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Guerre politico-militaire. La primauté du militaire sur la politique
Repères historiques

Guerre de libération

La primauté du militaire sur la politique.
Les cent jours des « Dix »

in El Watan du dimanche 27 janvier 2008

Non loin de Taher, plus précisément à Oued Asker, au cœur du massif des Babors, dans ce qui fut la Wilaya II historique, entre le 6 et le 12 décembre 1958, se réunissaient, à la demande du colonel de la Wilaya III, Amirouche, les responsables des Wilayas I, Hadj Lakhdar (Aurès-Nemenchas), IV Si M’hamed (Centre), VI, Si El Haouès (Sud).

Étaient absentes les Wilayas II, Ali Kafi (Nord-constantinois) et V, Lotfi (Oranie et Sud-Ouest). Une attitude, en apparence pour le moins paradoxale de la Wilaya II, puisque ce rassemblement des chefs de l’intérieur se tenait sur son territoire. Ses dirigeants s’en expliqueront et fourniront plusieurs justifications, parmi lesquelles celles liées à la « bleuite ». Interrogé sur cet événement (1), le défunt colonel de la Wilaya II, Salah Boubnider (« Saout El Arab ») estimait : « …Le colonel Amirouche proposait cette réunion pour essayer de dégager une position commune et dépêcher une délégation à Tunis, pour présenter nos doléances. Or, pour notre part, nous nous en tenions aux décisions du Congrès de la Soummam, lesquelles stipulaient qu’il fallait l’accord préalable de la direction politique, autrement dit, du GPRA pour qu’une telle conférence puisse avoir lieu. Nous nous limitions à cette disposition, quand bien même elle fût contestable…Le colonel Amirouche a maintenu son intention de tenir la réunion sur le territoire de la Wilaya II. Nous en avons assuré l’intendance et la sécurité et nous avons désigné Lamine Khène pour y assister à titre d’observateur sans qu’il ne prenne part aux travaux. J’insiste pour dire que nous n’avions rien contre le principe lui-même », concluait Si Salah. A ce sujet, le docteur Lamine Khène, ancien secrétaire d’Etat du GPRA, également officier de l’ALN en Wilaya II, qui y a donc assisté comme simple observateur, ajoutait dans un entretien accordé à El Watan : « Je crois qu’ils (les responsables de la Wilaya II. Ndlr) avaient aussi des réticences à se réunir avec Amirouche en raison de l’affaire de « la bleuite ». Je pense que c’était parce qu’ils avaient flairé quelque chose de mauvais pour la Révolution »(2). De leur côté, l’initiateur et les participants à ces assises affirmaient qu’ils espéraient redonner du futur aux maquis qui s’essoufflaient, exsangues, sous-équipés mais surtout dévorés, pour certains d’entre eux, par les sinistres purges(3). Ce qui devait être les états généraux, presque un second Congrès de la Soummam, s’est rabougri et s’est commué en un conseil d’officiers en colère et exaspérés, plus qu’inquiets, par les silences de « l’extérieur ». Amirouche, chef de la Wilaya III, souhaitait une rencontre de tous les responsables militaires, pour faire le point sur la grave conjoncture qui affectait le déroulement de la lutte armée. Cette réunion devait permettre de dégager une position stratégique militaire commune mais aussi autour du, ô combien délicat dossier explosif des purges, qui tenait à cœur au chef de la Wilaya III. A l’issue de la rencontre, une délégation devait être constituée afin de se rendre à Tunis pour aller donner de la voix auprès de la direction politique et porter les récriminations des combattants de l’intérieur. Durant toute la durée des travaux, les participants n’ont pas tourné leur langue sept fois dans leur bouche, pour qualifier « l’extérieur » en termes d’une rare sévérité. La guerre s’est durcie, le drame s’est épaissi. Le général Charles de Gaulle, de retour au pouvoir le 1er juin 1958, sous la pression du gros colonat d’Algérie, à la faveur du putsch « militaro-parlementaire » du 13 mai, ouvre larges les bondes financières pour arracher une victoire totale et ainsi ravauder la bannière de son armée, pas mal effrangée, dans les djebels. Après l’avoir tiré du placard, il s’apprête à lancer le terrible plan Challe, du nom du général qui a mis en branle cet hallucinant stratagème de mort conçu quelque temps auparavant par le général Salan. Faute de budget, il avait été rangé en attendant des jours meilleurs. L’aide massive de l’OTAN destinée sans doute à refroidir les tentations séparatistes de de Gaulle, permettra le financement des opérations. L’ALN étouffe. A l’Est comme à l’Ouest, l’ennemi a assuré l’herméticité des barrages électrifiés en renforçant et en sophistiquant davantage les systèmes des lignes Morice. L’Algérie du Nord est prise dans les mâchoires d’un étau impitoyable. Jusque-là, d’une façon générale, l’essentiel de la logistique et de l’armement en particulier était assuré d’une part par la population en ce qui concerne la nourriture et le ravitaillement, le plus souvent payés sur les fonds de fonctionnement de l’ALN et, d’autre part, les actions militaires pour les armes, les munitions et autres équipements ou accessoires nécessaires au combat (vêtements, chaussures, etc.). L’apport attendu des frontières devait être important mais, dans les faits, il a toujours été subsidiaire par rapport à ce que les combattants récupéraient sur « trig el goudroun » (embuscades sur la route goudronnée). Sporadiquement, des colonnes de djounoud se rendaient vers l’Est ou l’Ouest pour s’approvisionner. Mais le prix à payer en vies humaines est allé grossissant à mesure que se fortifiaient les barrages mortels dont les travaux avaient commencé en 1956 et qui se sont achevés une année après environ. Le plus étonnant est que la réalisation de ces lignes létales a été effectuée dans une relative aisance par l’armée coloniale qui a d’ailleurs utilisé une main-d’œuvre locale. Le harcèlement des équipes de construction en aurait, sinon empêché l’effectuation, mais à tout le moins ralenti la progression. Quoi qu’il en soit, une fois installé et appareillé, ce dispositif foudroyant fauchait ses téméraires violateurs par centaines. Les survivants de ces expéditions épouvantables citent des chiffres effarants. « 80 à 90% des hommes y laissaient leur vie », témoignent-ils. Des combattants de la Wilaya IV racontent que sur une colonne de plus d’une centaine de braves et courageux djounoud qui ont tenté la traversée vers la frontière occidentale, seul…un seul en est revenu, l’esprit complètement cassé ! L’habileté et l’expérience des passeurs ne diminuaient en rien l’issue fatale des expéditions. De plus, ces caravanes, pour vaillantes qu’elles furent, ont vite démontré leurs limites à transporter des armes en quantité, ne serait-ce que suffisantes. Constituées essentiellement de djounoud, à pied, sans bêtes de somme et encore moins de véhicules, leur charge était dérisoire et le sacrifice démesuré. Pourtant, des espoirs inouïs avaient été placés dans ces apports extérieurs. Récurrente, la question de l’armement n’a jamais cessé d’empoisonner les relations entre l’intérieur et l’extérieur et ce depuis pratiquement le début de la guerre de libération. La lecture fort édifiante de l’ouvrage de Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger - Le Caire(4), témoigne de l’itération de la question. Empêtrées dans les pénibles affaires de la bleuïte, les douloureuses questions d’intendance et de logistique, contrées par la reprise de l’initiative par l’armée française qui a développé de nouvelles méthodes de combat par la lourdeur des offensives, la durée des opérations et l’occupation du terrain tout en créant de vastes zones interdites et les camps de concentration de 2 300 000 personnes, telle une chandelle dans le vent, la lutte armée vacillait. A la suite de cette réunion de Oued Asker, les colonels Amirouche et Si El Houès ont été désignés pour porter regrets et griefs, plaider la cause des maquis au besoin taper un bon coup sur la table, d’autant que la propagande de la presse colonialiste la disait chargée de « m’loukhia et de rougets de roches » et autres riches victuailles ! En effet, la presse de l’époque accusait souvent les responsables de l’extérieur de gobichonnage alors les populations algériennes étaient en proie à la débine et à la détresse. Les deux officiers supérieurs trouveront la mort sur leur chemin, à djebel Thamer, non loin de Bou Saâda le 29 mars 1959, les armes à la main, face aux 2500 soldats du colonel Ducasse. Mais à Tunis, les choses n’allaient guère mieux. En août 1957, il avait été goupillé une révision populiste des dispositions du Congrès de la Soummam. On y avait procédé au varlopage des concepts. Tout a été raboté, un nivellement général au profit d’une confusion des genres et des rôles. L’intérieur et l’extérieur ont été alignés, de même que le politique et le militaire. Clientélisme oblige, on a presque triplé la composition du CCE (14 membres au lieu de 5) et doublé celle du CNRA (34 membres au lieu de 17). Sous le terme générique « stalino-maoïste » de militants en armes, le politique s’est fringué d’un treillis et le militaire ne rechignait pas à s’accoutrer du complet-veston quand le besoin s’en faisait sentir. En août 1957, la réunion du CNRA au Caire et le renoncement à des principes majeurs énoncés dans la plate-forme de la Soummam scellaient le sort tragique qui allait être réservé à Abane Ramdhane, coartisan avec Ben M’hidi du Congrès d’Ifri de 1954. Il est jugé par ses exécuteurs et exécuté par ses juges qui n’étaient autres que ses propres compagnons. « Lui disparu, écrit Mohamed Lebjaoui, [le] féodalisme spontané reprit le dessus. Krim tenait son pouvoir de la Kabylie, Ben Tobbal de ce qu’il contrôlait la base Est, Boussouf de ce qu’il tenait la base Ouest. Les autres membres du CCE n’avaient guère que des fonctions de représentation, sans pouvoir réel. Le principe de la collégialité, pour les décisions importantes, ne fut jamais entièrement respecté. Les « Trois » décidaient, les autres suivaient. »(5) Au CCE s’était substitué le GPRA, constitué le 19 septembre 1958. Ferhat Abbas, figure emblématique du libéralisme dans le mouvement national, semblait avoir réuni le consensus pour être porté à la tête de la nouvelle institution. Le GPRA va vite devenir une instance sinon de l’exercice d’une souveraineté populaire sur un territoire, mais un précieux instrument de gestion politique et administrative d’une Algérie qui se dessine dans les esprits. Ainsi, nombreux sont ceux qui louent son efficacité dans la prise en charge des réfugiés aux frontières marocaine et tunisienne qui se comptaient par centaines de milliers (environ un million), le ravitaillement, la santé, la scolarisation des enfants, la formation, la prise en charge des étudiants dans les différents pays d’accueil, etc. Mais aussi le rassemblement des cotisations et des aides des pays amis à la révolution, la budgétisation des différents secteurs de l’activité militaire, politique, diplomatique. Saâd Dahlab, membre du 1er CCE issu du Congrès de la Soummam, ancien ministre des Affaires étrangères du 3e GPRA, négociateur à Evian, témoigne : « Tout ceci amena le GPRA à établir une véritable administration, service de santé avec hôpitaux, cliniques, centres de repos, établissements scolaires, centres sportifs, centres de formation technique, formation des cadres dans les pays socialistes et même occidentaux, embrassant toutes les disciplines : juridiques, scientifiques et militaires. Les Algériens constituaient une très grande colonie d’autant plus difficile à administrer qu’elle était dispersée aux quatre coins du monde et qu’elle ne devait en aucun cas être distraite de la lutte de libération. Cette administration devenait de plus en plus lourde et semblait accaparer toute l’attention et l’énergie du GPRA ».(6) Par ailleurs, ce dernier va canaliser un important courant d’attachement suscité par la lutte armée que menaient les Algériens depuis quatre ans. De tous les continents parviennent les marques de soutien à l’Algérie combattante, ce qui va développer une diplomatie dont le dynamisme marquera pour des décennies, même après l’indépendance, la politique étrangère de l’Algérie et va constituer pour longtemps un confortable et utile capital sympathie. « Les questions qui se posaient devenaient de plus en plus graves. Le FLN devenait très fort à l’extérieur. Il avait des hommes, des armes, des alliés, mais il semblait regarder faire à l’intérieur, sans moyens d’intervenir. A qui la faute ? », s’interrogeait Dahlab. A l’inverse des « Trois B », Belkacem Krim (ministre de la Guerre, Lakhdar Ben Tobbal (ministre de l’Intérieur) et Abdelhafidh Boussouf (ministre de l’Armement et des liaisons générales - MALG), Ferhat Abbas et les autres membres du gouvernement ne représentaient qu’eux-mêmes. Si le charisme du président était indéniable auprès des populations et des combattants, son autorité réelle était, en revanche, battue en brèche au sein même du gouvernement par ceux qui justement pouvaient aligner derrière eux un conseil de Wilaya (trois commandants et un colonel). Il finira par reconnaître, rapporte Rédha Malek, l’inconfort de sa position de « président qui préside mais ne gouverne pas ».(7) Cinq mois après sa constitution, le GPRA est bousculé par sa première crise. En effet, la mort étrange, au Caire, d’un collaborateur du ministre des Affaires étrangères, Lamine Debaghine, va entraîner la démission de celui-ci. Il rend responsables du décès du cadre les services du colonel Boussouf, lesquels soutiennent qu’il s’est suicidé au Caire. Les « Trois B », à l’unisson, attribueront ce départ de Debaghine à « sa nervosité et son entêtement. Il ne respecte pas les instructions et il n’a pas été à la hauteur de sa responsabilité ».(8) Rédha Malek, alors directeur du journal El Moudjahid, organe central du FLN, écrit à propos de la crise généralisée : « Le malaise des Wilayas ne peut ne pas gagner les bases arrières. Les quelque dix mille hommes postés à la frontière tunisienne rongent leur frein. Insuffisamment organisés, en proie au régionalisme et aux luttes de faction, ils sont guettés par les mutineries, les complots. La dissidence du capitaine Ali Hambli(9), le complot Lamouri(10), deux mois après la constitution du GPRA et, beaucoup plus grave par ses ramifications extérieures et ses visées, rien moins que la mise sur pied d’une nouvelle direction, soulignent l’impasse politique et militaire dans laquelle la révolution piétine. » L’idée de la tenue d’un congrès de sortie de crise s’est donc imposée d’elle-même. La pente étant plus que favorable, ce sont les « Trois B » qui aideront le principe à prendre forme. Krim Belkacem en charge de l’armée va s’en faire le porte-parole es-qualité et, lors d’une réunion du GPRA dont le déroulement s’est effectué en pointillés, entre le 1er et le 11 juillet 1959, après avoir relevé, sans indulgence ni appel, l’irrésolution, les faiblesses et l’anémie du GPRA va plaider pour « une autorité ferme, solide, homogène, révolutionnaire et restreinte pour diriger le pays et la guerre. » Autrement dit, un gouvernement qui marcherait au pas. Le colonel de la Wilaya I, Mahmoud Chérif, renvoie et milite même pour que la nouvelle direction, laquelle doit nécessairement être dégagée, rentre et dirige la révolution de l’intérieur du pays ! Saâd Dahlab de remarquer que « Les trois grands, Krim Belkacem, Boussouf et Bentobbal pensèrent qu’en se débarrassant des politiques, ils allaient résoudre le problème. Ils mirent donc fin au premier GPRA, sans bruit et avec le souci de ne pas étaler nos différends avec l’ennemi. Ce souci a été permanent… et cela a été un des facteurs de notre succès. » A ce propos, l’historien Français Yves Courrière notait : « La réunion des Dix s’ouvrait pour 99 jours ! Trois mois sans GPRA. L’information était de taille et pourtant resterait secrète. Aujourd’hui encore, rares sont ceux qui la connaissent. »(11) Il fallait placer entre parenthèses le CNRA, au besoin le disqualifier. Il revient au colonel Boussouf de mettre carte sur table et d’annoncer la proposition de réunir avec Belkacem Krim et Ben Tobbal les chefs de Wilaya de l’intérieur ainsi que les cadres des différentes structures de l’armée en congrès pour étudier la question. Dahlab poursuit : « En Juillet 1959, le GPRA fut mis en demeure de leur remettre ses pouvoirs. » « C’était la deuxième fois que Krim tentait de changer de direction afin d’en prendre la tête, la première fois étant le changement du premier CCE, en septembre 1957, changement qui vit l’élimination de Ben Khedda et de moi-même du CCE. Pour Dahlab, comme la première fois Bentobbal et Boussouf lui prêtèrent provisoirement main forte, lui, ne pouvait se passer d’eux pour renforcer ses arguments, son mobile étant, selon lui, le renforcement de la lutte et non le pouvoir, eux ne pouvaient se résoudre à le laisser seul ‘‘s’emparer’’ du pouvoir ni se désolidariser de lui, alors qu’il défendait le principe de la lutte à outrance. Rester à ses côtés était mettre un frein à ses appétits, et selon eux, prévenir dans tous les cas toute atteinte à la révolution. » Pour le commandant Azzedine, membre du CNRA et dernier membre encore vivant de l’état-major général créé par le CNRA issu de la réunion des « Dix », il faut se replacer dans le contexte de l’époque. « En septembre 1959, alors que se déroulait encore depuis plus d’un mois la réunion dite des 100 jours, de Gaulle faisait la proposition de recourir au référendum d’autodétermination. L’indépendance se profilait, encore au loin certes, mais elle s’annonçait. La France, contrainte, reconnaissait enfin notre droit inaliénable. La paix avait finalement des chances. Ben Tobbal (Intérieur) et Boussouf (Armement et liaisons générales) se sont concertés et ont conclu qu’il ne faudrait (surtout) pas que l’indépendance intervienne avec Krim Belkacem à la tête de l’armée. Ils exercent une pression sur lui pour le contraindre à partager l’armée et en échange ils lui donnent les Affaires étrangères. Ainsi naîtra le Comité interministériel de guerre (CIG)(12). » Le GPRA est donc poliment invité à présenter sa démission. Le 10 juillet, le même Boussouf fait la lecture d’une résolution qui sera, à la « demande » de Ferhat Abbas, considérée comme une adresse du président du GPRA aux congressistes.Tandis que Ben Khedda, alors ministre des Affaires sociales, préconisait que cette réunion se déroule en Algérie, et qu’il s’entêtait à définir ce qu’est un chef de l’Intérieur, il estimait en effet que tout responsable militaire dont le séjour à l’extérieur dépasse les six mois ne doit plus être considéré comme tel, Boussouf annonçait que les responsables en question sont en route ! Le 11 août 1959, 10 colonels sont en réunion au siège du MALG, rue Parmentier à Tunis. Qui sont-ils ? Trois membres du GPRA : Belkacem Krim, ministre des Armées ; Lakhdar Bentobbal, ministre de l’Intérieur ; Abdelhafidh Boussouf, ministre de l’Armement et des liaisons générales. Il y a également les colonels Saïd Mohammedi, chef de l’état-major de l’Est et Houari Boumediène, chef de l’état-major de l’Ouest. Enfin, Hadj Lakhdar Abidi, dit Hadj Lakhdar (Wilaya I) ; Ali Kafi (Wilaya II) ; Saïd Bérirouche dit Mohamed Yazourène (Wilaya III) ; Slimane Déhilès dit Sadek (Wilaya IV) et Benali Dghine Boudghène dit Lotfi (Wilaya V). Il est à noter, qu’en fait de colonels de l’intérieur et si l’on s’en tient à la définition de Ben Khedda, seuls Ali Kafi et Lotfi peuvent se prévaloir de cette qualité, les autres étant sortis depuis un bon bout de temps. De plus, on remarque que la Wilaya VI n’est pas représentée. Il est vrai que Si El Haouès était mort un peu plus de quatre mois auparavant en compagnie de Amirouche alors qu’ils se rendaient à une autre réunion prévue pour avril 1959. « Au mois d’avril 1959, témoigne Ali Kafi, les chefs des Wilayas ont été… de nouveau convoqués pour une réunion à Tunis… pour régler des désaccords graves intervenus au sein du GPRA… Le message daté du mois de mars invitait le chef de Wilaya à se munir d’un document écrit contenant un mandat explicite des membres du Conseil de Wilaya. » Un document avait été élaboré par les soins des services du ministère des Armées et a été donné à débattre par les colonels. Il concernait la réorganisation de l’armée. Les « Trois B » auraient laissé le soin aux officiers de s’en charger exclusivement. « Nous mettons le problème entre vos mains. Décidez ce que vous voulez et nous sommes avec vous », ont-ils déclaré avant de se retirer. Ce retrait aurait été demandé par Ali Kafi qui affirme avoir déclaré aux « Trois B » : « Puisque vous avez tout remis entre nos mains, vous êtes priés de nous laisser seuls pour qu’on étudie la question. » Selon Mohamed Harbi : « La première séance s’ouvrit d’ailleurs sur un incident entre Krim et Boumediène. » Il précise en notes : « Selon le témoignage que m’en a donné Lakhdar Bentobbal. Ce dernier, interprétant à sa manière l’expression ‘‘chef de Wilaya’’ mentionnée dans la résolution du GPRA, demanda aux membres du triumvirat de se retirer d’une réunion où ils n’avaient pas titre à siéger…Or, Krim, Bentobbal et Boussouf, inspirateurs de cette résolution, ne l’entendaient pas ainsi… La suite fut une pantalonnade… »Mohamed Lebjaoui rapporte pour sa part que des « divergences graves apparurent tout de suite sur le choix des hommes de la nouvelle équipe. Coupée de heurts, d’esclandres, de ruptures, de réconciliations, d’accusations mutuelles, la réunion ne dura pas moins de 99 jours sans le moindre résultat». Devant l’impasse, Krim fou de colère, s’adressa au ‘‘concile’’ : « Je donne un délai de 8 jours à chaque colonel avant de rejoindre son poste de combat sinon j’agirai… » Dans les faits, les Dix semblent s’être mutuellement neutralisés et se sont perdus dans des débats politico-militaires qui allaient conforter durant la réunion du CNRA qui suivra le système de cooptation et consolider le pouvoir de l’armée. Au bout de 94 jours, les Dix se « rendirent compte qu’ils perdaient leur temps et qu’il n’y avait aucun problème nouveau, le seul qui s’était toujours posé, étant de renforcer la lutte et de hâter la victoire », constate, amer, Dahlab. « Aucun des dix colonels, dira Harbi, n’avait, par ailleurs, un ascendant suffisant pour faire aboutir des débats interminables sur la stratégie de la guerre, alors même qu’ils laissaient à des civils la question des statuts et des programmes. » Il relève en notes que « la commission des statuts a été confiée à Ben Khedda avec pour collaborateurs Mabrouk Belhocine et Lamine Khène, et celle des programmes à Mohamed Seddik Benyahia, Omar Oussedik, Frantz Fanon et Abderrazak Chentouf. Il leur a fallu plus de trois mois pour tomber d’accord sur la composition du CNRA et sur le choix d’une direction du FLN », écrit Mohamed Harbi (13). Cette réunion de dépannage des institutions pas plus que celle du CNRA qui suivra a été dans l’incapacité de doctriner la révolution algérienne et d’éviter la rupture de la ligne de masse. Les querelles intestines et la personnalisation progressive des pouvoirs ont même mis en danger le processus de la libération. C’est sans doute dans les manifestations de Décembre 1960 que la révolution trouvera un deuxième souffle qui fera aboutir le grand projet lancé le 1er Novembre 1954.

Boukhalfa Amazit
Notes:
  1. El Watan 20 et 27 octobre 2005
  2. El Watan du 1er novembre 2004
  3. El Watan 20 et 27 octobre 2005
  4. Mabrouk Belhocine. Le Courrier Alger - Le Caire 1954-1956. Ed. Casbah. Alger 2000.
  5. Mohamed Lebjaoui. Vérités sur la Révolution algérienne. Ed. ANEP. Alger 2005.pp. 163 à 166.
  6. Saâd Dahlab. Pour l’indépendance de l’Algérie : Mission accomplie. Ed. Dahlab. Alger 2001. pp. 115 à 123.
  7. Rédha Malek. L’Algérie à Evian. Histoire des négociations secrètes 1956-1962. Ed. Dahlab. Alger 1995. pp. 41 à 44.
  8. Ali Kafi. Du militant politique au dirigeant militaire. Mémoires 1946-1962. Traduction de Dahmane Nadjar. Ed. Casbah Alger 2004. pp.202 à 207.
  9. Ali Hambli . Entré en dissidence contre l’autorité du FLN à la fin 1958. Il se réfugie à la frontière algéro-tunisienne. Il est poursuivi par des unités de l’ALN épaulées par des soldats tunisiens. Il se rallie à l’armée française qui exploite sa reddition en l’exhibant sur les marchés. Il reconnaîtra publiquement ses erreurs. Il sera tué par les Français.
  10. Lamouri. De son vrai nom Mohamed Amouri. Colonel de la Wilaya I (Aurès-Nemenchas). Membre du PPA-MTLD, il participe à l’insurrection du 1er Novembre. Il grimpera les échelons de l’ALN pour devenir colonel fin 1957. Membre du Com Est en 1958. Rétrogradé par le CCE au grade de commandant, il est envoyé au Liban. Il s’oppose à la désignation de Mahmoud Cherif à la tête de la Wilaya I et entre en dissidence contre Krim Belkacem d’abord, puis avec quelques autres officiers, il envisage de renverser le GPRA et d’étendre la guerre en Tunisie. Arrêté avec les autres conjurés (Messaâdia, Draïa, Belhadj, Belhouchet emprisonnés) en 1958. Il est jugé et exécuté en mars 1959. Réhabilité à titre posthume, il est enterré au Carré des Martyrs depuis 1984.
  11. Yves Courrière. La Guerre d’Algérie. Les feux du désespoir. Ed. Casbah. Alger 2005. p.23
  12. Cdt Azzedine : Entretiens avec l’auteur.
  13. Mohamed Harbi. Une vie debout. Ed. Casbah. Alger 2001. pp. 289-290.



Message de Abbas aux « Dix »

Boussouf présente au GPRA, lors de sa réunion du 10 juillet, une résolution qui, sur proposition de Ferhat Abbas, prend la forme du message du GPRA aux chefs et aux conseils de Wilayas. En voici le texte : « Au cours de la dernière réunion du Conseil des ministres, j’ai constaté qu’une grave crise avait conduit le gouvernement à l’impasse. N’ayant pu faire recours à l’arbitrage du GPRA et du CNRA, dont la composition est contestée par certains, le gouvernement s’est trouvé paralysé. Dans ces conditions, je prends toutes mes responsabilités en tant que chef du gouvernement, et je vous invite à vous réunir dans les plus brefs délais pour doter la révolution d’un CNRA incontesté. Celui-ci sera alors habilité pour :

  1. Recevoir la démission collective des ministres actuels.
  2. Investir un autre gouvernement.
  3. Donner à notre révolution une nouvelle stratégie politique, militaire, diplomatique, digne des grands sacrifices que cinq années de guerre ont imposés à notre peuple.

Les ministres en fonction continueront à exercer jusqu’à ce que le nouveau gouvernement ait reçu l’investiture. Le ministre des forces armées est chargé de vous réunir et de vous communiquer le présent message. Mes collaborateurs et moi-même restons à votre disposition pour vous seconder dans votre mission et vous donner tout renseignement utile à l’accomplissement de votre mission. »


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Proposé par Karim Hadji