujourd’hui encore un mystère à élucider. Des efforts dans le même sens sont déployés aujourd’hui par la société civile à travers l’association Minerve. En collaboration avec les spécialistes de l’association française Auras, un travail a été proposé sur le site de Besseriani, qui remonterait à l’époque du Ier siècle romain. En principe, un relevé topographique est indispensable pour donner suite à l’état des lieux, effectué avec les spécialistes d’Auras. La coopération a permis aussi une découverte dans la région de Negrine, et les deux mosaïques qui y ont été trouvées font l’objet de communications à l’étranger. Parmi les nouvelles curiosités archéologiques, la cité antique de Gastel se fait désirer, telle une caverne d’Ali Baba. Perdue au nord de Tébessa, dans un détour à quelques kilomètres de la commune de Aïn Zerga en allant vers le sud, la nécropole mégalithique de Gastel demeure jusque-là inconnue des Tébessis eux-mêmes, y compris par les préposés à la culture, en dépit du fait que la région, qui s’étendait au sahel tunisien, abritait plusieurs civilisations. Des fouilles préhistoriques ont été conduites par M. Reygasse dans les années 1930 et 1940, dans la nécropole mégalithique. Une douzaine de tombes ont été explorées ; elles ont fourni, en plus d’un riche mobilier funéraire ayant enrichi le musée de Tébessa, une série de squelettes intacts qui permettent d’étudier avec précision les rites ayant précédé leur inhumation. Ces découvertes invitent à l’actualisation des données et de toutes les recherches qui ont été effectuées pendant l’époque coloniale, pour faire sortir au grand jour les trésors encore enfouis. La ville d’or, ville aux cent portes, est l’antithèse physique de tous les reniements. Nourrie de la sagesse du temps et de tant de déferlements ethniques et civilisationnels, elle rêve d’accueillir, entre ses murs, les énergies et les compétences nécessaires pour réconcilier ses héritiers. Pour rendre à Thévest ce qui appartient à Thévest, la conscience nationale, et surtout officielle, doit au moins convaincre l’Unesco de la cataloguer comme patrimoine universel. De son côté, Tébessa doit opérer sa mue. Un développement qui passe par sa transformation en pôle touristique et culturel à travers la valorisation de son patrimoine. Seule une politique sage et une action gouvernementale intégrée et appropriée pourraient réussir un tel challenge historique.

Lakehal samir & Nouri Nesrouche

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Proposé par Karim Hadji