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«La soif n’a point de crépuscule et, dès qu’elle se fait sentir, il y a malaise, anxiété, et cette anxiété est affreuse quand on n’a pas l’espoir de se désaltérer.»
Brillat SavarinL’attrait du danger est au fond de toutes les grandes passions. Hocine en sait un bout, lui qui, à peine adolescent, s’était voué corps et âme au triomphe de l’idéal indépendantiste. C’est lui qui dans le feu de l’action, bravant les périls, avait eu cette réflexion ô combien édifiante : «Je ne veux pas que ma vie ait un sens pour moi, il faut qu’elle en ait pour autrui.» Ainsi était Hocine Lahouel, grande figure du nationalisme radical incarné par l’Etoile nord-africaine, le PPA, le PPA-MTLD et enfin le FLN.
«Pour avoir été longtemps son proche compagnon, je ne crois pas céder ici à la louange facile mais témoigner de sa foi, de son courage politique et de sa totale abnégation partout où ses responsabilités l’avaient requis. Par son patriotisme sans concession, ses vertus militantes et ses qualités humaines, il s’était en effet hissé au niveau des meilleurs, ceux qui avaient donné au PPA sa dimension et son souffle, qui avaient durablement enraciné sa crédibilité au sein des masses», confie le vieux militant Sid Ali Abdelhamid, 90 ans. Occulté par tous les régimes en place depuis 1962, Hocine a eu un écho disproportionné par rapport à son riche parcours de militant «sincère, libre comme le vent».
Deuxième personnage après Messali, Hocine a entièrement consacré sa vie à la libération de la patrie. Il activa au FLN et se retira de la politique bien avant l’indépendance — ce qui ne l’empêcha pas de rester fidèle à ses idéaux sans jamais verser dans la compromission. Lorsque la scission du PPA-MTLD était consommée au début de 1954, Lahouel, alors secrétaire général du parti, prit nettement ses distances avec le Zaïm pour devenir le chef de file des centralistes. En mars de la même année, il prit part à la naissance du CRUA, en étant également responsable de la revue Le Patriote. Le 25 octobre 1954, Lahouel, accompagné de M’hamed Yazid, fut chargé par le Comité central de se rendre au Caire pour négocier avec les officiels égyptiens l’aide à apporter à la Révolution algérienne. Mais Lahouel n’a jamais admis le rôle ambigu et plein d’arrière-pensées des services secrets égyptiens et de leur chef, Fethi Dib, qui n’avait choisi qu’un seul interlocuteur en la personne de Ben Bella.
Lahouel vint alors à critiquer ouvertement les agissements de Ben Bella et en fit part aux membres de la délégation extérieure. «Si vous êtes des révolutionnaires, la Révolution exige que les contacts avec les autres parties ne soient pas l’œuvre d’une personne mais de deux, de trois au moins. Ces contacts avec les parties ne doivent pas se limiter aux seuls services spéciaux.» Cette attitude courageuse valut à Hocine une mise à l’écart qui ne l’affectera pas outre mesure, puisqu’il fera savoir qu’il n’est pas avide de pouvoir en déclarant notamment : «Les responsabilités que j’ai dû assumer dans le cadre du Mouvement national m’ont été rigoureusement imposées. En 1930, nous avions un rêve à la dimension de l’histoire. Le rêve s’est réalisé 132 ans après.»
Son ami Benyoucef Benkhedda, avec qui il a cosigné aux côtés de Mohamed Kheiredine et Ferhat Abbas un appel contre l’autoritarisme de Boumediène en 1976, a dressé un portrait plein de reconnaissance de celui qui est né en 1917 à Skikda et qui a été profondément marqué dans sa tendre jeunesse par la guerre du Rif marocain, conduite par le héros Abdelkrim El Khatabi et par les fêtes du centenaire de l’occupation française de l’Algérie (1930). Élève au collège Luciani de Skikda, à 13 ans déjà il est convoqué par le commissaire de la ville pour ses «idées subversives». Sa famille quitte Skikda pour Alger en 1933, où Hocine fréquente le groupe de l’Etoile nord-africaine chez Hadj Smaïn, coiffeur à La Casbah, Ahmed Mezerna, traminot, Brahim Gherafa, épicier, Mestoul, serrurier, Hocine Mokri, taxieur...
Grâce à son dynamisme, Hocine est propulsé coordinateur des cellules et se trouve être le premier permanent du Parti, cadre salarié voué entièrement à l’action militante. Le 3 août 1937, il est arrêté et incarcéré à Serkadji et condamné par le tribunal d’Alger pour avoir réclamé l’indépendance de l’Algérie en vertu du décret Rainier. Libéré en août 1939, Hocine et ses camarades sont de nouveau harcelés au déclenchement de la Seconde Guerre. Hocine fera la connaissance de tous les camps de déportation du sud oranais. De là, il envoie des articles à L’Action algérienne, journal clandestin créé et animé par le groupe Taleb à Alger. Hocine est de nouveau poursuivi et condamné à 20 ans de travaux forcés. A l’annonce du verdict et avec son sourire narquois, Lahouel, debout, lance à l’adresse du juge : «Monsieur le président, je pense que d’ici-là la France sera partie !» On était à 17 ans de l’indépendance. Mais Lahouel est envoyé à la prison centrale de Lambèse, connue pour les rigueurs de son régime. Il en sortira à la faveur de l’amnistie générale, décrétée en avril 1946. Lahouel reprend sa place à la direction du PPA dissous depuis 1939. Ses divergences avec le Zaïm sont un secret de polichinelle. Hocine sera parmi ceux qui préconiseront la création de l’OS.
«Hocine, note Benkhedda, a marqué de son empreinte un des grands moments de l’histoire du Mouvement national. Trois traits de caractère dominent chez lui : le don de soi ; adolescent, il quitte les bancs du lycée de Skikda pour se lancer dans la bataille de la libération de la patrie ; le respect des principes, notamment le principe de la direction collégiale ; en 1946 au mois de novembre, le comité central du PPA avait décidé la participation aux élections à l’Assemblée nationale française. Lahouel s’y était opposé et il était le seul.» «Pourtant, poursuit Benkhedda, au cours de la campagne électorale, il laissa de côté son point de vue et ses sentiments personnels et défendit publiquement avec chaleur le point de vue de la majorité. L’union nationale était sa devise. Il était convaincu que, sans elle, l’indépendance était une chimère.»
Chergui Brahim, 88 ans, ancien moudjahid, a fait la connaissance de Lahouel en 1953 à l’époque où Brahim avait été désigné par le Parti au poste de chef de Wilaya de Constantine. «Hocine n’a jamais cessé de militer pour la cause nationale depuis les années trente. Hormis ses qualités de militant sérieux et organisé, il s’est toujours distingué par son don d’orateur brillant. Il a été arrêté à plusieurs reprises par les forces coloniales, condamné et interné dans les camps de concentration. Il apparaît comme un héros de la cause nationale aux côtés de Debaghine, Mezerna, Mostefaï, Sid Ali Abdelhamid, Asselah, Taleb, Chentouf... Il restera à jamais une figure marquante de la lutte de Libération nationale.» Réda Bestandji, 81 ans, doyen des Scouts musulmans, militant de la cause nationale, a connu Lahouel au lendemain des massacres de Mai 1945. «J’étais étudiant et il était l’un des principaux responsables du MTLD. Je le croisais souvent à la Place de Chartres au siège du Parti. Lorsqu’il y avait des réunions publiques ou des élections, il prenait la parole, et de quelle manière ! C’était un tribun, un orateur né. On sentait dans son discours enthousiaste le militant sincère et dévoué. Puis, je l’ai de nouveau revu chez un coiffeur à Alger, au milieu des années 1970. Je me souviens lui avoir fait le reproche de ne pas écrire ses mémoires comme le font ses semblables. Surtout lui, qui avait beaucoup à dire du fait des postes-clés qu’il a occupés. Je me rappelle très bien de sa réponse cinglante : ‘‘Le temps, m’avait-il rétorqué, n’est pas à la parole, mais à l’action’’.»
Lorsqu’il s’est élevé contre Boumediène, celui-ci en représailles l’a privé de son salaire, le plongeant dans le besoin, car il n’avait pas d’autres ressources. Lorsque j’ai évoqué son cas à Ben Bella, alors en résidence surveillée à Bologhine, l’ancien Président a proposé son aide à Lahouel. Mais je n’ai pas osé en faire part à Hocine, car je savais qu’il aurait refusé. «J’ai eu l’honneur et le plaisir d’assurer sa défense devant les magistrats et les juridictions répressives coloniales qu’il affrontait avec sérénité et parfois avec une ironie frisant le mépris», confie Me Amar Bentoumi, qui suggère que Lahouel «doit figurer en bonne place dans l’histoire de l’Algérie qu’il aima avec passion et qu’il ne cessa de servir en toutes circonstances contre vents et marées». «Un homme illustre, un grand fils de l’Algérie disparaît en 1995 dans l’anonymat le plus total. Quelle injustice ?», regrette le professeur et moudjahid Messaoud Djennas, qui est convaincu que l’histoire, ce grand juge implacable, est là et finira bien par restituer à chacun la part qui lui revient.
Dans le Manifeste de mars 1976, Hocine Lahouel, cosignataire aux côtés de Ben Khedda, Kheireddine et Ferhat Abbas, s’élève contre «le pouvoir personnel qui nous a conduit progressivement à la même condition de sujets sans liberté et sans dignité. Cette subordination est une insulte à la nature même de l’homme et de l’Algérien en particulier. Elle est une atteinte à sa personnalité. Les quatre vétérans de la lutte de libération appellent les Algériens à lutter afin d’élire par le peuple, librement consulté, une Assemblée nationale constituante et souveraine. De mettre fin au système totalitaire actuel et élever des barrières légales contre toute velléité de ce genre. D’établir les libertés d’expression et de pensée pour lesquelles le peuple algérien a tant combattu. D’œuvrer pour un Maghreb uni, islamique et fraternel».
Cet appel, dont un extrait ci-dessus a valu aux quatre signataires du document la mise en résidence surveillée, la nationalisation de leurs biens et suppression du salaire pour Lahouel, alors directeur d’une société nationale.
Né le 17 décembre 1917 à Skikda. Il rejoint l’Etoile nord-africaine alors qu’il effectue ses études au collège Luciani de Skikda. Désigné premier permanent de l’Etoile nord-africaine à Alger. Rédacteur du journal El Ouma, secrétaire du PPA. Emprisonné à plusieurs reprises. Il participe à la création de l’OS (Organisation Spéciale). Secrétaire général du MTLD, Lahouel est un des principaux leaders de la tendance centraliste qui livre bataille contre Messali. Il fonde La Nation algérienne. Au Caire, avant et après le 1er Novembre 1954, il engage des tractations avec le FLN qu’il rejoint en janvier 1955. Après une période de représentation du FLN dans les pays musulmans, il se retire de la scène politique et décline tous les postes proposés. Il est directeur d’une société nationale dès 1965. En mars 1976, il est cosignataire avec Ben Khedda, Abbas et Kheireddine d’un texte contre la politique de Houari Boumediène. Il décède le 8 avril 1995 dans la discrétion et est inhumé selon sa volonté dans sa ville natale, Skikda.