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Digest de la presse algérienne sur les questions de l'archéologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'écologie...
En novembre 2009, une véritable expédition s’était ébranlée vers le Tassili des Ajjer, digne des épopées archéologiques du début du XXe siècle que le cinéma a popularisées.
Elle comprenait quarante-cinq hommes et femmes, dont 15 chercheurs de différentes disciplines, des guides du Parc national du Tassili, une équipe de cuisiniers et une vingtaine d’âniers conduisant une cinquantaine de bêtes (voir Arts & Lettres du 21 novembre 2009). Dans les «chouari» de ces quadrupèdes, 500 kilos de matériel scientifique et technique dont du matériel sophistiqué en technologie de l’image, une valise solaire, un groupe électrogène, les vivres nécessaires, les réserves d’eau ainsi que les tentes et autres accessoires de vie. On comptait aussi un scanner 3D de relevé numérique pour reproduire en grandeur nature les parois les plus importantes pour le futur musée d’art rupestre d’Alger et le réseau de musées régionaux prévus dans le sud algérien.
Tout cela pour une ascension à 1000 m d’altitude de quatre heures seulement pour atteindre le plateau, puis une autre encore éprouvante et parfois dangeureuse, vers les lieux de recherches, au cœur du Tassili, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.
Cette «caravane du savoir» avait pour objectif de dater, de manière précise, un patrimoine composé de centaines de milliers de peintures et gravures qui valent au Tassili des Ajjer la réputation de «plus grand musée du monde à ciel ouvert». Etudiées depuis seulement les années cinquante, ces œuvres ont conservé une grande part de leur mystère. Des poteries parmi les plus anciennes au monde, trouvées sur les lieux, avaient permis de découvrir l’existence d’une civilisation vieille approximativement de 11 000 ans. Mais ces découvertes ne permettaient pas de conclure que les figures et motifs sur les parois rocheuses étaient de la même période et avaient été produits par les mêmes «artistes», voire par le même peuple.
Jusque-là donc, les amateurs d’art et d’histoire devaient se contenter d’hypothèses ou de thèses contradictoires, parfois même d’idées farfelues. Mais, dans la communauté scientifique, deux tendances se sont principalement forgées au fil du temps, et ce, depuis environ un siècle ! D’un côté, certains chercheurs tablent sur une chronologie de l’art rupestre du Tassili, longue d’au moins dix mille ans et, d’un autre, on trouve ceux qui estiment à sept mille ans maximum cette distance temporelle. Le gap est donc d’au moins trois millénaires, ce qui est déjà considérable en durée pure, mais l’est davantage encore en termes de compréhension de l’histoire cachée derrière ces figures dont tout le monde reconnaît et admire la qualité artistique, notamment des formes de représentations humaines, animales ou autres, légères, raffinées, épurées, au point même que certains spécialistes leur confèrent les caractéristiques de la peinture contemporaine.
Aussi, la campagne scientifique engagée sur le terrain, dans le cadre d’une coopération algéro-française, vise à balayer, sinon réduire, les approximations ou les errements de datation de cet art pour les positionner de manière précise, non seulement dans le temps, mais aussi dans ses significations. Car, si les chercheurs disposent de méthodes d’interprétation de ces images du lointain passé, il est sûr que leur «lecture» pourrait différer de manière peut-être radicale, selon qu’elles remontent à telle ou telle autre période.
Ce sont donc à d’immenses enjeux historiques que s’est attaquée l’équipe de recherche, menée par Malika Hachid, initiatrice et chef du projet, et de son binôme Jean-Loic Le Quellec, sommité de la profession. Trois éléments caractérisent cette «aventure scientifique».
Le premier est qu’il s’agit de la plus grande entreprise archéologique menée en Algérie depuis l’indépendance et sans doute auparavant. Le second réside dans l’utilisation de technologies ultra-modernes mises au service de la découverte et de la connaissance du patrimoine. Le troisième, enfin, porte sur le fait que la réussite de ce projet permettrait à l’Algérie de devenir le premier pays du Sud à réaliser une datation de son art pariétal, ce que les pays avancés, disposant d’un patrimoine similaire, n’ont pu réaliser que depuis une décennie environ.
Cet art, présent en Algérie en plusieurs endroits du grand Sahara et jusqu’aux contreforts de l’Atlas saharien, dispose donc de nombreux sites. Le choix du Tassili des Ajjer a été dicté par la grande diversité de traces que renferme cette région. On y trouve, en effet, toutes les périodes de cet art avec une concentration exceptionnelle d’œuvres, ce qui en fait une véritable et complète encyclopédie de l’art rupestre et offre ainsi, dans l’objectif précis de datation, des possibilités précieuses de comparaison. Deux méthodes ont été retenues. La première est la datation directe, ou la méthode radiométrique directe et absolue au moyen du Carbone 14 appliqué aux peintures et particulièrement à la matière qu’utilisaient les hommes de cette époque pour lier les pigments de couleurs, les faire adhérer aux parois rocheuses et, de plus, leur assurer une durabilité, ce qu’ils ont parfaitement réussi.
Ces matières étaient composées de graisses animales, d’albumine et d’autres éléments qui permettent une datation précise à condition de pouvoir isoler les éléments étrangers. Le projet a bénéficié de la possibilité d’utiliser les moyens les plus récents de datation directe par le Carbone SMA (spectrométrie de masse par accélérateur). Outre sa haute précision, il permet d’utiliser des prélèvements microscopiques et, ainsi, de ne pas altérer les œuvres.
La datation indirecte s’est appuyée sur l’analyse temporelle des parois rocheuses que les ancêtres du Tassili ont utilisées comme supports à leur art. Grâce à la technique de l’OSL (luminescence stimulée optiquement) – une première en Algérie –, les chercheurs peuvent remonter à la mémoire de ces parois qui a enregistré les événements climatiques du passé en les inscrivant par radiation naturelle. Par ailleurs, la datation indirecte s’appuie aussi sur la fouille archéologique classique des sols attenants aux parois décorées, à la recherche d’objets qui permettraient de situer la période d’occupation humaine des sites et d’effectuer des recoupements.
La campagne a fait l’objet d’une publication scientifique en 2010 dans la revue internationale Sahara (21/2010), publication annuelle créée en 1988 et consacrée à la préhistoire et l’histoire de cette région du monde (voir www.saharajournal.com). Ecrite par Malika Hachid, Jean-Loïc Le Quellec et quinze autres chercheurs ayant participé aux recherches de terrain, elle y fait le point et en dessine les perspectives. Plus de 30 pages de textes, de photos, schémas, etc., au langage parfois ardu pour un profane mais révélatrices de l’avancée du projet. La description minutieuse des travaux effectués, des techniques utilisées et de la méthode générale du chantier de fouilles montrent avec quelle attention l’équipe s’est attachée à ne laisser planer aucun doute sur son intervention. Il ressort de cette analyse passionnante que les études en laboratoire continuent encore à être menées avec une batterie impressionnante de méthodes et de procédures pour n’écarter aucune piste, même la plus infime possible.
Les difficultés rencontrées sont aussi clairement présentées, notamment du point de vue de l’isolation sur les échantillons prélevés, de la couche de peinture. L’équipe se méfie notamment des «risques de contamination par du carbone étranger» à la peinture qu’elle estime «importants». Comme annoncé avant la mission, «l’obtention des datations directes n’est aucunement garantie a priori». Aujourd’hui, en attendant que les laboratoires d’analyses épuisent toutes les ressources des datations directes, l’équipe semble sûre qu’elles «resteraient exceptionnelles et, le cas échéant, nécessiteront d’être éprouvées par l’étude détaillée du contexte archéologique». Celle-ci, en revanche, a franchi un pas considérable. La collecte a été si importante que l’on parle «d’un premier pas vers le classement archéologique des peintures de Tassili N'adjer». Le retraitement numérique des données de la documentation photographique a révélé des centaines de figurations inconnues, y compris sur «des panneaux comptant parmi les plus célèbres du plateau».
Cette documentation «sans précédent» ouvre des perspectives de révision quasi complète de ce que l’on savait sur cet art et notamment du style dit des Têtes Rondes. De plus, les recherches sur l’environnement immédiat des peintures ont permis de mieux comprendre leur nature, notamment à partir de la morphologie des sols qui a évolué au cours des millénaires. La trace des niveaux de sols disparus, du fait de l’érosion éolienne ou de la pluviosité et des écoulements conséquents a été pour la première fois identifiée et mesurée de manière précise. Les sols sur lesquels se tenaient les artistes rupestres pour peindre se trouvent «plusieurs mètres au-dessus de l’actuel».
Les vestiges des sols disparus présentent ainsi une opportunité passionnante de datation indirecte et une perspective de recherche désormais plus appuyée et tournée vers une «chronologie relative fiable des peintures en rapport avec l’historique climatique local révélé par l’étude des dépôts sédimentaires et les marques de remplissages successifs laissés sur les parois». Nos chercheurs appellent cela les «fantômes sédimentaires». La mission Tassili 2009 ne permet pour l’instant que de «placer la réalisation des peintures en style des Têtes Rondes typiques après la fin de la phase aride». Mais l’aventure continue et, tel un puzzle complexe, le Tassili finira par livrer ses secrets en gardant, nous l’espérons, une part de mystère.
Pourquoi ce nom ? Malika Hachid répond ainsi : «Parce que les êtres humains représentés ont le plus souvent une tête arrondie, parfois franchement discoïde, sans cou, où ni les traits de la face ni les cheveux ne sont figurés. Des visages anonymes où le regard est caché par une réserve, des faces muettes, mais d’une présence intense et presqu’envoûtante».
Elle ajoute qu’il est établi que ces Têtes Rondes sont des Noirs. Les images les plus anciennes des Têtes Rondes se trouvent dans les forêts de pierre du Tassili, sur la partie la plus élevée du plateau, notamment à Séfar où la mission Tassili 2009 a consacré une bonne partie de son travail. (Sources : Le Tassili des Ajjers de M. Hachid. Ed. Edif 2000 et Paris Méditerranée, 1998)
Les présentes recherches sur la datation de l’art rupestre du Tassili ont été rendues possibles par une mobilisation importante en Algérie et en France. Du côté algérien, sous la houlette du ministère de la Culture, on compte le Cnerpah (Centre national d’études et de recherche en préhistoire, anthropologie et histoire), et les Parcs nationaux du Tassili et de l’Ahaggar, ainsi que la contribution des institutions territoriales de la wilaya de Djanet.
Du côté français, on compte plusieurs structures rattachées au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement de Paris et des instituts ou centres spécialisés en physique appliquée à l’archéologie, étude des archéomatériaux, recherche et restauration des musées… Le choix d’une coopération avec les scientifiques français s’explique par leur avancée dans les recherches sur l’art rupestre, dans leur pays mais aussi dans le monde. Le projet «Tassili» entre dans un cadre plus vaste, objet d’un accord bilatéral en 2004 signé par les ministres des Affaires étrangères, et devrait s’étendre à l’Ahaggar et à l’Atlas saharien.