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DZ Digest Press

 

Digest de la presse algérienne sur les questions de l'archéologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'écologie...


Histoires d'arbres et de palmiers
Environnement : Plantations & Paysages

Après l'opération de plantation à travers le pays

Histoires d'arbres et de palmiers

in Liberté du Mardi 26 juin 2012

La RN90 A reliant l’autoroute Est-Ouest à Mostaganem a été regoudronnée et c’est une bonne chose. On a même planté des arbres, des frênes jeunes et frêles, et c’est encore louable car ces plants apporteront de l’ombre et embelliront le paysage, à condition de leur assurer la survie dans un environnement hostile à la chlorophylle.

Pourquoi donc planter des milliers d’arbres et dépenser des sommes importantes si on ne leur met pas un tuteur pour qu’ils tiennent droit et poussent sans encombre, et afin que les nombreux prédateurs, chèvres, vaches et moutons, ne les détruisent ? Planter un arbre est facile, assurer sa survie est une affaire plus complexe qui nécessite un suivi à longueur d’année. Moult campagnes de reboisement n’ont été que de la frime devant la télé… Oubliés à peine plantés, des milliers d’arbres n’ont pas résisté au vent, au soleil, aux chèvres. De même, les milliers de frênes mis des deux côtés de la route entre Sidi Khettab et Oued el- Kheir, sur des dizaines de kilomètres, sont livrés aux saccages et aux prédateurs, dans l’attente que la canicule les assèche complètement…

À Alger, des palmiers viennent d’être plantés au bord de la voie périphérique et le long de la Moutonnière. Était-il nécessaire de planter ces gigantesques monocotylédones dans un paysage qui avait peut-être besoin d’autre chose que ces mastodontes ? Ces palmiers gigantesques et rêches sont-ils adaptés au paysage algérois, à la finesse de son architecture ? Les palmiers fins et élégants de type syagrus n’étaient-ils pas mieux adaptés ? L’Algérie possède de nombreux paysagistes qui savent mieux que quiconque quels arbres sont les mieux adaptés pour tel ou tel endroit, telle ou telle ville, mais nos décideurs ne font jamais appel à eux. On se souvient des palmiers ramenés d’Espagne par M. Rahmani, alors Gouverneur d’Alger, et plantés près du port et sur le boulevard Mohammed V mais qui n’ont pas tous résisté. Puis en 2011, les Émiratis ont décroché un marché de plusieurs milliards pour nous réaliser un parc dans la région dite des Grands Vents : le fameux parc Dounia où on voit quelques palmiers étiques et quelques pins et peupliers jetés pêle-mêle dans un décor à faire hurler de rage le dernier des paysagistes… Les palmiers du parc Dounia ont été importés d’Italie, des washingtonias robusta, dont le coût varie entre 10 et 100 euros en France et 500 dirhams pièce (4 500 dinars) au Maroc. Mais n’aurait-il pas été plus simple de faire cette commande aux rares pépiniéristes algériens, histoire d’encourager la production nationale et de les inciter à planter pour l’avenir ? Au lieu de créer une pépinière, ce qui est une nécessité pour un parc, on préfère ramener des plants adultes à coups de pétrodollars. Voilà le nouveau filon de la “maffia du container” !

Durant la période coloniale, plusieurs espèces de palmiers décoratifs faciles à faire proliférer ont été introduits comme arbres décoratifs ou d’alignement : le palmier syagrus (visible au parc de la Liberté, ex-parc de Galland d’Alger), dont les fruits charnus et sucrés étaient appréciés des enfants, le phœnix canariensis, le palmier arecastrum romanzoffianum et même la très belle espèce locale, le chamaerops humilis. Au lieu de ces plants adaptés au Nord, on a ramené des espèces que la rumeur a dit importées d’Espagne et visibles tout au long de certains tronçons routiers (RN 11, Tafourah…) ou autoroutiers comme celui menant d’Alger vers Bab Ezzouar. Selon le site skyscrapercity.com, qui cite une source de l’Unité paysagiste et espaces verts (UPEV) d’Alger chargée du projet, ces immenses palmiers ont été ramenés de Biskra. Le chef de projet, quant à lui, est un… Espagnol ! Jamais de projet 100% algérien, comme s’il manquait des ingénieurs agronomes ou des paysagistes nationaux ! On ne comprend pas non plus pourquoi l’embellissement de la capitale doit se faire à coups de palmiers adultes de quatre mètres de haut et que ce n’est qu’à la veille d’un cinquantième anniversaire que l’on se soucie des plantes et des trottoirs. Fallait-il attendre plus de trente ans pour mettre des arbres au milieu d’une rocade qui date de l’époque de Chadli Bendjedid ? Au lieu des habituels palmiers des Canaries, des élégants syagrus ou des espèces adaptées au nord du pays, on ramène des palmiers mastodontes au prix de 70 000 DA l’unité (chiffre donné par le wali d’Alger), sans parler du coût total de l’opération, bulldozers et chef de projet espagnol inclus. Énième image surréaliste d’une Algérie qui dépense non pas pour compenser quelques lacunes de gestion mais une absence totale de morale. Faute de planter de jeunes arbres en utilisant des pioches et des pelles, l’Algérie préfère planter de gros spécimens en utilisant des grues ! La recette des gros arbres inventée par M. Rahmani est en train de faire des émules.

Arbres d’un kiosque à musique ou d’un stade…

L’importation de palmiers, voilà une aubaine “mercantile” dès lors que les communes n’ont plus de pépinières, alors qu’autrefois chaque ville avait la sienne. Il est étonnant que nos décideurs, qui peuvent créer des pépinières dignes de ce nom, ne le fassent pas et se contentent d’importer. Il est également étonnant que ceux qui sacrifient des arbres de par ailleurs puissent les introduire à coups de campagnes de reboisement et d’embellissement à des coûts faramineux. En 2007, un arrachage de palmiers sur l’axe de l’autoroute est-ouest a peiné des riverains… Et en 2011, des moudjahidate (Djamila Bouhired, Fetouma Ouzegane, Louisette Ighil Ahriz, Zoulikha Bekadour, Malika Ousliha et Louisa Ouzarene) se sont solidarisées avec les habitants de la cité Bois des Pins (Hydra) contre la construction d'un parking automobile en lieu et place de leur parc. La police a chargé contre les défenseurs de la petite pinède saccagée !

Le combat du béton contre les arbres est celui du pot de terre contre le pot de fer, en Algérie comme ailleurs. Abandonnés sont les frênes des à-côtés de nos routes nationales et secondaires. Cette essence locale est connue parce que c’est à l’ombre d’un frêne que les chefs algériens ont fait, à Mascara, leur moubaya’a à l’Émir Abdelkader. À cet arbre emblématique de la famille des oléacées, la Poste a d’ailleurs consacré un timbre de philatélie. La DTP, quant à elle, laisse cette espèce vieillir et pourrir, alors que les routes et les avenues qui en sont bordées sont si belles. Et même les services qui sont censés protéger le patrimoine arboré le livrent à des marchands de bois : récemment, des centaines de frênes et d’eucalyptus dans la wilaya de Tipasa ont été décapités à la scie électrique ! Sur ces très belles routes, autrefois ombragées, se dressent désormais d’énormes troncs sans branches qui ne servent à rien. Des arbres manchots, des arbres qui ne donnent pas d’ombre ! Le lien de notre peuple avec la nature remonte pourtant à des millénaires... Lorsque les services concernés plantent des arbres d’alignement, ils les laissent pousser anarchiquement, sans suivi, et souvent sans une goutte d’eau. Tant pis s’ils meurent ou si, au lieu de devenir des éléments de décor et des pourvoyeurs d’ombre, ils se transforment en obstacles qui gênent la circulation sur des trottoirs déjà encombrés par toutes sortes de marchandises de commerçants squatteurs d’espaces publics… Dans nos villes, au lieu de vous céder le passage et vous procurer de l’ombre, certains arbres vous griffent, vous giflent…

La plupart des communes n’ont plus de jardiniers, alors bonjour les dégâts, même lorsqu’il s’agit de tailler des ficus retusa nitida dans la Mitidja ou ailleurs ! On met une scie entre les mains d’un apprenti et tant pis s’il décime au lieu d’arranger, s’il décapite au lieu d’émonder ! La topiaire, cette sculpture des arbres, est un massacre chez nous. À Alger, sur les rues Didouche et Ben M’hidi, vous avez vu comment les ficus sont tordus ? Malingres, malades, hirsutes, avec des branches qui vont dans tous les sens. Près du Palais du Peuple, de jeunes plants obligent les gens de grande taille à se courber ! Car cela fait des lustres que les vrais jardiniers ont abandonné leurs outils à des apprentis qui donnent l’impression de sabrer avec des coupe-coupe dans une jungle au lieu de tailler avec la délicatesse de la topiaire nécessaire à la survie des arbres, à leur entretien et esthétique… Malingres et tordus sont nos arbres, en forme de S, de V ou de W, plantés en double et triple, alors qu’un arbre doit être un beau Y qui ne gêne pas la circulation, sous lequel passent les hommes de toutes les tailles, pas uniquement ceux qui sont proches du sol. Sur un trottoir, un arbre doit être taillé et entretenu quelques années durant pour qu’il croisse et se développe jusqu’à ce que l’embranchement permette le passage des piétons de toutes les tailles. Le choix d’un arbre relève d’une stratégie urbanistique, écologique, esthétique élaborée par un paysagiste, sinon un jardinier ou un ingénieur agronome de goût, comme c’est le cas dans tous les pays du monde, en France, en Angleterre et comme ce fut le cas chez nous durant la période coloniale. Pour les besoins décoratifs des jardins et des routes, des espaces publics ou privés, les colons ont utilisé de nombreuses essences locales dont le frêne, l’olivier, le caroubier, le chêne, le pin… Ils ont aussi rapporté des dizaines d’essences étrangères pour les différents besoins décoratifs, forestiers, agricoles ou de terrassement : arbousiers, micocouliers, jujubiers, faux poivriers, eucalyptus, platanes, thuyas, ormes, cyprès… Ah, ces belles villes d’antan dont le clocher et le minaret étaient dominés par un immense araucaria dont les pommes renferment de succulents fruits secs !

Arbres majestueux de nos villes…

À Blida, de beaux bigaradiers bordent la rue qui mène à la place des Mûriers, avec son bal colonial entouré de bâtiments. Rapporté d’Amérique du Sud, le belombra (ou bella sombra, phytolacca dioica) possède une forme bossue et trapue qui donne au lieu qu’il agrémente une note surréaliste qui stimule l’imagination et la curiosité : on le trouve à Alger, près du stade de Bab El-Oued, et à Cherchell, en face du musée. Les belombras nécessitant trop d’espace, alors les paysagistes leur ont préféré le ficus, le savonnier (sapindus ou arbre à savon), l’érable, le magnifique pseudoacacia Frisia à grappes fleuries jaunes ou blanches visible à Tipasa et à Hadjout, le melia, le lila des Indes, le majestueux albizia dont les fleurs ressemblent à des papillons... Des agaves agrémentent les bords des voies de chemin de fer, entre Aïn Defla et Chlef, sans que la SNTF se soucie de compléter le tableau à l’échelle nationale… Beaucoup de ces plantes ont été ramenées d’Extrême-Orient et d’autres, rapportées d’Australie ou d’ailleurs, drageonniez, casuarina et autres essences, pour faire de l’Algérie une terre bénie de la botanique, un immense laboratoire de croisements et d’essais réalisés par des ingénieurs infatigables et passionnés. À Annaba, ces jardiniers, paysagistes, ingénieurs et techniciens ont aimé les mûriers dont les enfants vendent de gros cornets de mûres au bord de la route en cette saison… Jujubiers, mûriers et même oliviers ont été utilisés comme arbres d’alignement qui offrent aussi leurs fruits sucrés aux oiseaux pour qu’ils puissent subsister sans toucher aux récoltes. L’agriculteur tout comme le paysagiste des travaux publics est supposé prendre soin de la nature et même des animaux comme une condition obligatoire pour permettre à l’homme d’en bénéficier. Cette leçon de sagesse s’est perdue, alors les champs comme les villes sont livrés à la prédation. Une expérience immense a été jetée aux oubliettes, méprisée, et même nos universités et nos instituts agricoles n’ont parfois pas de pépinière alors que même les écoles d’antan en avaient.

Dans toutes les villes et tous les villages, il y avait, le long des rues, près d’un kiosque à musique, autour de la place, d’un stade, d’une piscine, d’un boulodrome ou d’une gare, partout, des arbres rapportés du monde entier pour faire le bien-être des citoyens. Et ce n’est pas là de la nostalgie pour une époque condamnable. Créé en 1837, le Jardin d’essais et d’acclimatation des plantes d’Alger a servi de référence pour la création de nombreux jardins botaniques et de pépinières à travers le territoire national. Même les façades des maisons et des jardins privés ont été décorées avec des espèces aux fleurs éclatantes, jasmin, bougainvillées, acanthe, rosiers, chèvrefeuille, galants de nuit… Couleurs et senteurs de la douceur de vivre… L’homme est intimement lié à la nature et s’il y a défaillance, le désordre partout s’installe. Autrefois, les maisons coloniales disposaient de jardins entourés de lierre, de rosiers ou d’autres plantes décoratives. Aucun de ces jardins ne subsiste, à de très rares exceptions près, leurs espaces ayant été livrés au béton des commerces qui poussent comme herbes folles. Quant aux villas qui se construisent actuellement, ce sont d’immenses boîtes en béton sans jardin ni même un lierre, ne parlons pas de glycines, au mépris du plan de construction, au vu et au su des autorités.

L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui ne possède pas de pépinière digne de ce nom, alors que la Tunisie voisine a l’une des plus grandes pépinières du monde. Arbres majestueux de nos villes, que serez-vous demain puisqu’il n’y a pas de jeunes pousses pour vous remplacer ? À ce rythme, il est facile d’imaginez nos villes en l’an 2140 : trottoirs sans arbres ou à arbres chétifs et mal foutus. Attila sera passé par là…  

Les routes et les villes de France comptent parmi les plus belles du monde car elles sont bordées et agrémentées d’arbres, qui servent aussi à retenir les sols, à absorber le dioxyde de carbone, à purifier l'air... Chez nous, on plante des arbres comme on jette des détritus au bord des routes… L’exemple de l’autoroute Est-Ouest est des plus éloquents : acacia, mimosa et laurier-rose dominent aux abords, sur des centaines de kilomètres ! Plantes des fainéants, qui ne nécessitent ni eau ni entretien. Même en zones rurales, la nature est abandonnée ; et l’anarchie, visible de loin, ponctuée par des pylônes hideux et des carcasses d’habitations inachevées… Les fermes sont devenues difformes et anarchiques, sans personnalité ni esthétique. Des brise-vent de la Mitidja, Chlef, Aïn Defla, Relizane, Mascara et d’ailleurs, il ne reste presque rien, les plants qui meurent n’étant jamais remplacés… Car les pépinières communales qui existent encore sont étiques. Si l’on se soucie peu des villes, que dire des campagnes !

À Dély-Ibrahim, l’on vient de planter des ficus retusa nitida : une belle chose, à condition qu’ils soient irrigués et entretenus. Sur les bords des routes, les arbres décoratifs ne sont ni essartés ni émondés. Les troncs morts restent en place, et les branches pourries, en suspens sur les têtes en attendant de s’écraser au milieu d’une route. Au lieu de tailler les arbres et de supprimer les souches mortes, les services de la DTP se contentent d’arracher impitoyablement les herbes sauvages alors que ces plantes ne gênent personne, voire qu’elles sont utiles au maintien du sol et contre l’envasement des fossés.

Que ne plante-t-on pas du gazon ou des plantes à fleurs à la place de ces herbes sauvages honnies ? M. Ghoul a inventé ce service surréaliste d’agents décapeurs de sol qui, de temps en temps, pour faire vite, mettent le feu, qui prend là où il ne faut pas : insouciants, ils partent en laissant derrière eux des arbres calcinés ! Combien d’arbres ont été ainsi brûlés sur les bords de nos voies ! Gros budget à l’appui, les DTP font construire un peu partout des fossés en béton alors qu’un fossé de drainage n’a pas besoin d’être cimenté mais entretenu et débouché pour permettre la circulation de l’eau en cas d’intempéries. L’hiver venu, l’on constate alors les dégâts : des voies inondées bien que des milliards aient été jetés dans le bétonnage inutile de fossés qu’on aura laissé s’envaser !

La “maffia du ciment” invente de faux projets…

En Algérie, le patrimoine arboré n’a jamais fait l’objet d’un inventaire, alors qu’en France, par exemple, chaque arbre d’alignement ou de décoration est doté d'une fiche d'identité informatique qui regroupe plus de 20 données. Depuis l’indépendance, les remplacements d’arbres sont extrêmement rares dans notre pays, que ce soit en zone urbaine ou en bordure des routes, comme ne sont d’ailleurs pas remplacées les bornes kilométriques et hectométriques, et même les plaques indiquant les zones urbaines et les cours d’eau. Ainsi donc, les campagnes budgétivores lors de la “journée de l’arbre” et autres 5 juillet traduisent une faillite, car l’arbre, l’entretien et l’embellissement doivent être des opérations permanentes, avec des agents perpétuellement actifs, et non pas des événements poudre aux yeux.

Lorsqu’un pays ne sait plus planter des arbres, que reste-t-il ? En 1974, l’Algérie a commencé à réaliser un immense projet, le Barrage vert, et l’a ensuite abandonné ! Si le projet n’avait pas été interrompu, l’avancée du désert aurait été contenue et la richesse forestière du pays serait immense aujourd’hui. Sur les trois millions d'hectares qui devaient être boisés, il n’y eut que 160 000 de réalisés. C’est peut-être de là que vient la malédiction… La malédiction du Barrage vert ! Voilà pourquoi notre pays n’a pas la main verte ! “L’Algérien est l’ami de l’arbre”, disait une pub…

Ali El Hadj Tahar

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Proposé par Karim Hadji