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DZ Digest Press

 

Digest de la presse algérienne sur les questions de l'archéologie, de l'histoire, de l'environnement et de l'écologie...


Sites du Djurdjura
Des pays & des Cités

Le tourisme de montagne demeure une activité marginale en Algérie

Deux sites naturels méconnus sur le Djurdjura

in Le Jour d'Algérie du Dimanche 16 mars 2008

La montagne du Djurdjura fait partie du grand ensemble du massif kabyle désigné par les romains sous le nom de Mons Ferratus qui englobait aussi la chaîne des Bibans. La crête du Djurdjura, au sens stricto sensu de la géomorphologie, se déroule sur environ 70 km de longueur, depuis les hauteurs de Lakhdaria-Draâ El Mizan jusqu’au massif de l’Akfadou où elle s’abaisse vers la mer.

Au sens du système montagneux alpin, de par sa géologie, ses altitudes et ses pentes, la croupe de la montagne occupe une longueur d’ouest en est de 50 km et une largeur d’environ 9 km. La colonne vertébrale de la géomorphologie kabyle est, sans conteste, la chaîne du Djurdjura, repère par rapport auquel tout le reste est situé, positionné ou nommé.

Dans son roman «La Terre et le sang», Mouloud Feraoun décrit cette crête comme un «squelette de dinosaure». Ce tableau est particulièrement vrai quand on l’observe à partir des versants sud. La queue de ce «reptile» serait la ligne allant en pente douce de Tizi Larbaâ à Tizi n’Djaâboub, ses «vertèbres dorsales et lombaires» seraient les massifs de Haïzer et Lalla Khedidja, et sa tête se situerait à Azerou n-T’hor orientée vers le nord.

Les sites naturels offerts par le Djurdjura pour les visiteurs sont nombreux. Ils sont généralement l’œuvre d’un travail géologique à l’échelle des millions d’années. Crevasses, grottes, avens, gouffres, aiguilles, magiques pelouses, rivières souterraines sortant en eau de résurgence, et tant d’autres monuments que la nature, dans son immense générosité et dans son indescriptible complexité, offre aux hommes. Cependant, il se trouve que, parce que non valorisés par des infrastructures d’accès ou de tourisme, ces sites sont restés presque dans l’anonymat. Seuls quelques guides touristiques les signalent sans grand espoir de créer une grande affluence vers des points que seuls assoiffés des curiosités de la nature ou de la vie «monacale» savent réellement atteindre. Nous nous arrêterons sur deux grands sites – parmi les dizaines que compte la Djurdjura – pour en faire une description succincte.

La Grotte du Macchabée

Du haut d’Ighil n’Sebt (1 232 m d’altitude), dans la région de Aïn El Hammam, nous avons une vue sur un bel arc du Djurdjura allant des escarpements de Tabbourt El Aïncer, qui surplombent Boghni, jusqu’à Azrou n’Thor.

La direction sud-ouest du regard tombe immanquablement sur la façade d’Azrou n’Tidjer, une muraille dressée au-dessus du cours de l’Oued Djemaâ, principal affluent de l’Oued Aïssi. La façade porte, comme des grains de beauté, deux petits cercles buissonnants accrochés à angle droit.

Une petite ouverture, sous forme de sourcil bien arqué, se devine sur la partie gauche de la muraille. C’est l’ouverture de la mythique Grotte du Macchabée dont nous ne connaîtrons les véritables dimensions qu’une fois parvenus sur les lieux.

Il faut alors se résoudre à ce voyage qui peut prendre 20 à 30 minutes en voiture sur la RN 15 jusqu’au carrefour de Tizi Ldjamaâ. De là, on bifurque à droite pour parvenir, au bout d’environ un kilomètre, à un grand sentier qui chemine sensiblement au pied de la grande muraille.

Un raidillon aux formes fuyantes, tracé dans la paroi même de la façade d’Azrou n’Tidjer, prend naissance à équidistance entre les deux extrémités de la largeur de la masse imposante de la muraille.

Le petit sentier monte verticalement ; les pas des visiteurs ont fini par y tracer de petites marches. Les jambes commencent à faire des ratés au bout d’une dizaine de minutes. On zigzague, on glisse sur de petits cailloux rondelets ou acérés et, dans un élan de courage bien nécessaire, on reprend ses forces en les projetant sur le restant du parcours à escalader.

Pendant la colonisation, l’itinéraire vertical qui mène à la grotte était doté d’une corde d’ascension passée entre des pitons profondément fichés dans le roc. Certains de ces pitons sont toujours là, mais le reste s’est tout simplement volatilisé.

Après une escalade qui aura duré en moyenne une demi-heure, l’on aborde une petite plateforme située en avant de la porte d’entrée. Nous sommes à 1 472 m d’altitude sous le géant portique qui annonce l’entrée de la grotte, une entrée haute de pas moins de cinq mètres. Un chemin large et rocailleux pénètre dans les profondeurs ténébreuses. Ses parois sont marquées de flèches à la peinture pour indiquer la direction à suivre pour arriver au macchabée qui gît au fond de la grotte. A fil du temps, de mauvais plaisantins ont multiplié les flèches jusqu’à faire perdre son chemin au visiteur profane. L’importance de ces indications va se révéler au premier carrefour ; là, des chemins multiples sous forme de boyaux sont «proposés» au convive du monde souterrain.

Il faut non seulement être accompagné par un connaisseur, mais il importe aussi d’avoir sur soi des bougies et des allumettes pour baliser son itinéraire par des lumignons fixés à la paroi de la grotte et espacés de façon à ce que, à partir d’une balise, on puisse voir la suivante.

Entrée de la grotte du MacchabéeEntrée de la grotte du Macchabée

L’architecture des stalactites et stalagmites est d’un spectacle saisissant. De longs et effilés appendices rocheux pendent du toit de la grotte en laissant tomber des gouttes d’eau fraîche avec un rythme de métronome. Des vasques et marmites ciselées par le travail inexorable de l’érosion qui a duré des millions d’années ornent le parterre rocailleux. Un silence religieux règne dans le «hall». Un simple soupir ou une légère toux du spéléologue amateur sont amplifiés d’une mystérieuse façon en échos saccadés et qui s’éteignent graduellement à la porte d’entrée.

Au bout de deux cents mètres environ, le chemin se rétrécit d’une façon incompréhensible. Des blocs de pierres solidairement emboîtés s’accrochent au toit et forment une cloison presque infranchissable. On a l’impression que le parcours prend fin et qu’il ne reste comme ultime solution que de rebrousser chemin en se faisant guider par les lumignons qu’on a fixés derrière soi. Il n’y a qu’un habitué des lieux qui peut vous apprendre que votre chemin ne vous a encore rien révélé des secrets, ou plutôt du Secret qui a motivé votre déplacement. Le froid permanent de ce monde intérieur pénètre insidieusement dans les os au moment où l’on se met à réfléchir à la manière de continuer son aventure.

En s’approchant nettement de la cloison pierreuse, on s’aperçoit subitement et comme par enchantement qu’un halo de lumière recouvre l’autre compartiment en avant auquel on n’a pas pu encore accéder. C’est une menue brèche oblongue dans le sens horizontal qui donne accès à cette zone pénétrée par la lumière du jour. La surprise est de taille et la curiosité s’aiguise d’une façon irrépressible. D’où peut provenir la lumière du jour ? Les boyaux de la grotte transpercent-ils le roc de la montagne au point de donner sur l’autre versant ? Le mystère reste complet tant que l’on n’a pas gagné le compartiment tant convoité. Et comment faudra-t-il s’y prendre ?

L’unique solution à laquelle sont réduits tous les visiteurs de ces entrailles de la terre est de se présenter par les pieds en se couchant sur le dos ou à plat ventre ; puis, on laisse glisser son corps de proche en proche sur une dalle obliquement incrustée jusqu’à sentir les pieds se reposer doucement sur le sol du nouveau compartiment. On relève la tête enfin, et une aveuglante lumière vient agresser les yeux, lumière blanche du jour qui pénètre d’un trou circulaire au-dessus du parquet.

Une lumière qui «pleut» et qui guide l’invité des abysses dans ses dernières pérégrinations.

Quelques dizaines de mètres plus loin, on tombe droit devant un grillage de fil métallique recouvrant un cadavre à moitié dépecé. Un cadavre qui garde l’essentiel de sa peau mais à qui on a volé une partie des membres. Le froid permanent de la grotte a, en quelque sorte «momifié» le macchabée.

Chacun a sa version quant à l’histoire de cet homme qui a fini sa course dans le ventre de la terre et qui a vu sa dépouille couronner d’un destin peu commun. On raconte, entre autres, que c’était un berger qui aurait subi une chute à partir du trou ou pénètre la lumière du jour dans la grotte. Blessé, il aurait traîné son corps jusqu’au fond de la cave dans laquelle il repose depuis plus d’un siècle.

A la sortie de la grotte où l’on regarde de face le panorama qui s’ouvre sur l’oued Djemaâ, on est pris d’un vertige au sens propre du mot. Peu de visiteurs pourraient soutenir un tel exercice d’équilibre où l’on a l’impression que l’on regarde à partir du toit d’un avion ! Tizi Oumalou, Ichellibène, Aourir Ouzemmour, Akaouadj, Aït Mislayène, Aït Laâziz, Aït Khelifa, sont autant de villages qui sertissent les collines et les buttes, les vallons et dépressions des aârchs d’Abi Youcef et Akbil .

Au pied d’Azrou n’Tidjer, prend naissance une source limpide et glacée qui déverse ses eaux dans l’oued Djemaâ. Ce dernier alimente à son tour le nouveau barrage de Taksebt, dans la banlieue de Tizi Ouzou.

Un lac d’altitude : le Tamda Ugelmim

Parmi les sites les plus curieux mais qui n’ont pas connu une promotion particulière sur le plan médiatique, le lac Goulmim est certainement celui qui mérite une attention et un intérêt accrus de la part d’éventuels visiteurs, amis de la nature ou âmes gagnées par l’angoisse existentielle.

Un lac sur un sommet de montagne, ce n’est certainement pas ce qu’il y a de plus courant en Algérie et même de par le monde.

Situé à califourchon entre la wilaya de Bouira et la wilaya de Tizi Ouzou, ce monument de la nature appartient réellement au bassin versant d’Assif Assouki , qui passe en contrebas d’Agouni Gueghrane. Il trône à 1 660 m d’altitude avec une cuvette d’environ quatre hectares. C’est une dépression limitée par trois sommets assis sur des lignes de partage des eaux : Tizi n’Cennad, à l’est (1 950 m), Tizi Taboualt, à l’ouest (1 900 m) et Tizi Goulmim, au sud (2 000 m).

La dépression de Tamda Ugelmim résulte d’un travail géologique fort complexe associant les mouvements de la dynamique interne de la terre (orogenèse et plissements) et les phénomènes karstiques propres aux reliefs calcaires faisant intervenir un processus chimique.

Le lac GoulminLe lac Goulmin

La cuvette semi-fermée du lac s’ouvre légèrement vers le nord pour laisser le trop plein d’eau se déverser dans Assif Assouki. C’est une plateforme dont les limites sont des falaises qui dessinent une véritable reculée. Spacieuse, pittoresque et envoûtante, cette place est, en été, la destination privilégiée des jeunes d’Ath R’Guène, des Ath Bouadou et des autres villages du piémont pour un bivouac naturel ou pour une partie de football.

Le pèlerinage et les randonnées commencent généralement au début de l’été lorsque les grosses congères auront fondu. Il ne reste alors que de petits amas de neige lovés dans les recoins et les échancrures du site. Pour s’y rendre, les jeunes d’Aït El Mansour, Aït Djamaâ, Aït Khalfa, Ibadissen,…doivent emprunter des chemins pédestres, montueux, cahoteux et éreintants. C’est une petite partie d’alpinisme avant d’accéder à la plaine sacrée de la haute montagne qui nous hèle à partir de son balcon perché à presque 1 700 m d’altitude.

Les bivouacs qui s’organisent sur ces lieux s’étalent sur plusieurs jours. Pauvre est certainement celui qui n’a pas pris part à l’une de ces agapes où l’on égorge et rôtit un chevreau offert par un berger. Le pauvre cabri s’est renversé d’une falaise, fait le tonneau et sortit avec plusieurs fractures. Pour ne pas perdre gratuitement la bête, le berger l’offre volontiers aux randonneurs et vacanciers qui, dans une liesse collective, n’en font qu’une bouchée.

Le seul accès plus ou moins viabilisé vers le lac Goulmim est la piste qui vient de Tikjda, dans le territoire de la wilaya de Bouira. Cette vieille piste tortueuse et fortement rocailleuse prend naissance à l’extrémité ouest de la forêt de Tigounatine, en amont de Assif n’Tinzer. Elle dessine des angles aigus en fer à cheval que seul un véhicule tout terrain peut franchir avec, bien sûr, la gymnastique d’usage.

Nous sommes à Tizi Boualma (appelée aussi Tizi Timedouine), à 1 700 m d’altitude. Le chemin monte jusqu’à Tizi n’Tit n’Tserdount («col de l’œil de la mule»), à l’ombre d’un pic de 2 126 m d’altitude. Ici, c’est un chemin pédestre qui évite les contorsions de la piste qui passe par Tizi n’Cennad. Arrivés à hauteur du lac, nous sommes happés par un saisissement presque surnaturel à la vue d’un panorama qui n’a pas son égal ailleurs.

La fente nord de la dépression par où s’échappent les eaux excédentaires s’offre à la vue comme un véritable belvédère qui ouvre le champ sur la perle des villages du piémont et des vallées : Agouni Gueghrane, à l’est, jusqu’à Aït Djemaâ et Thakharradjit, à l’ouest.

En l’absence de bergers et de visiteurs, l’oreille du solitaire devient hypersensible à cette brise permanente, parfois atone et d’autres fois sifflante, qui se faufile entre les rocs, pénètre dans les anfractuosités et les méandres des talwegs descendants, caresse les pitons et les quelques houppiers ballants de cèdre disséminés à l’horizon. La brise finit par se perdre dans les hauteurs éthérées pour être relayée, sur les pelouses avoisinantes, par les beuglements de vaches et de bœufs sortis de quelque monticule ou vallon où ils paissaient dans un silence religieux.

Du temps où s’organisaient les randonnées pédestres sous la conduite des agents du Parc du Djurdjura, et particulièrement de feu Mustapha Muller, le lac Goulmim faisait partie de l’itinéraire sacré qui mène de Tala Guilef (sur les hauteurs de Boghni) à Tikjda (dans la wilaya de Bouira). La marche était promise à une durée moyenne de quatre heures sous la conduite vigilante et les explications précieuses de Muller.

Mustapha Muller, un autrichien qui a choisi comme patrie l’Algérie depuis la guerre de Libération nationale, travaillait au Parc du Djurdjura. Ensuite, il a été nommé au Parc du Tassili-Ahaggar. Mort au milieu des années 1990, il a choisi d’être enterré à Tamanrasset.

Saâd Taferka

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Proposé par Karim Hadji